Les romans idiots des dames romancières
Informations sur la traduction Traduction de l’anglais par Julie Levasseur, révision par Rosemarie Fournier-Guillemette Source du texte original George Eliot (Mary Ann Evans), « Silly Novels by Lady Novelists », Westminster Review, no 20 (octobre 1856). |
Note sur la traduction L’autrice britannique George Eliot (1819-1880), née Mary Ann Evans, est une intellectuelle et romancière qui a marqué la littérature victorienne. Ses romans, parmi lesquels on retrouve The Mill on the Floss (1860), Silas Marner (1861) et Middlemarch (1871-72), ont connu un grand succès de son vivant. L’existence d’Eliot est frappée par l’ambivalence : si, dans ses écrits et ses romans, elle défend les valeurs chrétiennes de la bonne société britannique, elle mène une vie à leur encontre, entretenant des relations illicites et vivant la plus grande partie de sa vie avec George Lewes, un homme marié. D’ailleurs, malgré leur vertu, ses héroïnes sont bien souvent en porte-à-faux avec leur milieu social. Avant de pratiquer la fiction, elle a traduit des traités philosophiques tels quel L’Éthique de Spinoza et contribué à des publications intellectuelles comme la Westminster Review, où elle fait paraitre en 1856 l’essai ci-dessous traduit, « Silly Novels by Lady Novelists ». Dans une description satirique où elle recense les différentes espèces de « romans idiots de dames romancières » qui pullulent en librairie, Eliot critique en filigrane les marges étroites laissées aux héroïnes, érigées en irréalistes figures de l’idéal féminin. Elle reproche aussi aux critiques littéraires d’encenser l’idiotie aux dépends de l’intelligence, exposant le double standard auquel sont exposées les productions littéraires des femmes. |
Les romans idiots des dames romancières constituent un genre aux multiples espèces, déterminées par la qualité particulière de l’idiotie qui prédomine chez elles : la frivolité, le prosaïsme, la piété ou la pédanterie. Mais c’est un mélange de tous ces éléments – un ordre composite de fatuité féminine – qui produit la plus grande catégorie de romans de ce type, que nous distinguerons comme appartenant à l’espèce esprit-et-ganterie. L’héroïne est généralement une héritière, probablement une aristocrate à part entière, avec peut-être un baronnet malveillant, un duc aimable et l’irrésistible fils cadet d’un marquis comme amants au premier plan, un ecclésiastique et un poète soupirant pour elle à distance moyenne et, au-delà, une foule d’adorateurs indéfinis vaguement mentionnés. Ses yeux et son esprit sont éblouissants; son nez et ses mœurs sont également exempts de toute tendance à l’irrégularité; elle possède un superbe contralto et une superbe intelligence; elle est parfaitement bien habillée et parfaitement religieuse; elle danse comme une sylphide et lit la Bible dans les langues d’origine. Il se peut aussi que l’héroïne ne soit pas une héritière, que le rang et la richesse soient les seules choses qui lui manquent, mais elle entre infailliblement dans la haute société, elle a le triomphe de refuser de nombreux prétendants et d’épouser le meilleur, et elle arbore à la fin de l’histoire divers joyaux familiaux en guise de couronne de droiture. Des hommes débauchés se mordent les lèvres dans une confusion impuissante face à ses réparties, ou se sentent poussés à la pénitence par ses reproches qui, dans des occasions appropriées, s’élèvent à un haut niveau de rhétorique; en effet, elle a une propension générale à déclamer des discours et à rhapsoder longuement lorsqu’elle se retire dans sa chambre à coucher. Elle est étonnamment éloquente dans ses conversations officielles, et étonnamment spirituelle dans ses conversations officieuses. Elle est perçue comme ayant une perspicacité qui dépasse les théories superficielles des philosophes, et ses instincts supérieurs sont une sorte de cadran sur lequel les hommes n’ont qu’à régler leurs horloges et leurs montres, et tout se passera bien. Les hommes jouent un rôle très subalterne à ses côtés. Vous vous consolez de temps en temps avec une allusion au fait qu’ils mènent des affaires, ce qui vous permet de garder à l’esprit que les activités quotidiennes du monde se poursuivent d’une manière ou d’une autre, mais la raison ultime de leur existence se résume ostensiblement à accompagner l’héroïne dans son expédition « vedette » à travers la vie. Ils la voient à un bal, et ils sont éblouis; à une exposition florale, et ils sont fascinés; lors d’une excursion à cheval, et ils sont ensorcelés par sa noble maîtrise de l’équitation; à l’église, et ils sont impressionnés par la douce solennité de son comportement. Elle est la femme idéale en fait de ferveur, de facultés et de fanfreluches. Pour autant, elle commence le plus souvent par épouser la mauvaise personne et souffre terriblement des complots et des intrigues du baronnet malveillant; or, même la mort a un faible pour un tel parangon et remédie à tous les maux de l’héroïne en temps voulu. Le baronnet malveillant ne manquera pas d’être tué en duel, puis le mari ennuyeux meurt dans son lit en demandant à sa femme, en sa faveur à lui, d’épouser l’homme qu’elle aime le mieux, et en ayant déjà envoyé une note pour informer l’amant de ce commode arrangement. Avant d’arriver à ce résultat souhaitable, nos sentiments sont mis à l’épreuve en voyant l’héroïne noble, charmante et douée passer par de nombreux mauvais moments1En français dans le texte. (Sauf indication contraire, toutes les notes sont de la traductrice.), mais nous avons la satisfaction de savoir que ses chagrins sont pleurés dans des mouchoirs de poche brodés, que sa forme évanouie s’allonge sur le meilleur rembourrage et que, quelles que soient les vicissitudes qu’elle puisse subir, depuis sa chute d’un carrosse jusqu’au rasage de sa tête à cause de la fièvre, elle s’en sort avec un teint plus florissant et des mèches plus abondantes que jamais.
Nous pouvons remarquer, en passant, que notre scrupule s’est dissipé lorsque nous avons découvert que les romans idiots des dames romancières nous plongent rarement ailleurs que dans la très haute et très chic société. Nous avions imaginé que les femmes démunies devenaient romancières, comme elles devenaient gouvernantes, faute d’autres moyens « dignes d’une dame » de gagner leur pain. À ce titre, la syntaxe vacillante ou l’incident improbable revêtaient pour nous un certain pathos, à l’image des pelotes à épingles surérogatoires et des bonnets de nuit mal ficelés mis en vente par une personne aveugle. Nous considérions cette marchandise comme une nuisance, mais nous nous réjouissions de penser que l’argent servait à soulager les personnes dans le besoin, et nous nous représentions des femmes seules luttant pour leur subsistance, ou des épouses et des filles se consacrant à la production de « copies » par pur héroïsme – peut-être pour payer les dettes de leur mari ou pour acheter des douceurs à un père malade. Sous ces impressions, nous hésitions à critiquer le roman d’une romancière : son anglais peut être défectueux, mais nous nous disions que ses motivations sont irréprochables; son imagination peut être dépourvue de créativité, mais sa patience est inlassable. L’écriture vide s’excusait par un estomac vide, et la bêtise se consacrait par les larmes. Mais non! Cette jolie hypothèse de notre cru, comme beaucoup d’autres, a dû capituler devant l’observation. Les romans idiots des femmes, nous le savons maintenant hors de tout doute, sont écrits dans des circonstances totalement différentes. Les belles dames qui écrivent n’ont manifestement jamais parlé à un commerçant, si ce n’est depuis la fenêtre d’un fiacre; elles ne connaissent rien des classes ouvrières, si ce n’est qu’elles sont « à leur charge »; elles considèrent que cinq cents livres par an représentent une misérable pitance; le quartier de Belgravia et les « salles baronniales » constituent leurs vérités premières; et elles n’envisagent nullement de s’intéresser à un homme qui ne serait pas au moins un grand propriétaire foncier, sinon un premier ministre. Il est clair qu’elles écrivent dans d’élégants boudoirs, avec de l’encre violette et une plume rubis; qu’elles doivent être totalement indifférentes aux comptes des éditeurs et inexpérimentées dans toutes les formes de pauvreté, à l’exception de la pauvreté cérébrale. Il est vrai que nous nous heurtons constamment au manque de vraisemblance de leurs représentations de la haute société dans laquelle elles semblent vivre, mais elles ne trahissent pas une connaissance plus approfondie de toute autre forme de vie. Si leurs pairs et leurs pairesses sont improbables, leurs hommes de lettres, leurs artisans, leurs artisanes et leur paysannerie sont impossibles; en outre, leur intellect semble avoir l’impartialité particulière de reproduire autant ce qu’elles ont vu et entendu que ce qu’elles n’ont pas vu et entendu, avec la même infidélité.
Il y a peu de femmes, nous le supposons, qui n’ont jamais vu d’enfants de moins de cinq ans; pourtant, dans Compensation, un roman récent de l’espèce esprit-et-ganterie qui se qualifie lui-même d’« histoire de la vie réelle2Sauf indication contraire, toutes les traductions des citations et des titres sont de la traductrice » (Chatterton, 1856, 1re couv.), nous avons une fillette de quatre ans et demi qui parle à la manière d’Ossian :
Oh, je suis si heureuse, chère grand-maman; j’ai vu… j’ai vu une personne si charmante; il est comme tout ce qui est beau, comme le doux parfum des fleurs et la vue depuis le Ben Lomond; ou non – encore mieux que cela – comme ce que j’imagine quand je suis très, très heureuse; et il est comme maman, aussi, quand elle chante; et son front est comme cette mer lointaine, continua-t-elle en montrant la Méditerranée azurée, où il semble qu’il n’y ait pas de fin, aucune; ou comme les bouquets d’étoiles que j’aime le mieux regarder par une belle et chaude nuit […]. (vol. I, p. 304; Eliot souligne)
Ne prenez pas cet air […]. Votre front est comme le Loch Lomond, lorsque le vent souffle et que le soleil s’y engouffre; j’aime mieux le soleil lorsque le lac est lisse […]. En ce moment, je l’aime plus que jamais […]. Il est encore plus beau au sortir d’un nuage sombre l’ayant recouvert, lorsque le soleil éclaire soudainement toutes les couleurs des forêts et des rochers pourpres et brillants, et que le tout se reflète dans les eaux en contrebas. (vol. I, p. 306; Eliot souligne)
Nous ne nous étonnons pas d’apprendre que la mère de ce phénomène infantile, qui présente des symptômes ressemblant de façon si alarmante à ceux d’une adolescence réprimée par le gin, soit elle-même un phœnix. Il nous est assuré, encore et encore, qu’elle possédait un esprit remarquablement original, qu’elle était un génie « ayant conscience de son originalité » (vol. I, p. 163), et qu’elle se trouvait suffisamment chanceuse pour connaître un amant qui était lui aussi un génie et un homme « à l’esprit des plus originaux » (vol. I, p. 85).
Cet amant, lisons-nous, bien que « merveilleusement semblable » à elle « en fait de pouvoirs et de capacités », lui était « infiniment supérieur en fait de foi et de développement » (vol. I, p. 213). Elle voyait en lui « l’Agapè – si rare – dont elle avait lu et admiré le sens dans son Testament grec; elle qui, grâce à sa grande facilité à apprendre les langues, avait lu les Écritures dans leurs idiomes d’origine » (vol. I, p. 88-89; Eliot souligne). Bien sûr! Le grec et l’hébreu ne sont qu’un jeu pour une héroïne, le sanskrit n’est rien de plus qu’un abc à ses yeux et elle peut parler avec une exactitude parfaite dans n’importe quelle langue, sauf l’anglais. C’est une polyglotte qui danse la polka, une Creuzer3Georg Friedrich Creuzer (1771-1858) est un savant allemand spécialiste de la mythologie grecque. en crinoline. Pauvres hommes! Si peu d’entre vous connaissent même l’hébreu – vous croyez pouvoir vous enorgueillir si, comme Bolingbroke4L’autrice fait ici référence à une citation du poète anglais Alexander Pope qui, à la question : « Lord Bolingbroke comprend-il l’hébreu? », aurait répondu : « Non, mais il comprend ce type de savoir, et ce qui est écrit à son sujet. » La conversation est rapportée par le révérend Joseph Spence, dans son ouvrage intitulé Anecdotes, Observations, and Characters, of Books and Men. Collected from the Conversation of Mr. Pope, and Other Eminent Persons of His Time (1820, p. 178). Lord Henry St. John Bolingbroke (1678-1751) est influent un homme politique et philosophe anglais., vous ne faites que « comprendre ce genre d’apprentissage et ce qu’on écrit à son sujet », et vous admirez peut-être des femmes qui peuvent avoir des pensées désobligeantes à votre égard dans toutes les langues sémitiques les unes après les autres. Mais comme on nous dit presque toujours que l’héroïne a une « tête magnifiquement petite5Citation introuvable. » et que son intellect s’est sans doute enrichi très tôt d’une attention à la manière de se vêtir et de se tenir, nous pouvons en conclure qu’elle apprend les langues orientales, sans parler de leurs dialectes, avec l’aisance aérienne du papillon qui savoure son nectar. De plus, il n’y a aucune difficulté à cerner la profondeur de l’érudition de l’héroïne quand celle de l’autrice se manifeste avec autant d’évidence.
Dans Laura Gay, un autre roman de la même école, l’héroïne paraît moins à l’aise avec le grec et l’hébreu, mais elle compense cette lacune par une familiarité plutôt ludique avec les classiques latins – « le cher vieux Virgile […], l’élégant Horace, l’humain Cicéron [et] l’agréable Tite-Live » (anonyme, 1856a, vol. I, p. 34); en effet, il lui est tellement naturel de citer du latin qu’elle s’y adonne lors d’un pique-nique en la compagnie très mixte de dames et de messieurs, nous dit-on, en n’ayant « aucune idée que le sexe fort était capable de jalousie dans ce domaine. Et si, justement, la partie la plus sage et la plus noble de ce sexe formait la majorité, un tel sentiment n’existerait pas. Or, tant que les Mlle Wyndham et les M. Redford abondent, leur existence exige de grands sacrifices. » (vol. I, p. 132) Ces sacrifices, supposons-nous, consistent à s’abstenir de citations latines, lesquelles offrent un intérêt et une applicabilité extrêmement modérés, dont la minorité sage et noble de l’autre sexe serait tout aussi disposée à se dispenser que la majorité stupide et ignoble. Les hommes bien élevés ont aussi peu l’habitude que les femmes bien élevées de citer du latin dans les réunions mixtes; ils peuvent contenir leur familiarité avec « l’humain Cicéron » sans qu’elle déborde dans les conversations ordinaires, et même les références à « l’agréable Tite-Live » n’ont rien d’absolument irrépressible. Mais le latin cicéronien reste l’expression la plus légère du pouvoir de conversation de Mlle Gay. Se trouvant sur le Palatin avec un groupe de touristes, elle se lance dans cette remarque bien étoffée : « La vérité ne peut être pure que de manière objective, car même dans les croyances où elle prédomine, étant subjective et divisée en plusieurs parts, chacune d’entre elles reçoit nécessairement une teinte d’idiosyncrasie, c’est-à-dire un soupçon de superstition plus ou moins fort. Dans d’autres croyances comme le catholicisme romain, l’ignorance, l’intérêt, les fondements d’anciennes idolâtries et la force de l’autorité se sont progressivement accumulés autour de la pure vérité et l’ont finalement transformée en un amas de superstitions chez la majorité de ses adeptes; et comme il y en a peu, hélas! dont le zèle, le courage et l’énergie intellectuelle se montrent dignes d’analyser cette accumulation et de découvrir la perle de grande valeur qui se cache sous ce tas d’immondices. » (vol. I, p. 108-109) Nous avons souvent rencontré des femmes beaucoup plus novatrices et profondes dans leurs observations que Laura Gay, mais presque jamais de femmes aux propos aussi inopportunément interminables. Un seigneur clérical, à demi amoureux d’elle, s’alarme des paroles audacieuses qui viennent d’être citées et commence à la soupçonner d’avoir un penchant pour la libre-pensée. Mais il se trompe : dans un moment de chagrin, il lui demande délicatement la permission de « rappeler à sa mémoire […] le dépôt6En français dans le texte. de force et de consolation qui surgit de la douleur, et que nous avons trop tendance à oublier tant que les épreuves de la vie ne nous accablent pas » (vol. I, p. 252; Eliot souligne); nous apprenons alors qu’elle a bel et bien « la récurrence de ce dépôt7En français dans le texte. sacré » (vol. I, p. 254), accompagnée d’une tasse de thé. Une certaine touche d’orthodoxie se mêle au cortège des fortunes personnelles et des belles voitures dans Laura Gay, mais il s’agit d’une orthodoxie atténuée par l’étude de « l’humain Cicéron » et par une « disposition à l’analyse intellectuelle8Citation introuvable. ».
Compensation comporte un dosage beaucoup plus important de doctrine, ainsi qu’une triple quantité de mondanités snobinardes et d’incidents absurdes pour titiller les papilles de la frivolité pieuse. Linda, l’héroïne, demeure plus spéculative et spirituelle que Laura Gay, mais elle a fait ses débuts en société et compte des amants plus nombreux et bien plus prestigieux; des femmes très méchantes et fascinantes sont mises en scène – même une lionne9En français dans le texte. française – et on ne lésine pas sur les moyens pour créer une histoire aussi excitante que les romans les plus immoraux. En fait, il s’agit d’un merveilleux pot-pourri10En français dans le texte. composé du club social Almack’s11Inauguré en 1765, le club Almack’s a été l’établissement le plus exclusif de la haute société londonienne jusqu’à son déclin dans les années 1830 (note de la rédaction, ci-après « N.D.L.R. »)., de la clairvoyance écossaise, des petits déjeuners de M. Rogers12Le poète et banquier anglais Samuel « Breakfast » Rogers (1763-1855) est connu pour ses petits-déjeuners réunissant le gratin intellectuel de l’époque (N.D.L.R.)., de brigands italiens, de conversions de dernière heure, d’autrices supérieures, de maîtresses italiennes et de tentatives d’empoisonnement de vieilles dames, le tout agrémenté d’un discours sur la « foi et [le] développement » ainsi que les « esprit[s] des plus originaux » (Chatterton, 1856, p. 213; p. 85). Même Mlle Susan Barton, l’autrice supérieure dont la plume se déplace d’une « manière rapide et décidée […] lorsqu’elle compose » (p. 8), décline les meilleures perspectives de mariage; et bien qu’elle soit assez âgée pour être la mère de Linda (puisqu’on nous dit qu’elle a refusé son père), sa main se voit convoitée par un jeune comte, l’amant éconduit de l’héroïne. Bien sûr, le génie et la moralité doivent bénéficier d’offres recevables, sinon ces qualités sembleraient plutôt ennuyeuses; comme d’autres choses, la piété doit faire partie de la « société » et être admise dans les meilleurs cercles pour être considérée comme il faut13En français dans le texte..
Rang et beauté constitue une variété plus frivole et moins religieuse de l’espèce esprit-et-ganterie. L’héroïne, nous dit-on, « si elle a hérité de la fierté du lignage de son père et de la beauté des traits de sa mère, portait en elle l’expression d’un sentiment enthousiaste qui, peut-être, caractérise son âge même chez les gens de basse naissance, mais ne prend la forme d’un haut degré de romantisme sauvage que chez ceux d’ascendance noble, estimant qu’il s’agit de leur plus grand héritage » (Anonyme, 1856b, vol. I, p. 7). Cette jeune femme enthousiaste, à force de lire le journal à son père, tombe amoureuse du premier ministre qui, par le biais d’articles de fond et du « résumé14En français dans le texte. des débats » (vol. I, p. 8; Eliot souligne), illumine son imagination comme une étoile singulière et brillante n’ayant point de parallaxe pour la simple Mlle Wyndham, qui vit à la campagne. Or, elle devient immédiatement baronne Umfraville de son propre droit, ébahit le monde par sa beauté et ses succès lorsqu’elle déferle sur lui depuis son manoir de Spring Gardens, puis, comme vous le prévoyez, fera bientôt connaissance avec l’objet aimé15En français dans le texte., jusque-là invisible. Les mots « premier ministre » vous évoquent peut-être un sexagénaire ridé ou ventripotent, mais je vous prie d’écarter cette image. Lord Rupert Conway a été « appelé, alors qu’il était encore presque un jeune homme, à accéder à la première place qu’un sujet peut occuper dans l’univers » (vol. I, p. 8; Eliot souligne), et même les éditoriaux et le résumé des débats n’ont pas fait naître un rêve qui surpasse la réalité.
La porte s’ouvrit à nouveau et lord Rupert Conway entra. Evelyn jeta un coup d’œil. C’était suffisant, elle ne fut pas déçue. Il lui semblait qu’un tableau qu’elle avait longtemps contemplé avait soudain pris vie et était sorti de son cadre devant elle. Sa haute silhouette, son air de simplicité distinguée – c’était un Vandyke16Connu pour ses portraits, Antoon van Dyck (1599-1641) est un peintre flamand qui a séjourné plusieurs fois à Londres durant sa carrière (N.D.L.R.). vivant, un cavalier, l’un de ses nobles ancêtres cavaliers ou celui auquel sa fantaisie à elle l’avait toujours comparé, qui avait combattu les peuples païens bien au-delà de la mer avec un Umfraville, il y a fort longtemps. Était-ce la réalité? » (vol. I, p. 13)
Cela lui ressemble très peu, évidemment.
Peu à peu, il devient évident que le cœur du premier ministre est touché. Lady Umfraville rend visite à la Reine à Windsor, et…
Le dernier soir de son séjour, en revenant de l’équitation, M. Wyndham l’emmena avec un grand nombre de personnes au sommet du Donjon, pour admirer la vue. Elle était appuyée sur les créneaux, contemplant de cette « hauteur majestueuse » la perspective qui s’offrait à elle, lorsque lord Rupert se trouva à ses côtés. « Quelle vue incomparable! » s’exclama-t-elle.
« Oui, cela aurait été une erreur de partir sans être montée ici. Vous êtes satisfaite de votre visite? »
« Enchantée! Une reine sous laquelle vivre et mourir, pour laquelle vivre et mourir! »
« Ha! » s’écria-t-il, avec une émotion soudaine et une expression d’eurêka approbatrice, comme s’il avait vraiment trouvé un cœur en harmonie avec le sien. (vol. I, p. 89; Eliot souligne)
L’« expression d’eurêka approbatrice » apparaît tout de suite comme une prophétie de mariage à la fin du troisième volume; mais cette consommation souhaitable est précédée de malentendus très compliqués, provenant principalement de l’intrigue vindicative de sir Luttrel Wycherley, décrit comme un génie, un poète et, à tous égards, un personnage tout à fait remarquable. Celui-ci n’est pas seulement un poète romantique, mais aussi un débauché endurci et un esprit cynique; pourtant, sa passion profonde pour lady Umfraville a tellement appauvri son talent épigrammatique qu’il fait piètre figure en conversation. Lorsqu’elle l’éconduit, il se précipite dans les buissons et se roule dans la boue; puis, une fois rétabli, il se consacre aux projets de vengeance les plus diaboliques et les plus laborieux, au cours desquels il se déguise en médecin charlatan et se lance dans la médecine générale, prévoyant qu’Evelyn tombera malade et qu’il sera appelé à s’occuper d’elle. Enfin, lorsque tous ses projets ont échoué, il prend congé d’elle dans une longue lettre écrite entièrement, comme vous le constaterez dans le passage suivant, dans le style d’un éminent homme de lettres :
« Oh, dame, nourrie de faste et de plaisir, accorderez-vous jamais une pensée à l’être misérable qui s’adresse à vous? Lorsque votre galère dorée voguera sur le flot tranquille de la prospérité et que vous serez bercée par la musique la plus douce – vos propres louanges –, entendrez-vous jamais le soupir lointain provenant de ce monde vers lequel je vais? » (vol. III, p. 238)
Dans l’ensemble, cependant, aussi frivole soit-il, nous préférons Rang et beauté aux deux autres romans que nous avons mentionnés. Le dialogue se montre plus naturel et plus vif; il y a une certaine ignorance franche, mais pas de pédanterie; et vous pouvez prendre l’intelligence stupéfiante de l’héroïne pour argent comptant, sans avoir à lire les réfutations qu’elle réplique aux sceptiques et aux philosophes, ou ses solutions rhétoriques aux mystères de l’univers.
Les écrivaines de l’école esprit-et-ganterie s’avèrent remarquablement unanimes dans le choix de leur élocution. Dans leurs romans, il y a généralement une dame ou un monsieur qui équivaut plus ou moins à un arbre à poison; l’amant a un torse viril; les esprits évoquent diverses choses; les cœurs sont malhonnêtes; les événements sont instrumentalisés; les camarades sont envoyé·e·s au tombeau; l’enfance se décrit comme une période engageante; le soleil est un luminaire qui se retire sur son canapé occidental, ou qui recueille les gouttes de pluie en son sein resplendissant; la vie représente une bénédiction mélancolique; Albion et Scotia17Ces termes poétiques réfèrent, respectivement, à l’Angleterre et à l’Écosse (N.D.L.R.). constituent des épithètes utilisées dans les conversations. Il y a également une ressemblance frappante dans la teneur de leurs commentaires moraux, par exemple : « C’est un fait, non moins vrai que mélancolique, que tous les gens, plus ou moins, riches ou pauvres, sont influencés par le mauvais exemple » (Stretton, 1855, vol. I, p. 263); que « Les livres, aussi insignifiants soient-ils, contiennent certains sujets dont on peut tirer des informations utiles18Citation introuvable. »; que « Le vice peut trop souvent emprunter le langage de la vertu »; que « Le mérite et la noblesse intrinsèques doivent exister pour être acceptés, car la clameur et la prétention ne peuvent s’imposer aux personnes qui connaissent trop bien la nature humaine pour être facilement trompées19Citation introuvable. »; et que « Pour pardonner, je dois avoir été blessée » (Anonyme, 1856b, vol. I, p. 301). Il y a sans doute une portion du lectorat à qui ces remarques paraissent particulièrement pointues et mordantes, car nous les trouvons souvent soulignées à double et triple trait de crayon, et des mains délicates traduisent leur adhésion résolue à ces nouveautés durables par un très vrai20En français dans le texte. accentué par de nombreuses marques exclamatives. Le style familier de ces romans se caractérise souvent par de nombreuses inversions ingénieuses, ainsi qu’un évitement minutieux de la phraséologie bon marché que l’on peut entendre au quotidien. De jeunes messieurs en colère s’exclament: « Il en est toujours ainsi, me semble-t-il21Citation introuvable. » et, dans la demi-heure qui précède le dîner, une jeune femme informe sa voisine que le premier jour où elle a lu Shakespeare, elle « s’est réfugiée dans le parc et, à l’ombre d’un arbre verdoyant, a dévoré avec ravissement les pages inspirées écrites par le grand magicien » (Moodie, 1853, vol. I, p. 254). Mais c’est dans leurs réflexions philosophiques que les écrivaines de l’espèce esprit-et-ganterie déploient leurs efforts les plus remarquables. L’autrice22Eliot présume le sexe de la personne anonyme derrière Laura Gay. de Laura Gay, par exemple, après avoir marié son héros et son héroïne, améliore l’événement en observant que « si les sceptiques, dont les yeux ont été si longtemps fixés sur la matière qu’ils ne voient rien d’autre en l’être humain, pouvaient une seule fois accéder à une telle félicité dans leur cœur et leur esprit, ce serait pour dire que l’âme de l’Homme et celle du poulpe n’ont ni la même origine ni la même texture » (vol. II, p. 291). Il appert que les femmes romancières voient autre chose que la matière. Elles ne se limitent pas aux phénomènes et peuvent soulager leurs yeux en apercevant parfois le noumène23Concept introduit par le philosophe allemand Immanuel Kant dans sa Critique de la raison pure (1781-87) afin de désigner la réalité en soi, en dehors de toute expérience (N.D.L.R.).; elles s’avèrent donc naturellement mieux placées que quiconque pour déconcerter les sceptiques, y comprend cette école remarquable, mais inconnue de nous, qui soutient que l’âme de l’Homme est de la même texture que celle du poulpe.
Les plus pitoyables de tous les romans idiots des dames romancières appartiennent à la catégorie que l’on peut qualifier d’oraculaire, c’est-à-dire des romans destinés à exposer les théories religieuses, philosophiques ou morales de l’autrice. Il semble qu’il existe chez les femmes une notion qui s’apparente à la superstition selon laquelle les paroles et les actes des personnes idiotes sont illuminés, et que l’être humain le plus dépourvu de bon sens constitue le meilleur vecteur de révélation. À en juger par leurs écrits, certaines dames pensent qu’une ignorance étonnante, à la fois de la science et de la vie, fournit la meilleure qualification possible pour se faire une opinion sur les questions morales et spéculatives les plus épineuses. Apparemment, leur recette pour résoudre toutes ces difficultés ressemble à la suivante: prendre la tête d’une femme, la farcir d’un peu de philosophie et de littérature hachées finement ainsi que de fausses conceptions de la société cuites à point, la laisser pendre au-dessus d’un bureau quelques heures par jour, puis la servir toute chaude dans un anglais médiocre lorsqu’elle n’est pas nécessaire. Vous rencontrerez rarement une romancière de la classe oraculaire qui doute de sa capacité à trancher les questions théologiques, qui soupçonne qu’elle n’a pas l’aptitude de distinguer avec la plus grande précision le bien et le mal dans tous les partis religieux, qui ne voit pas précisément comment l’humanité s’est trompée jusqu’à présent et qui plaint les philosophes en général de n’avoir pas eu l’occasion de la consulter. Les grands noms de la littérature, lesquels se sont modestement contentés de mettre leur expérience en fiction, et qui ont estimé qu’il s’agissait d’une tâche suffisante que de montrer les êtres et les choses tels qu’ils sont, la font soupirer d’ennui sous prétexte qu’ils ont lamentablement manqué d’application dans l’exercice de leurs pouvoirs. « Ils n’ont pas résolu de grandes questions24Citation introuvable. » – et elle est prête à remédier à leur omission en vous présentant une théorie complète de la vie et un manuel de théologie à l’intérieur d’une histoire d’amour, où des dames et des messieurs de bonne famille passent par des vicissitudes distinguées devant la confusion totale des déistes, des puséistes et des ultra-protestants25Eliot mentionne ici trois courants de pensée religieux qui traversent l’Angleterre du XIXe siècle: le déisme est un mouvement associé à l’empirisme qui soutient que la science moderne indique l’intervention d’un être divin à l’origine du monde; le puséisme est un mouvement anglocatholique qui cherche à ramener certaines pratiques religieuses abandonnées lors de l’établissement de l’Église anglicane; à l’opposé, l’ultra-protestantisme est marqué par l’anti-catholicisme et la promotion d’un empire britannique anglican (N.D.L.R.)., et à l’établissement parfait de cette vision particulière du christianisme qui se condense en une phrase en petites majuscules ou explose en un amas d’étoiles à la trois cent trentième page. Il est vrai que les dames et les messieurs ressemblent probablement très peu à ceux que vous avez eu la chance ou le malheur de rencontrer, car, en règle générale, la capacité d’une romancière à décrire la vie réelle et ses semblables s’avère inversement proportionnelle à son éloquence confiante au sujet de Dieu et de l’autre monde, et le moyen qu’elle choisit habituellement pour vous transmettre des vérités concernant l’invisible correspond à une image totalement fausse du visible.
Le roman L’Énigme: une page des chroniques de la Maison Wolchorley26Citation erronée. Le titre devrait plutôt être: L’Énigme: une page des archives de la Maison Wolchorley. constitue un roman oraculaire aussi typique que possible. L’» énigme » que ce roman doit résoudre en est certainement une qui exige des pouvoirs aussi gigantesques que ceux d’une romancière, puisqu’il s’agit ni plus ni moins de l’existence du mal. Le problème se voit énoncé dès la première page et la réponse, vaguement pressentie. La jeune fille fougueuse, aux cheveux de jais, dit : « Toute la vie est une confusion inextricable » (Anonyme, 1856b, p. 1), tandis que la jeune fille docile, aux cheveux auburn, regarde le tableau de la Madone qu’elle est en train de copier, et… « Voilà la solution de cette énigme redoutable » (p. 1). Ce roman arbore un style tout aussi élevé que son objectif; en effet, certains passages que nous avons patiemment étudiés restent tout à fait hors de notre portée, malgré l’aide illustrative de l’italique et des petites majuscules, et nous devons espérer un « développement » (p. 4) plus poussé pour les comprendre. D’Ernest, le jeune ecclésiastique modèle qui donne raison à tout le monde en toutes occasions, nous apprenons d’abord qu’» il ne tenait pas au mariage sous sa forme mercantile, après une profanation sociale » (p. 293) et que, lors d’une nuit mouvementée, « le sommeil n’avait pas visité son cœur divisé où tumultuaient, en types et combinaisons variés, les sentiments agrégés du chagrin et de la joie » (p. 289). En outre, « il n’avait aucune tolérance pour le commerce de l’article humain, qu’il soit de n’importe quelle sorte ou qu’il ait n’importe quelle valeur, que ce soit pour le culte ou la classe; son âme droite abhorrait cela, dont l’ultimatum, l’aveuglement, représentait pour lui le grand mensonge spirituel : “vivre sous une façade vaniteuse, tromper et être trompé”, puisqu’il ne supposait pas que le phylactère et les longues franges du vêtement27Allusion à un passage de la Bible (Mathieu, 23:5) qui associe l’ampleur des vêtements à la vanité : « Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi, ils portent de larges phylactères, et ils ont de longues franges à leurs vêtements » (Louis Second). étaient purement une ruse sociale » (p. 181). (L’italique et les petites majuscules proviennent de l’original et nous espérons qu’elles aideront le lectorat à comprendre.) De sir Lionel, le vieux gentleman modèle, on nous dit :
[L]’idéal simple du Moyen Âge, en dehors de son anarchie et de sa décadence28Citation erronée. Dans le texte cité, on retrouve plutôt : « son après-décadence ». [sic], semblait revivre en lui, lorsque les liens qui unissaient les êtres étaient de nature héroïque. Les couleurs originelles de la foi et de la vérité immaculée, gravées dans l’âme commune de l’Homme et réunies dans la grande arche de la fraternité, où la règle primitive de l’ordre se répandait de plus en plus et le nombre de ses disciples augmentait29Allusion à un passage de la Bible (Actes, 12:24) : « Cependant la parole de Dieu se répandait de plus en plus, et le nombre des disciples augmentait. » (Louis Second), tout cela étant parfait selon son espèce et mutuellement interdépendant. (p. 11)
Vous voyez clairement, bien sûr, comment les couleurs sont d’abord gravées dans l’âme, puis réunies dans une grande arche et, sur cette arche de couleurs – apparemment un arc-en-ciel –, la règle de l’ordre se répandait de plus en plus et le nombre de ses disciples augmentait, tout cela – apparemment l’arche et la règle – étant parfait selon son espèce? Si, après cela, vous souhaitez obtenir une assistance supplémentaire pour savoir ce qu’était sir Lionel, nous pouvons vous informer que, dans son âme, « les combinaisons scientifiques de la pensée ne pouvaient produire des harmonies plus complètes de ce qui est bien et vrai que celles se trouvant dans les pulsations primitives qui flottaient autour d’elle comme une atmosphère! » (p. 240) et que, lorsqu’il cachetait une lettre: « et voici que la palpitation réceptive dans la poitrine de ce brave homme renvoyait en toute vérité le témoignage honnête d’un cœur qui ne le condamnait pas, tandis que son œil baigné d’amour se posait aussi, avec une sorte de fierté ancestrale, sur la devise inaltérée de la famille […] : “Loiauté” » (p. 7).
La vulgarité des moindres sujets se voit fumigée par le même style raffiné. Les gens ordinaires diraient qu’un exemplaire de Shakespeare se trouve sur la table d’un salon, mais l’autrice30Eliot présume le sexe de la personne anonyme derrière L’Énigme. de L’Énigme, tenant résolument à ses périphrases édifiantes, vous dit qu’il y a sur la table « ce fond de pensées et de sentiments humains qui éduque le cœur à travers le petit nom de “Shakespeare” » (p. 14). Un gardien voit une lumière brûler plus longtemps que d’habitude à une fenêtre à l’étage et pense que les gens sont stupides de veiller tard alors qu’ils ont la possibilité d’aller au lit; or, de peur que ce fait ne paraisse trop modeste et commun, on nous le présente de la manière suivante, saisissante et métaphysique : « Il s’émerveillait – car un homme pense toujours pour les autres à partir d’une personnalité nécessairement séparée et, par conséquent (bien qu’il s’en défende), de prémisses mentales erronées – de la façon différente dont il agirait, avec quelle joie il priserait le repos si peu apprécié à l’intérieur » (p. 214). Un valet de pied – un Jeames31Allusion au personnage éponyme du roman de William Makepeace Thackeray, The Diary of C. Jeames de la Pluche (1846), à la suite duquel nombre de valets fictionnels ont porté le nom de « Jeames », une forme affectée de « James ». ordinaire avec de gros mollets et des voyelles aspirées – répond à un coup de sonnette et l’on profite de l’occasion pour vous dire qu’il était « typique de la large classe de subalternes gâtés qui perpétuent la malédiction de Caïn : “vagabonds” sur la surface de la Terre dont l’estimation de la race humaine varie suivant l’échelle graduée de l’argent et de la dépense […]. Telles sont, ô Angleterre, les fausses lumières de ta civilisation morbide! » (p. 265-266). Nous avons entendu parler de diverses « fausses lumières », du Dr Cumming à Robert Owen et du Dr Pusey aux spirites32John Cumming (1807-1881) est un homme d’église écossais, auquel George Eliot a consacré un article de la Westminster Review en 1855; Robert Owen (1771-1858) est un homme d’affaire et militant socialiste connu pour ses sentiments anti-religieux; Edward Bouverie Pusey (1800-1882) est un théologien à l’origine du mouvement puséiste (voir supra, note 25); les spirites, adeptes du populaire mouvement spiritualiste, croient en une version du christianisme où il est possible de communiquer avec les esprits des défunt·e·s (N.D.L.R.)., mais jamais de la fausse lumière qui émane de la peluche et de la poudre.
De même, des événements très ordinaires de la vie en société prennent l’allure des crises les plus terribles, et des dames en jupes évasées et manches à la chinoise33En français dans le texte. se conduisent d’une manière qui rappelle les héroïnes de mélodrames sanglants. Mme Percy, une femme du monde superficielle, souhaite que son fils Horace épouse Grace, une héritière aux cheveux auburn; toutefois, comme le font les fils, il tombe amoureux de Kate aux cheveux de jais, la cousine sans dot de l’héritière; en outre, Grace elle-même montre tous les symptômes d’une parfaite indifférence à l’égard d’Horace. Dans de tels cas, les fils sont souvent boudeurs ou fougueux, les mères sont tour à tour manipulatrices et méchantes, et la jeune fille sans dot reste souvent éveillée la nuit en pleurant un bon coup. Nous avons pris l’habitude de ces choses, tout comme nous avons pris l’habitude des éclipses lunaires, lesquelles ne nous font plus hurler ni cogner sur des pots en étain. Nous n’avons jamais entendu parler d’une dame en apparence chic se comportant comme Mme Percy dans de telles circonstances. Voyant un jour Horace parler à Grace à une fenêtre, sans savoir le moins du monde ce dont ils discutent, ni avoir la moindre raison de croire que Grace, qui est la maîtresse de maison et une personne digne, accepterait son fils s’il s’offrait à elle, Mme Percy se précipite soudain vers les jeunes gens et les étreint tous les deux en s’exclamant, « le visage enflammé et d’une manière excitée […] “Voilà un vrai bonheur, car, puis-je ne pas vous appeler ainsi, Grace? – ma Grace – la Grace de mon Horace! – mes chers enfants!” » (p. 146). Son fils l’informe qu’elle se trompe et qu’il s’est fiancé à Kate, après quoi nous assistons à la scène et au tableau suivants :
Rassemblant son énergie à un niveau sans précédent (!), ses yeux s’illuminant du feu de sa colère :
« Malheureux garçon! lâcha-t-elle d’une voix rauque et méprisante en serrant le poing. Reçois alors le châtiment que tu as toi-même choisi! Incline ta misérable tête et laisse ta mère… »
« Ne le maudissez pas! » dit une voix grave et profonde derrière elle. Mme Percy sursauta, effrayée, comme si elle avait vu apparaître un visiteur céleste qui la surprenait en plein péché34Citation erronée. Dans le texte cité, la phrase se termine par un point d’exclamation.. [sic]
Entretemps, Horace s’était agenouillé à ses pieds et se cachait le visage dans les mains.
Qui est donc cette personne qui, en véritable « ange gardien », s’était interposée entre le jeune homme et les paroles effrayantes, aussi imméritées soient-elles, ont dû planer comme un voile sur son existence future – un sort qui ne pouvait être délié, qui ne pouvait être dédit.
D’une pâleur terrestre, avec le calme immobile et implacable de la mort la seule qui fût calme à cet instant, Katherine se tenait debout et ses mots frappaient l’oreille par des tons dont l’intonation terriblement lente et distincte résonnait dans le cœur comme le retentissement glacial et isolé de quelque glas funèbre.
« Il aurait voulu me prêter son allégeance, mais je ne l’ai pas acceptée; vous ne pouvez donc pas… vous n’osez pas le maudire. Et maintenant, continua-t-elle en levant la main vers le ciel, où ses grands yeux sombres se levaient aussi, avec une lueur apaisée que la souffrance avait pour la première fois allumée dans ces sphères passionnées, je promets, contre vents et marées, qu’Horace Wolchorley et moi n’échangerons jamais de vœux sans l’assentiment de sa mère, sans la bénédiction de sa mère! » (p. 147-148).
Ici, et tout au long de l’histoire, nous constatons cette confusion des objectifs qui caractérise si bien les romans idiots écrits par des femmes. C’est le récit d’une société de salon tout à fait moderne – une société où l’on joue des polkas et où l’on discute du puséisme; pourtant, nous y trouvons des personnages, des incidents et des traits de caractère empruntés à la pièce aux romans d’amour les plus hétéroclites. Nous avons un harpiste irlandais atteint de cécité, « relique des bardes pittoresques d’autrefois » (p. 57), qui nous surprend lors d’un festin de thé et de gâteaux organisé par l’école du dimanche dans un village anglais. Nous avons une gitane toquée, vêtue d’une cape écarlate, qui chante des bribes de chansons romantiques et révèle un secret sur son lit de mort – dont peut témoigner un marchand nain et avare, qui salue les inconnu·e·s d’une malédiction et d’un rire diabolique – prouvant ainsi qu’Ernest, le jeune ecclésiastique modèle, est le frère de Kate. Et nous avons un Barney irlandais ultra-vertueux qui décèle la falsification d’un document en comparant la date du papier avec celle de la prétendue signature, bien que ledit document soit passé devant un tribunal et ait entraîné une décision fatale. La résidence de sir Lionel correspond à la vénérable maison de campagne d’une vieille famille, ce qui, nous le supposons, fait s’envoler l’imagination de l’autrice vers des donjons et des remparts où « voilà! le gardien sonne le clairon35Citation erronée. Dans le texte cité, on retrouve plutôt: « voilà! deux coups sonnés depuis la tour de garde ». » (p. 63); en effet, tandis que les pensionnaires se trouvent dans leur chambre à coucher lors d’une nuit dont se souvient certainement Pleaceman X36Référence au narrateur de « The Ballads of Policeman X », un chapitre du recueil de poèmes Ballads (1856) de William Makepeace Thackeray.. et qu’une brise se lève – dont on nous dit d’abord qu’elle était faible, puis qu’elle faisait courber les branches des vieux cèdres vers la pelouse –, elle tombe dans cette veine de description médiévale (l’italique est de nous) :
La bannière, elle se déploya au son de l’appel et secoua son aile gardienne vers le haut tandis que la chouette effrayée, elle s’agita dans le lierre; le firmament, à travers ses « yeux d’Argus », observa :
« Les mélodies muettes des ministres du paradis. »
Et voici que deux coups retentirent de la tour du gardien, puis son traducteur en contrebas répéta: « Deux heures ». (p. 63)
Les histoires comme celle de L’Énigme nous rappellent les images que les enfants intelligents dessinent parfois « à partir de leur propre imagination », où vous verrez une villa moderne se dressant à droite, deux chevaliers casqués se battant au premier plan et un tigre souriant dans une jungle à gauche, les différents objets se côtoyant parce que l’artiste les trouve jolis, et peut-être encore plus parce qu’il se souvient de les avoir vus dans d’autres images.
Mais nous aimons beaucoup mieux l’autrice sur ses échasses médiévales que sur ses échasses oraculaires, quand elle parle du Moi, du « subjectif » et de l’» objectif », et qu’elle trace la ligne exacte de la vérité chrétienne, entre « les excès de la main droite et les déclinaisons de la main gauche37L’expression fait peut-être allusion au tract A Hind Let Loose du Pasteur écossais Alexander Shields (c. 1660-1700), dans lequel on retrouve l’extrait suivant : « they came to be offended at Mr. Cargil’s faithfulness, who spared neither left hand declensions, nor right hand extremes » (1687, p. 171), soit « ils en vinrent à s’offusquer de la fidélité de M. Cargil, qui ne ménageait ni les déclinaisons de la main gauche, ni les extrêmes de la main droite ». ». Les personnes qui s’écartent de cette ligne sont présentées avec un air de charité condescendante. D’une certaine Mlle Inshquine, elle nous informe, avec toute la lucidité de l’italique et des petites majuscules, que « le fond, et non la forme, en tant que l’expression extérieure inévitable de l’esprit en cette ère de tabernacles évangéliques, l’absorbait faiblement » (p. 185). Et à propos38En français dans le texte. de Mlle Mayjar, une dame évangélique ayant un peu trop tendance à parler de ses visites aux femmes malades et de l’état de leurs âmes, on nous dit qu’Ernest – l’ecclésiastique modèle – « n’est pas du genre à ignorer, à travers la croûte supérieure, le sous-courant incitant le sujet au bien, ni les avantages positifs, néanmoins, de l’objet » (p. 182). Nous imaginons l’accent doublement raffiné et la saillie du menton qui se cachent modestement derrière l’italique dans les phrases de cette dame! Nous nous abstenons de citer ses passages doctrinaux oraculaires, car ils renvoient à des sujets trop sérieux pour nos présentes pages.
L’épithète « idiot » peut sembler impertinente lorsqu’ appliquée à un roman qui signale autant de lecture et d’activité intellectuelle que L’Énigme, mais nous l’utilisons à bon escient. Si, comme le monde en convient depuis longtemps, une très grande instruction ne rend pas un homme sage, une instruction très médiocre rendra encore moins une femme sage. Et la forme la plus malicieuse de l’idiotie féminine réside dans sa version littéraire, car elle tend à confirmer le préjugé populaire contre une plus solide éducation des femmes. Lorsque les hommes voient de jeunes filles perdre leur temps à se réunir au sujet de bonnets et de robes de bal, à ricaner ou à échanger des confidences amoureuses, ou qu’ils voient des femmes d’âge mûr supervisant mal leurs enfants et se consolant avec des ragots acerbes, ils ne peuvent guère s’empêcher de dire : « Pour l’amour du ciel, que les filles soient mieux éduquées, qu’elles aient de meilleurs sujets de réflexion et des occupations plus solides. » Cependant, après quelques heures passées à converser avec une femme littéraire oraculaire ou à lire ses livres, ils sont assez susceptibles d’affirmer :
Après tout, quand une femme accède au savoir, voyez l’usage qu’elle en fait! Ses connaissances restent des acquisitions au lieu de se transformer en culture; plutôt que d’être soumise à la modestie et à la simplicité par une plus grande familiarité avec la pensée et les faits, elle éprouve une conscience fébrile de ses réalisations; elle garde une sorte de miroir de poche mental, et y admire continuellement sa propre « intellectualité »; elle gâche le goûter d’autrui avec des questions de métaphysique; elle « rabaisse » les hommes à table par la supériorité de ses informations; et elle saisit l’occasion d’une soirée39En français dans le texte. pour nous catéchiser sur la question vitale de la relation entre l’esprit et la matière. Et puis, regardez ses écrits! Elle confond l’imprécision avec la profondeur, la grandiloquence avec l’éloquence et l’affectation avec l’originalité; elle se pavane sur une page, roule des yeux sur une autre, grimace sur une troisième et verse dans l’hystérie sur une quatrième. Elle peut avoir lu beaucoup d’écrits de grands hommes et quelques écrits de grandes femmes, mais elle ne parvient pas plus à distinguer son propre style du leur qu’un habitant du Yorkshire ne parvient à distinguer son propre anglais de celui d’un Londonien: la rodomontade est l’accent naturel de son intellect. Non, la nature générale des femmes constitue un sol trop superficiel et trop faible pour supporter un travail important; elle ne convient qu’aux cultures les plus légères.
Il est vrai que les hommes qui arrivent à une telle décision sur la base d’une observation aussi superficielle et imparfaite ne comptent peut-être pas parmi les plus sages du monde, mais nous n’avons pas à contester leur opinion ici – nous ne faisons que souligner la façon dont elle se trouve inconsciemment encouragée par de nombreuses femmes s’étant portées volontaires comme représentantes du cerveau féminin. Nous ne croyons pas qu’un homme n’ait jamais été conforté dans cette opinion en fréquentant une femme de véritable culture, dont l’esprit avait absorbé son savoir au lieu d’être absorbé par lui. Une femme véritablement cultivée, comme un homme véritablement cultivé, se montre d’autant plus simple et moins importune qu’elle a acquis des connaissances; celles-ci lui ont permis de se voir et de voir ses opinions dans des proportions à peu près exactes; elle n’en fait pas un piédestal d’où elle se flatte d’avoir une vue complète des êtres et des choses, mais un point d’observation à partir duquel elle se fait une idée juste d’elle-même. Elle ne débite pas de poésie et ne cite pas Cicéron à la moindre provocation, non pas parce qu’elle pense qu’il faut se plier aux préjugés des hommes, mais parce que cette manière de faire étalage de sa mémoire et de sa latinité ne lui paraît ni édifiante ni gracieuse. Elle n’écrit pas des livres pour déconcerter les philosophes, peut-être parce qu’elle est capable d’écrire des livres qui leur plaisent. Au cours d’une conversation, elle incarne la moins redoutable des femmes, car elle vous comprend sans vouloir vous faire réaliser que ce n’est pas réciproque. Elle ne vous donne pas d’informations, qui constituent la matière première de la culture – elle vous donne de la sympathie, qui en est l’essence la plus subtile.
Une catégorie de romans stupides plus nombreuse que celle des romans oraculaires (lesquels sont généralement inspirés par une certaine forme d’anglocatholicisme ou de christianisme transcendant) correspond à ce que nous pouvons appeler l’espèce à fichu blanc, qui reflète la pensée et les sentiments du parti évangélique. Cette espèce constitue une sorte de tract maniéré de grande envergure, destiné à servir de friandise médicinale aux jeunes protestantes – un substitut évangélique au roman à la mode, comme les May Meetings40L’expression « May Meetings » réfère aux assemblées annuelles tenues par les organisations religieuses (N.D.L.R.). remplacent l’opéra. Même les enfants quakers, pense-t-on, peuvent difficilement se voir refuser l’indulgence d’une poupée; mais celle-ci doit être vêtue d’une robe terne et d’un bonnet d’organdi – pas une poupée mondaine, enveloppée de gaze et de paillettes. Et il n’y a pas de jeunes femmes, nous l’imaginons – à moins qu’elles n’appartiennent à l’Église des Frères unis, où l’on se marie sans se courtiser – qui peuvent se passer d’histoires d’amour. Il existe ainsi, pour les jeunes femmes évangéliques, des histoires d’amour évangéliques dans lesquelles les vicissitudes de la passion douce se voient sanctifiées par une vision salvatrice de la régénération et de l’expiation. Ces romans diffèrent des romans oraculaires, comme une femme de la Basse Église diffère souvent d’une femme de la Haute Église41Les expressions « Haute Église » et « Basse Église » décrivent deux tendances opposées au sein du protestantisme britannique: d’une part, la propension aux rituels et à la liturgie typiquement anglocatholique; d’autre part, la simplicité et le contact direct promus par le mouvement protestant (N.D.L.R.).: ils sont un peu moins hautains et beaucoup plus ignorants, un peu moins corrects dans leur syntaxe et beaucoup plus vulgaires.
L’Orlando42Personnage typique de l’amoureux, Orlando apparait dans la comédie As You Like It (1599) de William Shakespeare (N.D.L.R.). de la littérature évangélique est le jeune vicaire, examiné du point de vue de la classe moyenne, où l’on comprend que les rabats en batiste produisent le même effet palpitant sur le cœur des jeunes filles que les épaulettes dans les classes supérieures et inférieures. Dans la version typique de ces romans, le héros est presque toujours un jeune vicaire – mal vu, peut-être par les mamans mondaines, mais captivant le cœur de leurs filles, qui ne peuvent « jamais oublier ce sermon-là »; des regards tendres s’échangent depuis les escaliers de la chaire au lieu de la loge de l’opéra, les tête-à-tête43En français dans le texte. s’accompagnent de citations de l’Écriture au lieu de citations des poètes, et les questions sur l’état des affections de l’héroïne se mêlent à des inquiétudes sur l’état de son âme. Le jeune vicaire provient toujours d’une société bien habillée et riche, sinon à la mode, car la sottise évangélique est aussi snob que n’importe quel autre type de sottise – et la romancière évangélique, tout en vous expliquant le type du bouc émissaire dans une page, ambitionne dans une autre de représenter les manières et les conversations des aristocrates. Ses tableaux de la société huppée donnent souvent des études curieuses, considérées comme des fruits de l’imagination évangélique; sur un point particulier, toutefois, les romans de l’école de la cravate blanche présentent un réalisme méritoire: leur héros favori, le jeune vicaire évangélique, s’avère toujours un personnage plutôt insipide.
Le plus récent roman de cette espèce que nous ayons sous les yeux s’intitule La vieille église grise. C’est un livre tout à fait bête et insipide; l’autrice ne semble pas avoir une compréhension approfondie de quelque ensemble d’objets que ce soit; nous serions bien en peine de conjecturer dans quelles phases de la vie elle a acquis son expérience si ce n’était de certains vulgarismes de style qui indiquent assez bien qu’elle a eu l’avantage, même si elle n’a pas réussi à le mettre à profit, de côtoyer surtout des hommes et des femmes dont les manières et le caractère n’ont pas été entièrement polis par un conventionnalisme raffiné. Il est moins excusable pour une romancière évangélique que pour toute autre de chercher sans raison ses sujets parmi les titres et les carrosses. Le véritable drame de l’évangélisme – lequel ne manque pas de beaux drames pour quiconque a assez de génie pour les discerner et les reproduire – se situe dans les classes moyennes et inférieures; et les opinions évangéliques ne sont-elles pas comprises comme accordant un intérêt particulier aux faibles de la terre plutôt qu’aux êtres puissants? Pourquoi, alors, nos romancières évangéliques ne peuvent-elles pas nous montrer l’application de leurs opinions religieuses parmi des gens (il y en a vraiment beaucoup dans le monde) qui n’ont pas de carrosse, « pas même un cabriolet en laiton44Citation introuvable. », qui arrivent même à manger leur dîner sans fourchette en argent et dans la bouche desquels l’anglais douteux de l’autrice serait strictement cohérent? Pourquoi n’avons-nous pas d’images de la vie religieuse des classes industrielles en Angleterre, aussi intéressantes que les images de la vie religieuse des communautés noires chez Mme Stowe45L’écrivaine et militante étatsunienne Harriet Beecher Stowe (1811-1896) a dénoncé l’esclavagisme dans son roman à succès Uncle Tom’s Cabin (1852) (N.D.L.R.).? Au lieu de cela, les dames pieuses nous donnent la nausée avec des romans qui nous rappellent ce que nous voyons parfois chez une femme mondaine récemment « convertie »: elle aime autant la bonne table qu’avant, mais elle invite des ecclésiastiques au lieu de galants; elle pense autant à sa tenue qu’avant, mais elle adopte un choix plus sobre de couleurs et de motifs; sa conversation reste aussi futile, mais la trivialité s’aromatise avec l’Évangile au lieu de commérages. Dans La vieille église grise, nous retrouvons le même simulacre évangélique du roman à la mode et, bien sûr, le baronnet malveillant et fourbe ne manque pas. Il vaut la peine de fournir un échantillon du style de conversation attribué à ce débauché de haute naissance – un style qui, dans ses italiques abondants et ses sous-entendus palpables, se montre digne de Mlle Squeers46Fanny Squeers est un personnage du roman Nicholas Nickelby (1839), de Charles Dickens. Fille du cruel éducateur Wackford Squeers, Mlle Squeers est elle-même manipulatrice et vaniteuse (N.D.L.R.).. Un soir, lors d’une visite aux vestiges du Colisée, le jeune ecclésiastique (Eustace) sépare l’héroïne (Mlle Lushington) du reste du groupe pour un tête-à-tête47En français dans le texte.. Le baronnet, jaloux, se défoule ainsi:
Les voici, et Mlle Lushington, sans doute, tout à fait en sûreté ; car elle se trouve sous la sainte supervision du pape Eustace Ier, qui lui a évidemment livré une homélie édifiante sur la malice des peuples païens d’autrefois ayant, comme nous le dit la tradition, lâché en ce lieu même les bêtes sauvages sur le pauvre saint Paul!– Oh, non! au fait, je crois que je me trompe, que je trahis mon manque de catéchisme et qu’il ne s’agissait pas du tout de saint Paul, ni d’ici. Mais peu importe, cela pourrait tout aussi bien servir de texte à prêcher et à partir duquel dévier vers les infidèles dégénéré·e·s d’aujourd’hui, ainsi que toutes ses vilaines pratiques, pour finir par une exhortation à « sortir du milieu d’eux et [à] se séparer48Référence à un passage de la Bible (Corinthiens, 6:17) : « C’est pourquoi, Sortez du milieu d’eux, Et séparez-vous, dit le Seigneur; Ne touchez pas à ce qui est impur, Et je vous accueillerai » (Louis Second) »; et je suis sûr, Mlle Lushington, que vous vous êtes conformée très scrupuleusement à cette injonction ce soir, car nous n’avons rien vu de votre personne depuis notre arrivée. Mais tout le monde semble d’accord pour dire que ce fut une charmante partie de plaisir, et je suis certain que nous nous sentons très redevables envers M. Gray de l’avoir suggérée; en outre, comme il paraît être un guide si capital, j’espère qu’il pensera à quelque chose d’autre qui nous plaira tous et toutes. (Scott, 1856, p. 197-198)
Ce genre de radotage dans le dialogue et la narration qui, à l’instar d’un mauvais dessin, ne dépeint rien et indique à peine ce qui est censé être dépeint, traverse tout le livre et nous ne doutons pas qu’il soit considéré par l’aimable autrice comme contribuant à l’amélioration de son roman, que les mères chrétiennes feront bien de mettre entre les mains de leurs filles. Or, tout est relatif; nous avons rencontré des adeptes du végétarisme en provenance des États-Unis dont le régime habituel était composé de grains crus et qui, lorsque leur appétit demandait à être stimulé, le titillaient avec des grains cuits; nous pouvons donc imaginer qu’il existe des cercles évangéliques dans lesquels La vieille église grise se dévore comme une fiction puissante et intéressante.
Les romans féminins idiots les moins lisibles appartiennent peut-être à l’espèce antique-moderne, nous racontant la vie domestique de Jannès et Jambrès, les liaisons amoureuses secrètes de Sennachérib, ou encore les luttes psychiques et la conversion finale de l’orfèvre Démétrius49Ces différentes figures de l’Antiquité apparaissent dans la Bible : Jannès et Jambrès sont des magiciens égyptiens qui s’opposent à Moïse; Sennachérib est un roi assyrien connu pour l’ampleur des tributs qu’il exige des peuples conquis; Démétrius est un artisan éphésien mentionné dans le Nouveau testament (Actes, 19:24-40) (N.D.L.R.).. La plupart des romans idiots nous permettent au moins de rire, mais ceux de l’école antique-moderne affichent une fatuité pesante, plombée, qui nous fait gémir. Quoi de plus révélateur de l’incapacité des femmes de lettres à mesurer leurs propres capacités que le fait qu’elles assument fréquemment une tâche qui ne peut se justifier que par la plus rare concomitance de l’acquisition et du génie? Le plus bel effort pour réanimer le passé n’est bien sûr qu’approximatif; il s’agit toujours plus ou moins d’une infusion de l’esprit moderne dans la forme ancienne : « Was ihr den Geist der Zeiten heisst, Das ist im Grund der Herren eigner Geist, In dem die Zeiten sich bespiegeln50« Ce que vous appelez l’esprit des temps n’est au fond que l’esprit même des auteurs, où les temps se réfléchissent » (traduit par Nerval, 1877, p. 44). » (Goethe, 1808, p. 45).
Si l’on admet que le génie qui s’est familiarisé avec toutes les reliques d’une époque ancienne peut parfois, par la force de sa divination sensible, rétablir les notes manquantes dans la « musique de l’humanité » (Wordsworth, 1798, p. 206) et reconstituer les fragments en un tout qui rapprochera réellement de nous le passé lointain et l’interprétera pour notre compréhension mal aiguisée – cette forme de pouvoir imaginatif doit toujours figurer parmi les plus rares, puisqu’elle exige autant de connaissances exactes et minutieuses que de vigueur créatrice. Pourtant, nous constatons que les femmes choisissent constamment de rendre leur médiocrité mentale plus apparente en l’habillant d’une mascarade de noms anciens, en mettant leur piètre sentimentalité dans la bouche de vestales romaines ou de princesses égyptiennes, ainsi qu’en attribuant leurs arguments rhétoriques à de grands prêtres juifs et à des philosophes grecs. Un récent exemple de cette lourde imbécillité réside dans Adonijah : un récit de la dispersion du peuple juif, volume d’une série « réunissant », nous dit-on, « le goût, l’humour et des principes solides » (Strickland, 1856, 4e couv.). Nous supposons qu’Adonijah incarne le récit des « principes solides », tandis que le goût et l’humour se retrouvent dans d’autres titres de la série. On nous annonce sur la couverture que les incidents de ce récit sont « d’un intérêt inhabituel51Citation introuvable. », et la préface se termine ainsi : « Pour les personnes qui s’intéressent à la dispersion d’Israël et de la Judée, ces pages peuvent peut-être fournir des informations sur un sujet important, tout en les divertissant. » (Hall, 1856, p. iv) Puisque le « sujet important » sur lequel ce livre se veut fournir des informations n’est pas spécifié, il peut se trouver dans un sens ésotérique dont nous n’avons pas la clé; toutefois, s’il a un rapport avec la dispersion d’Israël et de la Judée à n’importe quelle période de leur histoire, nous pensons qu’une écolière assez bien informée en sait déjà beaucoup plus que ce qu’elle trouvera dans ce « récit de la dispersion du peuple juif ». Adonijah fait tout simplement partie des histoires d’amour les plus médiocres, censées être instructives, supposons-nous, parce que le héros est un captif juif et l’héroïne, une vestale romaine; parce que le duo et leurs camarades ont choisi de se convertir au christianisme selon la méthode la plus courte et la plus facile approuvée par la Société pour l’évangélisation des Juifs52L’autrice fait ici allusion à l’organisation London Society for Promoting Christianity amongst the Jews, une association sioniste anglicane établie en 1809 visant non seulement l’évangélisation des personnes juives, mais aussi la reconnaissance des racines judaïques du christianisme (N.D.L.R.).; et parce que le roman, au lieu d’être écrit dans une langue claire, s’orne de ce style particulier de grandiloquence que certaines romancières considèrent comme donnant une coloration antique. Nous reconnaissons aussitôt ce dernier dans des phrases telles que celles-ci : « le splendide talent royal dont jouit indubitablement l’empereur Néron » (p. 5), « le rejeton mourant [d’une] haute source » (p. 222), « la vertueuse compagne de son canapé » (p. 168), « ah, par Vesta! » (p. 263) et « je te le déclare, Romain53Citation introuvable. ». Parmi les citations qui servent à la fois d’instructions et de décorations sur la couverture du volume, Mlle Sinclair nous informe que « [l]es œuvres relevant de l’imagination sont, de leur propre aveu, lues par des hommes de science, de sagesse et de piété » (4e couv.; Eliot souligne); nous supposons que le lectorat doit en tirer la conclusion encourageante que le Dr. Daubeny, M. Mill ou M. Maurice54Charles Daubeny (1795-1867) est un chimiste, botaniste et géologue anglais; John Stuart Mill (1806-1873) est un philosophe anglais précurseur du féminisme; Frederick Denison Maurice (1805-1872) est un théologien étatsunien adepte du socialisme chrétien (N.D.L.R.). peuvent ouvertement s’adonner à la lecture d’Adonijah, sans devoir dissimuler l’ouvrage parmi les coussins du sofa ou le parcourir par bribes sous la table à manger.
« Ne joue pas au boulanger ou à la boulangère si tu as la tête faite de beurre », dit un proverbe bien de chez nous que nous pouvons interpréter comme signifiant qu’aucune femme ne doit se précipiter dans l’imprimerie si elle n’est pas préparée à en subir les conséquences. Nous avons conscience que nos remarques sont d’un ton très différent de celui des critiques qui – avec une récurrence perpétuelle d’émotions tout à fait similaires et seulement comparables, nous l’imaginons, à l’expérience des infirmières postpartum – disent à une romancière après l’autre qu’ils « saluent » ses productions « avec délectation ». Nous avons conscience que les dames visées par notre critique ont l’habitude de se voir dire, dans la plus belle phraséologie exagérément flatteuse, que leurs représentations de la vie sont brillantes, leurs personnages bien dessinés, leur style fascinant et leurs sentiments nobles. Mais si elles sont enclines à s’indigner de notre langage austère, nous leur demandons de réfléchir un instant à l’éloge prudent, et souvent au blâme pointilleux, que leurs panégyristes adressent aux écrivaines dont les œuvres s’apprêtent à devenir des classiques. À peine une femme montre-t-elle qu’elle a du génie ou un talent efficace, qu’elle reçoit l’hommage d’être modérément louée et sévèrement critiquée. Par un ajustement thermométrique particulier, lorsque le talent d’une femme est à zéro, l’approbation journalistique grimpe au point d’ébullition; quand l’une accède à la médiocrité, l’autre ne dépasse pas la chaleur de l’été; puis, si jamais elle atteint l’excellence, l’enthousiasme critique tombe au point de congélation. Harriet Martineau, Currer Bell et Mme Gaskell55Harriet Martineau (1802-1876) est une essayiste socialiste britannique et l’une des premières femmes occidentales à vivre de sa plume; Currer Bell est le pseudonyme sous lequel Charlotte Brontë (1816-1855) a publié, entre autres, le roman Jane Eyre (1847); Elizabeth Gaskell (1810-1865) a elle aussi écrit plusieurs romans, dont North and South (1854-1855) (N.D.L.R.). ont reçu un traitement aussi cavalier que si elles avaient été des hommes. Et tout critique se faisant une haute idée de la part que les femmes pourront prendre à terme dans la littérature s’abstiendra par principe de toute indulgence exceptionnelle à l’égard des productions des femmes de lettres. Car il est évident pour quiconque examine de manière impartiale et approfondie la littérature féminine que ses plus grandes déficiences ne sont guère plus dues à un manque de puissance intellectuelle qu’à l’absence des qualités morales qui contribuent à l’excellence littéraire : la diligence patiente, le sens de la responsabilité qu’implique la publication et la reconnaissance de la sacralité de l’art d’écrire. Dans la plupart des ouvrages de femmes, on constate cette sorte de facilité qui naît de l’absence de toute norme élevée, cette fécondité en combinaisons imbéciles ou en faibles imitations qu’un peu d’autocritique permettrait d’enrayer et de réduire à la stérilité; de même qu’en l’absence totale d’oreille musicale, les gens chantent faux, alors qu’il suffirait d’un peu plus de sensibilité mélodique pour qu’ils se taisent. La vanité insensée qui consiste à vouloir paraître dans les journaux, au lieu d’être contrebalancée par la conscience de la dépréciation intellectuelle ou morale qu’implique une activité littéraire futile, semble encouragée par l’impression extrêmement fausse que le fait d’écrire tout court est une preuve de supériorité chez une femme. Pour cette raison, nous pensons que l’intellect moyen des femmes se trouve injustement représenté par la masse de la littérature féminine, et que si les quelques femmes qui écrivent bien se situent très au-dessus du niveau intellectuel ordinaire de leur sexe, les nombreuses femmes qui écrivent mal se situent très au-dessous de celui-ci. Si bien qu’en fin de compte, les critiques les plus sévères accomplissent un devoir chevaleresque en privant la simple auctorialité féminine de tout faux prestige susceptible de lui conférer un attrait illusoire et en recommandant aux femmes aux facultés médiocres de s’abstenir d’écrire – ce qui constitue à tout le moins un service qu’elles peuvent rendre à leur sexe par omission.
Les femmes qui deviennent écrivaines sans qualification particulière s’excusent toujours en disant que la société les exclut des autres sphères d’activité. La société a des torts considérables et doit répondre de la fabrication de nombreux produits malsains, depuis les mauvais cornichons jusqu’à la mauvaise poésie. Mais la société, comme la « matière », le gouvernement de Sa Majesté et d’autres nobles abstractions, a sa part à la fois de reproches et d’éloges excessifs. Là où une femme écrit par nécessité, nous croyons qu’il y en a trois qui écrivent par vanité; il y a d’ailleurs quelque chose de si antiseptique dans le fait simple et sain de travailler pour gagner son pain que la littérature féminine la plus vulgaire et la plus pourrie n’aurait probablement pas été produite dans de telles circonstances. « Tout travail porte ses fruits », mais il nous semble que les romans idiots écrits par des dames résultent moins d’un travail que d’une oisiveté affairée.
Heureusement, nous ne dépendons pas de la rhétorique pour prouver que la fiction constitue un domaine de la littérature dans lequel les femmes peuvent, selon leur espèce, égaler pleinement les hommes. Un lot de grands noms, tant vivants que morts, viennent rapidement à notre mémoire pour attester que les femmes peuvent produire des romans non seulement bons, mais parmi les meilleurs – des romans qui possèdent aussi une particularité précieuse, tout à fait indépendante des aptitudes et de l’expérience masculines. Aucune restriction en matière d’éducation ne peut écarter les femmes de la matière romanesque, et nul art n’est à ce point libre d’exigences rigides. Comme les masses cristallines, la fiction peut prendre n’importe quelle forme tout en étant magnifique; il suffit d’y verser les bons éléments : observation sincère, humour et passion. Mais c’est précisément dans cette absence d’exigences rigides que réside la séduction fatale de l’écriture romanesque pour les femmes incompétentes. Les dames n’ont pas l’habitude de se tromper lourdement sur leur capacité à jouer du piano; dans ce cas, il faut surmonter certaines difficultés d’exécution et l’incompétence finit toujours par craquer. Tout art assorti d’une technique56En français dans le texte. absolue se trouve, dans une certaine mesure, protégé des intrusions de la simple imbécillité gauchère. En revanche, l’écriture romanesque ne pose aucune barrière à l’incapacité ni aucun critère externe pour empêcher une personne de méprendre une aisance insensée pour de la maîtrise. C’est ainsi que nous retrouvons encore et encore la vieille histoire de l’âne de La Fontaine, qui colle son nez à la flûte et qui, constatant qu’il en tire quelque son, s’exclame : « Moi, aussi, je joue de la flûte57Citation et attribution erronées. La fable L’âne et la flûte a été écrite par Jean-Pierre Claris de Florian. La citation exacte se lit comme suit : « Eh! Je joue aussi de la flûte! » (1793, p. 172). » – une fable que nous recommandons, en terminant, à la considération de toute lectrice à risque d’augmenter le nombre des « romans idiots des dames romancières ».
Notes de bas de page
- 1En français dans le texte. (Sauf indication contraire, toutes les notes sont de la traductrice.)
- 2Sauf indication contraire, toutes les traductions des citations et des titres sont de la traductrice
- 3Georg Friedrich Creuzer (1771-1858) est un savant allemand spécialiste de la mythologie grecque.
- 4L’autrice fait ici référence à une citation du poète anglais Alexander Pope qui, à la question : « Lord Bolingbroke comprend-il l’hébreu? », aurait répondu : « Non, mais il comprend ce type de savoir, et ce qui est écrit à son sujet. » La conversation est rapportée par le révérend Joseph Spence, dans son ouvrage intitulé Anecdotes, Observations, and Characters, of Books and Men. Collected from the Conversation of Mr. Pope, and Other Eminent Persons of His Time (1820, p. 178). Lord Henry St. John Bolingbroke (1678-1751) est influent un homme politique et philosophe anglais.
- 5Citation introuvable.
- 6En français dans le texte.
- 7En français dans le texte.
- 8Citation introuvable.
- 9En français dans le texte.
- 10En français dans le texte.
- 11Inauguré en 1765, le club Almack’s a été l’établissement le plus exclusif de la haute société londonienne jusqu’à son déclin dans les années 1830 (note de la rédaction, ci-après « N.D.L.R. »).
- 12Le poète et banquier anglais Samuel « Breakfast » Rogers (1763-1855) est connu pour ses petits-déjeuners réunissant le gratin intellectuel de l’époque (N.D.L.R.).
- 13En français dans le texte.
- 14En français dans le texte.
- 15En français dans le texte.
- 16Connu pour ses portraits, Antoon van Dyck (1599-1641) est un peintre flamand qui a séjourné plusieurs fois à Londres durant sa carrière (N.D.L.R.).
- 17Ces termes poétiques réfèrent, respectivement, à l’Angleterre et à l’Écosse (N.D.L.R.).
- 18Citation introuvable.
- 19Citation introuvable.
- 20En français dans le texte.
- 21Citation introuvable.
- 22Eliot présume le sexe de la personne anonyme derrière Laura Gay.
- 23Concept introduit par le philosophe allemand Immanuel Kant dans sa Critique de la raison pure (1781-87) afin de désigner la réalité en soi, en dehors de toute expérience (N.D.L.R.).
- 24Citation introuvable.
- 25Eliot mentionne ici trois courants de pensée religieux qui traversent l’Angleterre du XIXe siècle: le déisme est un mouvement associé à l’empirisme qui soutient que la science moderne indique l’intervention d’un être divin à l’origine du monde; le puséisme est un mouvement anglocatholique qui cherche à ramener certaines pratiques religieuses abandonnées lors de l’établissement de l’Église anglicane; à l’opposé, l’ultra-protestantisme est marqué par l’anti-catholicisme et la promotion d’un empire britannique anglican (N.D.L.R.).
- 26Citation erronée. Le titre devrait plutôt être: L’Énigme: une page des archives de la Maison Wolchorley.
- 27Allusion à un passage de la Bible (Mathieu, 23:5) qui associe l’ampleur des vêtements à la vanité : « Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi, ils portent de larges phylactères, et ils ont de longues franges à leurs vêtements » (Louis Second).
- 28Citation erronée. Dans le texte cité, on retrouve plutôt : « son après-décadence ».
- 29Allusion à un passage de la Bible (Actes, 12:24) : « Cependant la parole de Dieu se répandait de plus en plus, et le nombre des disciples augmentait. » (Louis Second)
- 30Eliot présume le sexe de la personne anonyme derrière L’Énigme.
- 31Allusion au personnage éponyme du roman de William Makepeace Thackeray, The Diary of C. Jeames de la Pluche (1846), à la suite duquel nombre de valets fictionnels ont porté le nom de « Jeames », une forme affectée de « James ».
- 32John Cumming (1807-1881) est un homme d’église écossais, auquel George Eliot a consacré un article de la Westminster Review en 1855; Robert Owen (1771-1858) est un homme d’affaire et militant socialiste connu pour ses sentiments anti-religieux; Edward Bouverie Pusey (1800-1882) est un théologien à l’origine du mouvement puséiste (voir supra, note 25); les spirites, adeptes du populaire mouvement spiritualiste, croient en une version du christianisme où il est possible de communiquer avec les esprits des défunt·e·s (N.D.L.R.).
- 33En français dans le texte.
- 34Citation erronée. Dans le texte cité, la phrase se termine par un point d’exclamation.
- 35Citation erronée. Dans le texte cité, on retrouve plutôt: « voilà! deux coups sonnés depuis la tour de garde ».
- 36Référence au narrateur de « The Ballads of Policeman X », un chapitre du recueil de poèmes Ballads (1856) de William Makepeace Thackeray.
- 37L’expression fait peut-être allusion au tract A Hind Let Loose du Pasteur écossais Alexander Shields (c. 1660-1700), dans lequel on retrouve l’extrait suivant : « they came to be offended at Mr. Cargil’s faithfulness, who spared neither left hand declensions, nor right hand extremes » (1687, p. 171), soit « ils en vinrent à s’offusquer de la fidélité de M. Cargil, qui ne ménageait ni les déclinaisons de la main gauche, ni les extrêmes de la main droite ».
- 38En français dans le texte.
- 39En français dans le texte.
- 40L’expression « May Meetings » réfère aux assemblées annuelles tenues par les organisations religieuses (N.D.L.R.).
- 41Les expressions « Haute Église » et « Basse Église » décrivent deux tendances opposées au sein du protestantisme britannique: d’une part, la propension aux rituels et à la liturgie typiquement anglocatholique; d’autre part, la simplicité et le contact direct promus par le mouvement protestant (N.D.L.R.).
- 42Personnage typique de l’amoureux, Orlando apparait dans la comédie As You Like It (1599) de William Shakespeare (N.D.L.R.).
- 43En français dans le texte.
- 44Citation introuvable.
- 45L’écrivaine et militante étatsunienne Harriet Beecher Stowe (1811-1896) a dénoncé l’esclavagisme dans son roman à succès Uncle Tom’s Cabin (1852) (N.D.L.R.).
- 46Fanny Squeers est un personnage du roman Nicholas Nickelby (1839), de Charles Dickens. Fille du cruel éducateur Wackford Squeers, Mlle Squeers est elle-même manipulatrice et vaniteuse (N.D.L.R.).
- 47En français dans le texte.
- 48Référence à un passage de la Bible (Corinthiens, 6:17) : « C’est pourquoi, Sortez du milieu d’eux, Et séparez-vous, dit le Seigneur; Ne touchez pas à ce qui est impur, Et je vous accueillerai » (Louis Second)
- 49Ces différentes figures de l’Antiquité apparaissent dans la Bible : Jannès et Jambrès sont des magiciens égyptiens qui s’opposent à Moïse; Sennachérib est un roi assyrien connu pour l’ampleur des tributs qu’il exige des peuples conquis; Démétrius est un artisan éphésien mentionné dans le Nouveau testament (Actes, 19:24-40) (N.D.L.R.).
- 50« Ce que vous appelez l’esprit des temps n’est au fond que l’esprit même des auteurs, où les temps se réfléchissent » (traduit par Nerval, 1877, p. 44).
- 51Citation introuvable.
- 52L’autrice fait ici allusion à l’organisation London Society for Promoting Christianity amongst the Jews, une association sioniste anglicane établie en 1809 visant non seulement l’évangélisation des personnes juives, mais aussi la reconnaissance des racines judaïques du christianisme (N.D.L.R.).
- 53Citation introuvable.
- 54Charles Daubeny (1795-1867) est un chimiste, botaniste et géologue anglais; John Stuart Mill (1806-1873) est un philosophe anglais précurseur du féminisme; Frederick Denison Maurice (1805-1872) est un théologien étatsunien adepte du socialisme chrétien (N.D.L.R.).
- 55Harriet Martineau (1802-1876) est une essayiste socialiste britannique et l’une des premières femmes occidentales à vivre de sa plume; Currer Bell est le pseudonyme sous lequel Charlotte Brontë (1816-1855) a publié, entre autres, le roman Jane Eyre (1847); Elizabeth Gaskell (1810-1865) a elle aussi écrit plusieurs romans, dont North and South (1854-1855) (N.D.L.R.).
- 56En français dans le texte.
- 57Citation et attribution erronées. La fable L’âne et la flûte a été écrite par Jean-Pierre Claris de Florian. La citation exacte se lit comme suit : « Eh! Je joue aussi de la flûte! » (1793, p. 172).
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Revue PréfiX
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