La justice est indivisible : la Palestine comme enjeu féministe
Informations sur la traduction Traduction de l’anglais par Liza Hammar. Révision par Francis Dupuis-Déri et Ariane Gibeau Source du texte original « Justice is indivisible : Palestine as a feminist issue », dans la revue Decolonization : Indigenity, Education & Society (vol. 6, no. 1, pp. 45-63), aujourd’hui en dormance, mais qui publiait sous le principe de la Creative Commons Attribution License, permettant de partager les textes en précisant la source, et avec l’autorisation de l’auteure, que Nada Elia nous a gracieusement accordée (nous l’en remercions). Traduction de Liza Hammar, avec la collaboration de Francis Dupuis-Déri. |
Note sur la traduction L’article traduit ici en français s’inscrit précisément dans cette démarche d’interpellation critique des féministes non-palestiniennes, y compris juives et racisées. Le titre « Justice is indivisible » reprend une déclaration de Martin Luther King Jr., et le sous-titre, « Palestine as a feminist issue », est inspiré d’un texte d’Angela Davis. Le texte est paru en 2017 dans un numéro spécial intitulé « Palestine Lives » de la revue aujourd’hui en dormance, Declonization : Indigenity, Education & Society, qui proposait aussi des articles comparant l’apartheid sud-africain et israélien (Leigh-Ann Naidoo) ou le colonialisme de peuplement aux États-Unis et en Israël (Johanna Fernandez). La traduction de ce texte est une initiative du Chantier sur l’antiféminisme du Réseau québécois en études féministes (RéQEF). En termes politiques, il y a alors une dizaine d’années que la bande de Gaza, minuscule territoire où s’entasse une population pauvre, y compris dans des camps de réfugié·es, est sous le contrôle du Hamas. Cette force politique islamiste en a expulsé de manière plutôt brutale le parti laïque du Fatha, du président palestinien Mahmoud Abbas qui contrôle encore aujourd’hui la Cisjordanie, menacée par les attaques de colons. En Occident, le Hamas est souvent diabolisé par la majorité comme l’équivalent palestinien de l’État islamique en Irak et en Syrie ou des talibans afghans, une force autoritaire, voire totalitaire, réactionnaire et patriarcale. Rappelons pour mémoire que bien des féministes aux États-Unis ont appuyé l’invasion militaire de l’Afghanistan par la coalition menée par les États-Unis, en 2001, tant elles espéraient voir les talibans vaincus, pour libérer les Afghanes. Pour leur part, bien des Afghanes rappelaient que leur problème principal restait la désolation que leur apportaient la guerre et la violence de l’occupation militaire occidentale, des propos qui font échos à ceux de Nada Elia au sujet de la Palestine écrasée par l’armée israélienne. Ce texte est aussi une réaction à la période 2015-2016, marquée par un regain de tensions meurtrières entre Israël et la Palestine, y compris quelques attaques aux couteaux menées par des Palestiniens à Jérusalem, qui ont attirées l’attention sur la scène internationale. En termes de rapports de force et de capacités de lutte, ces attaques aux couteaux doivent pourtant être comparées à la puissance de feu de l’armée israélienne, et même de colons, qui provoque évidemment bien plus de morts et blessés du côté palestinien qu’Israélien. L’armée israélienne, par exemple, compte 10 fois plus de chars d’assaut que l’armée française et 20 fois plus que l’armée canadienne. Le Hamas n’a pas de chars d’assaut… La publication de cette version française a été en grande partie motivée par la turbulence provoquée par l’offensive des troupes du Hamas lancée le 7 octobre qui a provoqué plus de 1 000 victimes du côté israélien, et surtout la réplique israélienne qui, à ce jour, a provoqué plus de 30 000 victimes du côté de Gaza, ainsi qu’un déplacement de plus de la moitié de la population et la destruction d’une ampleur inégalée, y compris d’hôpitaux, d’universités, d’écoles et de bibliothèques (sans parler des morts qui s’accumulent aussi en Cisjordanie). Cette violence à grande échelle a provoqué des ondes de choc dans les réseaux universitaires, y compris féministes, en Amérique du Nord et en Europe, alors que des voix (pro)palestiniennes ont été muselées par les directions d’établissement (voir, à ce sujet, Francis Dupuis-Déri, « Où sont les défenseurs de la liberté universitaire ? », Le Devoir, 25 janvier 2024). Même si le texte de Nada Elia est plutôt pessimisme à ce sujet, et traduit un terrible isolement politique, notons que quelques féministes juives se mobilisent aujourd’hui contre le génocide, dont la célèbre Judith Butler, qui réclame publiquement un cessez-le-feu, le droit de retour pour la population palestinienne et le démantèlement des structures coloniales, ainsi que Rosalind Pollack Petchesky, 81 ans, qui avait étudié l’antiféminisme et la nouvelle droit dans les années 1980, qui a codirigé en 2021 avec Esther Farmer et Sarah Sills l’ouvrage A Land With A People : Palestinians and Jews Confront Zionism et qui a été récemment arrêtée à deux reprises à New York dans des mobilisations du groupe Jewish Voice for Peace contre le gouvernement israélien et l’appui qui lui offre le gouvernement des États-Unis. Pendant ce temps, le Palestinian Feminist Collective appelle pour le 8 mars à participer à la campagne Third World Women Resist, à Chicago, Détroit, Los Angeles et San Francisco, déclarant qu’on « constate que des “féministes” sionistes, colonialistes et impérialistes s’approprient le vocabulaire des droits des femmes pour discréditer la lutte de libération palestinienne » et qu’« il n’y a pas de place pour des génocidaires et leurs alliées dans des mouvements féministes anti-impérialistes et décoloniaux. » |
« Permettez-moi de revenir à Wafa Idris1N.D.T. : Née en 1977 en morte en 2002, cette infirmière est considérée comme la première Palestinienne à avoir perpétré un attentat suicide à la bombe. L’explosion à Jérusalem a provoqué la mort d’un ou deux Israéliens (selon les sources). Le magazine Time lui a même consacré sa « une », avec sa photo de graduation en toge et diplôme à la main, sur laquelle est superposé le titre « Suicide Bombers ».. Où les femmes radicales de couleur, qui mettons l’accent sur les intersections de race, de classe, de genre, de sexisme, d’homophobie, de colonialisme et d’impérialisme, la situons-nous ? Allons-nous explorer l’impact de la colonisation sur la famille de Wafa ? Des familles palestiniennes ? Des communautés palestiniennes ? […] Allons-nous nous intéresser à l’analyse des féministes palestiniennes sur la résistance des femmes ? Où la situons-nous dans le contexte des métaphores féministes de l’héroïsme qui mettent en évidence les transformations des femmes de la passivité à l’agentivité ? Et comment les théorisations féministes du corps peuvent-elles appréhender une femme qui utilise son corps comme une arme contre une machine militaire inarrêtable ? »
—Nadine Naber (2006)
« Nous sommes toujours face au défi de comprendre les façons complexes dont la race, la classe sociale, le genre, la sexualité, la nation et les capacités sont étroitement imbriqués, mais aussi de savoir comment dépasser ces catégories pour comprendre les interrelations d’idées et de processus qui semblent distincts et sans lien aucun. Insister sur les liens entre les luttes contre le racisme aux États-Unis et les luttes contre la répression israélienne contre les Palestiniens est, en ce sens, une démarche féministe. »
—Angela Davis (2016)
Introduction
Lorsque la National Women’s Studies Association (NWSA) a voté à une écrasante majorité en faveur de la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) lors de sa convention annuelle de novembre 2015, la chercheuse et militante palestinienne Rabab Abdulhadi a parlé d’un « brunissement de l’organisation », d’un changement démographique au sein de la plus grande association universitaire du Nord global consacrée à la recherche sur le genre (Redden, 2015). Abdulhadi considère que ce changement démographique est à l’origine du vote qui reconnaît non seulement l’oppression du peuple palestinien, mais approuve et appuie une stratégie pour y mettre fin. La campagne BDS est un appel à la solidarité internationale sous forme de boycott, de désinvestissement et de sanctions contre Israël, jusqu’à ce que celui-ci respecte le droit international et mette fin à ses violations des droits humains contre le peuple palestinien. L’appel à BDS a été lancé en juillet 2005. Dix ans plus tard, ce qui n’était au départ qu’un murmure discret relégué aux marges de divers groupes progressistes est devenu un chœur de voix réclamant la fin du traitement odieux qu’inflige Israël aux peuples autochtones dont il occupe les terres. Ce changement discursif, en grande partie attribuable aux débats provoqués par les résolutions BDS, représente un éclatement du mythe sioniste de la « démocratie » et de la fragilité israéliennes – sa prétendue vulnérabilité au milieu d’une région hostile et agressive. L’immense désir de tenir Israël responsable de ses crimes émerge avec la prise de conscience croissante, chez diverses communautés, que cet État n’est pas une démocratie en danger, mais un État colonisateur violemment raciste. En effet, on peut soutenir que le succès le plus significatif de la campagne BDS jusqu’à présent a été de provoquer une discussion sur les violations israéliennes du droit international et des droits humains du peuple palestinien. Cette discussion précède chaque vote de boycott et de désinvestissement par un conseil municipal, une coopérative, une église ou une association professionnelle. Les discussions, débats et forums ouverts mettent à mal le récit sioniste, qui ne peut être maintenu que par le silence et la censure des contre-histoires.
Le vote de la NWSA a été suivi de votes semblables, accompagnés de longues discussions, de l’Asian American Studies Association (AASA), de la Native American and Indigenous Studies Association (NAISA) et de l’American Studies Association (ASA), pour ne citer que quelques-unes des associations universitaires nationales professionnelles. Depuis, d’autres groupes ont adopté des résolutions en faveur de BDS, et plusieurs, comme la Modern Language Association (MLA), ne sont qu’à quelques étapes d’une résolution2N.D.T. : Finalement, en juin 2017, l’association rejetait la proposition d’appuyer BDS par 1 954 voix contre 885..
Or, bien que la composition de la NWSA ait effectivement changé depuis la création du groupe en 1977, on ne peut pas présumer que le « féminisme brun » est monolithique, ni qu’il a toujours soutenu les luttes anticoloniales – du moins pas jusqu’à inclure la Palestine. L’appel de Nadine Naber à la cohérence, cité en épigraphe de ce texte, est la preuve que le sort des Palestinien·nes a souvent été négligé, y compris dans les cercles féministes radicaux. Certes, des alliances de longue date existent entre les Palestinien·nes et d’autres groupes radicaux issus de communautés de couleur. Ainsi, le Women of Color Resource Center, basé à San Francisco, a toujours été constant dans sa dénonciation du colonialisme et du racisme. Sous la direction compétente de la directrice Linda Burnham, il a aussi identifié le sionisme comme une forme de racisme, dès 2000. INCITE! Women of Color Against Violence a publié ses « Points d’unité pour la Palestine » peu de temps après sa formation, bien qu’il ait fallu mener de nombreux débats internes, ce qui démontre que les alliances sont forgées, gagnées, et non spontanées.
Cependant, il y a peu de féministes palestiniennes qui n’ont pas expérimenté un certain degré de suspicion, d’incompréhension ou de forte hostilité au sein des communautés de couleur, y compris féministes. Et plus nous remontons dans l’histoire (bien que récente), plus c’est le cas. Alors qu’il était évident pour certain·es militantes radicales du Nord Global que notre lutte n’était pas différente de celle de n’importe quel peuple colonisé, notre aspiration à la libération a été trop souvent mal interprétée comme de l’antisémitisme, plutôt qu’une impulsion organique pour chérir la liberté, la dignité, l’autodétermination3J’utilise ici « Féministes du Nord Global » pour renvoyer aux féministes géographiquement localisées dans le Nord Global, qui ont intégré le discours sioniste – un discours du Nord Global – indépendamment de leur ethnicité. Hélas, il y a de nombreuses féministes de couleur dans cette catégorie.. Comme le dit Angela Davis (2016) : « Les questions importantes dans la lutte palestinienne pour la liberté et l’autodétermination sont minimisées et rendues invisibles par ceux et celles qui tentent d’assimiler à du terrorisme la résistance palestinienne contre l’apartheid israélien ». Cette position est moins fréquente aujourd’hui, mais ne relève certainement pas de l’histoire ancienne et ne prévaut pas uniquement chez les féministes blanches. En fait, ces « questions importantes » sont rendues invisibles pour la plupart des personnes qui ne cherchent pas intentionnellement la vérité ; même des féministes racisées de renom n’ont pas toujours appréhendé la question palestinienne comme une question décoloniale4J’ai documenté certains de nos défis dans les cercles des femmes de couleur dans « The Burden of Representation : When Palestinians Speak Out », dans Rabab Abdulhadi, Evelyn Alsultany, and Nadine Naber (dir.), Arab and Arab-American Feminisms : Gender, Violence, and Belonging, Syracuse, Syracuse University Press, 2011..
L’exclusion historique de la Palestine d’un projet politique par ailleurs progressiste a donné naissance à un acronyme bien connu, le syndrome PEP : Progressive except for Palestine [Progressiste sauf pour la Palestine]. Et malheureusement, le PEP n’est pas et n’a jamais été une maladie exclusivement blanche. Alors que les Palestinien·nes et leurs allié·es accueillent favorablement le vote de la NWSA, qui considère la reconnaissance importante et si longuement attendue de la justice pour la Palestine comme une question féministe, beaucoup n’y voient pas là la conséquence du « brunissement de l’organisation », mais plutôt d’un affaiblissement tardif du PEP au sein des communautés noires, autochtones, latin@s ainsi que blanches. Il serait naïf, voire stupide, de chercher une alliance organique et sans entrave entre les personnes de couleur autour de la question de la Palestine, ou même autour de toute question de racisme. La nature du racisme est telle qu’elle nous divise, nous oppose les un·es aux autres. Malheureusement, de nombreux·se Palestinien·nes, tout comme des millions d’Arabes, ont intériorisé les stéréotypes négatifs, omniprésents dans le discours dominant, à propos des communautés de couleur ; iels peuvent donc être et sont souvent racistes envers les peuples autochtones, les Noir·es et les Latin@s. De plus, les « Jeux olympiques de l’oppression », ou la compétition pour prouver que sa communauté ou son groupe social est le plus opprimé, est préjudiciable à ce qui devrait être une lutte commune contre un système global d’oppression.
Mon texte commence ainsi par un aperçu des défis auxquels nous, activistes palestinien·nes de la diaspora et nos allié·es, avons fait face quand nous nous sommes engagée·es avec d’autres féministes et « progressistes » du Nord Global – des groupes et des individus dont nous pensions qu’ils comprendraient les intersections avec nos conditions de vie, mais qui n’ont pas reconnu la situation des Palestinien·nes comme une injustice flagrante et une violation des droits humains. Je retrace ensuite les progrès que nous avons réalisés, auprès des féminismes du Nord Global et des femmes de couleur, à mesure que les militantes et organisatrices comprennent que la lutte pour l’autodétermination palestinienne est une lutte pour les droits autochtones, et que la praxis féministe implique de s’engager solidairement avec la lutte décoloniale. Enfin, je termine par un appel aux Palestinien·nes à maintenir les alliances que nous avons forgées ou renforcées ces dernières années, afin que nous puissions, en retour, contribuer aux luttes d’autres communautés criminalisées, dès que nous aurons atteint (et non si nous atteignons) notre objectif d’autodétermination et de souveraineté autochtone.
Le féminisme libéral et le sionisme, ou le féminisme libéral comme sionisme
Le 25 novembre 2015, la National Women’s Studies Association est devenue la première association universitaire principalement axée sur le genre à voter, à une majorité significative, en faveur de BDS. Le féminisme du Nord Global a parcouru un long chemin depuis l’époque où une Betty Friedan grossière, ignorante et condescendante, a tenté de faire taire la célèbre féministe égyptienne Nawal al-Saadawi lors de la Conférence internationale des Nations Unies sur les femmes à Nairobi, au Kenya. « S’il vous plaît, ne ramenez pas la Palestine dans votre discours », a dit Friedan à al-Saadawi alors que cette dernière montait sur scène pour prendre la parole. « C’est une conférence de femmes, pas une conférence politique », a-t-elle ajouté (citée dans al-Saadawi, 2006).
Cette tentative de censure s’est produite en 1985. Bien sûr, Friedan aurait su que sa demande allait être ignorée si elle avait su quelque chose de significatif sur al-Saadawi, outre le fait qu’elle était une fougueuse féministe arabe. Al-Saadawi ne pouvait être muselée et elle a prononcé sa communication exactement comme elle l’avait prévue. Comme elle l’a écrit plus tard :
Bien sûr, je n’ai pas tenu compte dans mon discours de ce qu’elle m’avait dit, car je crois que les questions des femmes ne peuvent pas être traitées séparément de la politique. L’émancipation des femmes dans la région arabe est étroitement liée aux régimes sous lesquels nous vivons, soutenus pour la plupart par les États-Unis. De plus, la lutte entre Israël et la Palestine a un impact important sur la situation politique. Comment pouvons-nous alors parler de la libération des femmes palestiniennes sans parler de leur droit d’avoir une terre sur laquelle vivre ? Comment pouvons-nous parler des droits des femmes arabes en Palestine et en Israël, sans nous opposer à la discrimination raciale exercée contre elles par le régime israélien ? (Al-Saadawi, 2006)
Cette interaction entre Friedan et al-Saadawi n’a pas seulement mis en lumière l’ignorance d’une féministe occidentale à propos d’une des féministes arabes les plus importantes de l’époque. Elle représentait et représente encore à bien des égards une illustration éloquente de l’approche très problématique du Nord Global envers le féminisme du Sud Global. Il s’agit d’une approche qui cherche, souvent activement, à décontextualiser les conditions des communautés du Sud Global et à les analyser uniquement au niveau micro, comme si elles fonctionnaient dans un espace qui leur est propre, immunisé contre l’environnement macro des politiques globales de colonialisme, d’occupation, de militarisme, de main-d’œuvre de multinationales, de commerce international, de « plans de développement » ou d’autres manifestations d’intervention étrangère. C’est aussi une approche qui continue à favoriser les femmes du Nord Global par rapport aux femmes du Sud Global. Comme l’a souligné al-Saadawi, Friedan et d’autres féministes occidentales se sont pour leur part senties libres, lors de cette même conférence, de « ramener » la politique dans leurs discours et analyses en discutant de la solidarité avec les Noir·es d’Afrique du Sud et des moyens de mettre fin à l’apartheid. En d’autres termes, les femmes blanches ont pu discuter d’enjeux politiques, y compris des politiques d’autres pays, mais les femmes des pays du Sud Global n’ont pas été autorisées à analyser des phénomènes internationaux et ont dû se limiter à dénoncer le patriarcat dans leurs communautés. Les femmes du Nord Global ont pu tendre la main en signe de solidarité, pour « sauver » leurs « sœurs » malchanceuses.
Une telle « sororité mondiale », pour emprunter le titre d’une anthologie préparée par l’une des collègues de Friedan, Robin Morgan, ne permet pas de mettre sur un pied d’égalité ni de reconnaître l’agentivité des femmes du Sud Global. L’Institut Sisterhood is Global, fondé par Morgan et Simone de Beauvoir en 1984, n’a pas soutenu l’appel palestinien à BDS et n’a pas répondu à mes demandes de commentaire sur le vote de la NWSA5J’ai contacté Sisterhood Is Global Institute par message sur leur page Facebook, et à travers l’option « contactez-nous » sur leur site officiel. Ma dernière tentative remonte à mai 2016., même si la majorité des groupes palestiniens de femmes et de féministes, y compris la General Union of Palestinian Women (GUPW) et la Palestinian Federation of Women’s Action Committees (PFWAC), figurent parmi les initiateurs et signataires de l’appel de 2005, et même si cet appel à la solidarité avec le peuple palestinien est modelé sur l’appel à la solidarité avec les Noir·es d’Afrique du Sud, que les féministes américaines ont adopté dans les années 1980. Cette campagne non violente appelle à un élargissement du boycott et du désinvestissement à l’endroit d’Israël, jusqu’à ce que celui-ci respecte ses obligations en vertu du droit international:
- en mettant fin à son occupation et à sa colonisation de toutes les terres arabes, et en démantelant le mur de séparation ou de l’apartheid ;
- en reconnaissant les droits fondamentaux des citoyen·nes arabes-palestinien·nes d’Israël à pleine égalité ;
- en respectant, protégeant et défendant le droit des réfugié·es palestinien·nes de retourner dans leurs foyers et propriétés, en accord avec la Résolution 194 de l’ONU.
Il n’y a en réalité rien de « radical » dans ces objectifs, car ils s’inscrivent dans le contexte des droits humains et exigent simplement qu’Israël cesse de violer le droit international. Ainsi, le refus de traiter les enjeux des femmes palestiniennes comme des enjeux féministes, et le rejet des appels répétés des femmes palestiniennes à la solidarité contre un occupant brutal, sont des indices que le féminisme du Nord Global n’est toujours pas outillé pour gérer les revendications de femmes qui dénoncent le colonialisme plutôt que n’importe quelle version locale du patriarcat. Comme le remarque la chercheuse palestinienne Nadera Shalhoub-Kevorkian (2014), le féminisme « implique de comprendre la nature et la signification de la solidarité avec les dépossédé·es, ce que le féminisme mondial, le droit international et le féminisme israélien ne sont jusqu’à présent pas parvenus à faire » en ce qui concerne les femmes palestiniennes.
Plus important encore pour la présente discussion, l’approche du féminisme du Nord Global a depuis longtemps consisté à mettre Israël à l’abri de toute critique et à censurer toute discussion sur ses politiques oppressives. Les féministes du Nord Global, comme tant de progressistes du Nord Global, ne veulent pas « ramener la politique », surtout lorsqu’Israël est impliqué. Pourtant, elles n’ont aucune gêne à critiquer d’autres aspects ouvertement politiques du sexisme et des inégalités entre les genres ; il est particulièrement ironique que les militantes qui affirmaient que « le personnel est politique », une devise du féminisme blanc des années 1960 (ou « féminisme de la deuxième vague », comme on le connaît généralement dans le discours dominant), refusent que le politique ait un impact personnel – surtout sur les femmes du Sud Global qui se situent à l’intersection de diverses structures oppressives majeures. Néanmoins, ce « féminisme hégémonique » est celui qui caractérisait le discours dominant jusqu’à récemment, malgré l’existence simultanée (et non tardive) d’une analyse plus radicale et plus complète par des femmes de couleur. Si le discours « Ne suis-je pas une femme ? », de Sojourner Truth, est une preuve insuffisante que les femmes de couleur ont toujours été marginalisées face au féminisme hégémonique et l’ont remis en question dès ses débuts, l’article de Becky Thompson, « Féminisme multiracial. Recadrer la chronologie du féminisme de la deuxième vague » (2002), est une excellente réponse à l’idée selon laquelle le féminisme des femmes de couleur serait venu après le féminisme blanc. Néanmoins, même au sein du féminisme des femmes de couleur, certaines n’ont tout simplement jamais considéré la situation des Palestinien·nes comme une question féministe décoloniale, tandis que d’autres ont continué d’adhérer à la croyance dominante selon laquelle ce sont les Palestinien·nes, et non les Israélien·nes, qui sont en faute quant à l’occupation de la Palestine.
Cette manière de mettre Israël à l’abri de toute critique sévit en Occident depuis des décennies. Par conséquent, une majorité d’activistes du Nord Global refusent de voir que le plus grand oppresseur des femmes palestiniennes n’est pas le fondamentalisme islamique, mais le sionisme, qui a transformé le peuple palestinien en peuple dépossédé et privé de ses droits humains. Nous continuons ainsi de voir des activistes antiguerre dénoncer l’occupation de l’Irak par les États-Unis, mais pas l’occupation israélienne de la Palestine, et ignorer les ressemblances entre les deux situations. Par exemple, en 2012, je participais à un événement progressiste afro-américain à Seattle, où je recueillais des signatures pour une pétition exigeant que la ville rompe ses liens avec des entreprises bénéficiant de l’occupation illégale d’Israël. Une femme blanche se présentant comme juive américaine a tenté de me convaincre de mettre fin à ma démarche. Elle m’a dit avec condescendance que j’étais « naïve » de chercher à établir des liens entre les oppressions, et que je ne le ferais certainement pas si je comprenais ce qui se passait en Israël. Lorsque je lui ai expliqué que je ne me décrirais pas comme « naïve » puisque je suis une activiste palestinienne aguerrie ayant une connaissance personnelle de la situation, elle a prétendu que j’étais antisémite et a cherché à me faire expulser de l’événement.
Les féministes occidentales ont été et restent promptes à dénoncer l’oppression des femmes arabes en raison du fondamentalisme islamique, mais pas en raison de l’occupation israélienne. Elles semblent ignorer que l’occupation et le militarisme se manifestent de manière genrée, ce qui aggrave les conditions de vie des femmes en Palestine comme partout ailleurs. C’est d’autant plus surprenant que ces chercheuses féministes sont soucieuses d’analyser la féminisation de la pauvreté dans d’autres pays déchirés par la guerre, la dépossession des femmes lorsque les institutions militaires dominent une société, la violence du travail du sexe et de l’esclavage sexuel dans les zones de guerre, et l’augmentation générale de la violence sexuelle dans les communautés ayant connu un conflit armé. Or, lorsqu’il s’agit d’Israël, l’analyse critique de nombreuses féministes occidentales est réduite à une dichotomie qui considère d’une part Israël comme « occidental », « moderne », « civilisé », et d’autre part les Palestinien·nes comme « arriéré·es ». Ces féministes échouent ainsi à saisir les aspects genrés de l’oppression du peuple palestinien. Cette vision limitée ne considère que le micro-environnement, à savoir la société arabe, et ignore complètement le macro-environnement, à savoir l’occupation israélienne, ses mesures discriminatoires sévères et sa violation des droits humains du peuple palestinien.
Lorsque les conditions des femmes palestiniennes sont prises en compte, c’est généralement pour dénoncer « la vie sous le régime du Hamas ». Pourtant, les femmes palestiniennes affirment depuis des décennies qu’elles sont aussi, voire plus opprimées par Israël et le sionisme que par leurs compagnons masculins. Comme l’a déclaré Camille Odeh à Nadine Naber (Naber, 2016), la United Palestinian Women’s Association a organisé des ateliers sur la Palestine dans le cadre de l’organisation de la lutte radicale anticoloniale dès les années 1980. De nombreuses féministes de la diaspora arabe ont écrit des essais expliquant que la solidarité avec les femmes palestiniennes impliquait de dénoncer et de s’organiser pour mettre fin au sionisme en tant que projet de colonisation de peuplement. Dans l’article « Le fardeau de la représentation », j’explique moi-même que la liberté de mouvement des femmes palestiniennes, leur droit à l’éducation, de voter, de travailler, de vivre où elles le souhaitent et où elles sont nées, leur droit à une alimentation suffisante, à de l’eau potable et à des soins médicaux dans leur propre pays leurs sont refusés non par leurs homologues palestiniens, mais par Israël, l’occupant illégal (Elia, 2011). Cette réalité, pourtant élémentaire, semble trop difficile à admettre pour les progressistes hypocrites, qui préfèrent porter leur attention sur les codes vestimentaires et les apparences extérieures de « l’émancipation » et qui persistent à réduire les critiques d’Israël au silence, par leurs tirades bruyantes sur le patriarcat « islamique » ou le fondamentalisme. Haneen Maikey (2016), directrice du groupe palestinien queer Al-Qaws (« arc-en-ciel », en arabe), a récemment exprimé la frustration de nombreuses féministes palestiniennes dans un commentaire sur Facebook :
Lors de la réunion d’aujourd’hui [avec des représentant·es d’organisations internationales], une question à la mode a été posée de nouveau par un membre du personnel qui vit et travaille à Jérusalem depuis quelques années : « Comment Al-Qaws fonctionne-t-il à Jérusalem, un endroit très conservateur ? » Dans une tentative de rester polie, j’ai répondu : « Pourquoi le conservatisme serait-il le cadre principal pour parler de Jérusalem ou des personnes gays en Palestine ? Pourquoi ne pas plutôt parler d’occupation, de marginalisation économique, d’un endroit dont la caractéristique sociale et politique fondamentale est modifiée et façonnée par de nouvelles colonies et des démolitions systématiques de maisons, ou du fait que votre droit de vivre dans votre ville natale est quotidiennement menacé, ou d’une société dont la jeune génération est exécutée dans ses rues ? Pourquoi ne pas dire “colonisé”, “apatride”, “pauvre”, et, oui, aussi “conservateur” ? »
Les tentatives de présenter les enjeux de sexualité sous le prisme des normes et des traditions ne sont pas seulement convenues et racistes, elles empêchent de saisir les innombrables formes de violence exercées sur les personnes LGBTQ+ en Palestine.
Au niveau théorique, il est généralement accepté que l’hypermilitarisme, l’occupation et le colonialisme de peuplement sont inévitablement accompagnés de violence de genre. Le langage même que nous utilisons pour désigner les actes d’appropriation des terres reflète cette violence, comme dans l’expression « pénétrer en terres vierges », assez courante à l’époque de la conquête européenne du continent africain, ou « le viol de Gaza », que nous entendons encore et encore à chaque assaut israélien sur la région assiégée6N.D.T. : Lors de la plus récente offensive militaire israélienne de grande échelle à Gaza, lancée en octobre 2023, des soldats photographient des mises en scène reproduisant des stéréotypes genrés et sexistes. Voir Kaoutar Harchi, « Gaza, cette moins que rien », Politis, 21 février 2024. Harchi y écrit notamment qu’Israël « est figuré comme une force militaire virile, brutale, supérieure, tandis que Gaza est féminisée, traitée comme une femme, réduite à une “femme noire”, à “une pute”, comme l’affirmait le chanteur israélien Lior Narkis, le 15 novembre 2023. La relation colon/colonisé est ainsi, en plus d’une catégorie raciale, une catégorie sexuelle ».. Voilà des rappels historiques et quotidiens de cette mentalité. Et les hommes dont la terre est conquise sont considérés comme « émasculés », puisque leur incapacité à protéger la terre signifierait qu’ils sont « efféminés ». Il s’agit d’un langage de domination et de violence hautement sexualisé. Bien sûr, nous sommes malheureusement aussi habituées à aux termes « viol », « pillage », « incendie », qui accompagnent la conquête, et nous savons que les femmes sont des « butins de guerre ». Où que nous regardions, la violence de genre est une partie intégrante du colonialisme de peuplement. En tant que puissance d’occupation militaire brutale qui étend illégalement ses colonies, Israël n’y fait pas exception. Plus précisément, si cette puissance considère comme une « menace démographique » une certaine population – soit sa population autochtone occupée, dépossédée et privée de ses droits –, alors son attitude est à la fois raciste et genrée.
Le contrôle raciste de la population repose spécifiquement sur la violence contre les femmes. Il n’est donc pas surprenant que Mordechai Kedar, un ancien officier de renseignement militaire israélien devenu universitaire, suggère de manière pragmatique que « violer les femmes et les mères des combattants palestiniens » dissuaderait les attaques des militants du Hamas (Mezzofiore, 2014). De même, la députée israélienne Ayelet Shaked n’a pas présenté le meurtre d’enfants palestinien·nes et de leurs mères comme un dommage collatéral tragique et disproportionné ; au contraire, elle l’a ouvertement appelé, en affirmant que les femmes palestiniennes doivent aussi être tuées, car elles donnent naissance à de « petits serpents » (citée dans Abunimah, 2015). Pourtant, les mères palestiniennes, comme toutes les mères, ont une préoccupation essentielle : protéger leurs enfants du danger. En Palestine, ce danger vient de l’armée israélienne et des colons israéliens. Beaucoup de mères rappellent qu’il est impossible de ne pas être politisé·e à un jeune âge, car les enfants ne peuvent pas être protégé·es de la violence israélienne qui s’abat partout autour. D’autres veulent que leurs enfants comprennent la gravité de la situation, afin d’y faire mieux face. D’autres encore encouragent la résistance pour la libération ; c’est le cas de Fatmeh Breijeh, d’Al Ma’sara, près de Bethléem, qui explique :
J’ai décidé de continuer à résister jusqu’au dernier souffle, à exhorter les gens à résister, à enseigner à mes enfants à résister et à leur transmettre cette résistance en les allaitant. Nos racines sont ici. Nous, cette terre, cette terre, nous sommes de cette terre. Regardez la terre, la terre ; vous verrez qu’elle a notre couleur. Chaque brin d’herbe, nous le connaissons. Ils ne savent rien. Ils ne savent que porter des armes et voler – voler l’eau, voler les bienfaits de notre terre – partout. (Naijar, 2014)
La résistance que Breijeh a décidé d’enseigner à ses enfants est avant tout la défiance persistante d’une femme autochtone, une résistance enracinée qui découle de la connaissance de la terre, plutôt que du comportement des soldats et colons israéliens qui « ne savent que porter des armes et voler » (Naijar, 2014).
La sororité est… sélective ?
Au Nord Global, les points de vue divergents concernant la Palestine ont tendance, de manière générale, à suivre les démarcations raciales et socio-économiques. Cependant, de nombreuses femmes de couleur défavorisées et progressistes du Nord Global ont également intégré le discours hégémonique, avec le récit sioniste en toile de fond, et ont mis du temps à traiter de la question de la Palestine en considérant son contexte colonial. Comme l’écrivent Simona Sharoni et Rabab Abdulhadi (2015) dans leur essai publié peu de temps avant le vote historique de la NWSA en 2015, et trente ans après la rencontre entre Saadawi et Friedan :
Pendant des années, les féministes du Nord Global ont échoué à comprendre pourquoi les femmes palestiniennes insistaient pour lier l’atteinte de l’égalité entre les genres à la libération nationale. Par conséquent, les femmes palestiniennes ont été les bénéficiaires d’initiatives bien intentionnées, mais malavisées, ignorant leur agentivité, leurs besoins et leur résilience, et fondées sur une compréhension étriquée des « questions des femmes » et des critiques du patriarcat et du nationalisme. […] Ce qu’il manquait à la réponse féministe à la crise en Palestine, c’était une reconnaissance de ses causes profondes, à savoir l’occupation illégale par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, sa violation des droits palestiniens et ses politiques de type apartheid.
En effet, pendant de nombreuses décennies, le féminisme hégémonique du Nord Global a été dominé par des femmes de classe moyenne d’ascendance européenne, confrontées au traumatisme incommensurable de la Shoah. Pensons à Betty Friedan, autrice de l’un des manifestes féministes les plus influents du XXe siècle, La femme mystifiée7N.D.T. : Paru en anglais en 1963 sous le titre The Feminine Mystique, le livre a été traduit et publié en français l’année suivante. Une nouvelle édition en français parue en 1978 reprend un épilogue signé par l’autrice en 1973, où elle exprime des propos très critiques, voire méprisants, à l’égard des « petites radicales » qui venaient de l’« extrême gauche » et menaçaient de prendre le contrôle de son organisation, NOW, y compris – selon elle – pour « convertir » les femmes au lesbianisme., qui a tenté de censurer Nawal al-Saadawi lors de la Conférence internationale sur les femmes ; à Robin Morgan, autrice du livre Sisterhood is Powerful et cofondatrice du Sisterhood Is Global Institute ; à Gloria Steinem, fondatrice de Ms. Magazine ; à Shulamith Firestone, autrice féministe radicale de The Dialectic of Sex ; et à d’autres femmes de cette envergure qui ont été soit élevées comme Juives immédiatement après la Shoah, soit éduquées à dénoncer l’antisémitisme et d’autres formes de racisme comme le mal absolu. Pour ces femmes blanches, le discours européen et la souffrance européenne sont au-dessus de toute autre souffrance. Dans ce discours hégémonique, il n’y a toujours pas de reconnaissance que l’impérialisme européen a entraîné la mort violente de dizaines de millions d’Africain·es en Afrique, et la mise en esclavage de millions d’autres en Europe et aux Amériques.
La lauréate du prix Nobel de littérature Toni Morrison a tenté d’inscrire cet épisode horrible dans la conscience nationale états-unienne lorsqu’elle a dédié son best-seller, Beloved, aux « soixante millions et plus » d’Africain·es ayant péri dans la traite des esclaves. Mais ce rappel a été relégué au second plan, par cette façon tout états-unienne de s’intéresser à l’individu plutôt qu’au collectif. Malgré les atrocités largement documentées qu’il a commises au Congo, le roi belge Léopold II n’est jamais qualifié de dirigeant meurtrier, contrairement à des non-Occidentaux tels que Pol Pot, Idi Amin, Gengis Khan et d’autres. En fait, malgré tous les ravages commis par les Européens au fil de l’histoire moderne, le seul Européen unanimement considéré comme diabolique est Adolf Hitler, dont les victimes sont principalement européennes. Pour le dire autrement, quand les Européens ravagent des pays non européens, leurs crimes sont généralement présentés de manière atténuée et fallacieuse, comme des « découvertes » (dans le cas de la conquête espagnole des Amériques), des « mandats » (dans le cas de la décision cavalière de la Grande-Bretagne concernant le sort de la Palestine) ou des « missions civilisatrices » (dans le cas de la colonisation dévastatrice de la France en Algérie, au Maroc et en Tunisie). Les États-Unis ont même inventé ce qui doit être l’un des plus grands euphémismes de tous les temps, en décrivant l’esclavage brutal de millions d’Africain·es et de leur descendance comme une « étrange institution ». Dans ce que nous appelons aujourd’hui les États-Unis d’Amérique du Nord, 90% des populations autochtones ont été tuées durant les 150 ans ayant suivi l’arrivée de Christophe Colomb. Celui-ci est pourtant célébré comme un découvreur, et non comme un conquérant meurtrier. Les génocides de l’ampleur de celui que Colomb a entrepris contre les peuples autochtones d’Amérique du Nord, ou de celui que les Européen·nes ont perpétré contre les Africain·es en esclavage, ne sont pas considérés au même titre que celui qui cibla les communautés juives européennes, car les victimes n’étaient pas européennes. En effet, la déclaration fréquente selon laquelle six millions de Juif·ves ont péri dans la Shoah, ou plus précisément l’omission du fait qu’un nombre presque égal de membres d’autres communautés ont également péri en raison d’un quelconque accident de naissance les qualifiant d’« Autres », est une preuve que la souffrance juive est plus grande que celle des autres – les Roms, les jumeaux, les gays et lesbiennes, ainsi que les Africain·es. Pourtant, Hitler souhaitait « purifier » l’Europe de ces « indésirables », qu’on oublie si souvent.
Dans un tel contexte édulcoré, il est pour le moins surprenant de lire Gloria Steinem affirmant que son propre féminisme a toujours été redevable au féminisme noir. « J’ai appris le féminisme surtout des femmes noires », déclare Steinem dans une interview de décembre 2015 (citée dans Tisdale, 20158N.D.T. : Un texte de 1969 sur le sujet a été traduit et publié en français : Gloria Steinem, Après le Black Power, la libération des femmes, suivi de Comment j’ai commencé à écrire, Éditions du Portrait, 2022.), ajoutant que, selon elle, le féminisme a toujours été intersectionnel, car il a toujours été conscient de la classe et de la race. Elle va jusqu’à dire que les femmes noires « ont inventé le féminisme » (cité dans Tisdale, 2015). Or, reconnaître ainsi une dette envers les contributions noires aux États-Unis ne se traduit pas nécessairement par une compréhension critique des oppressions structurelles vécues par les personnes de couleur, même si on doit admettre que le féminisme de Steinem a effectivement pris en considération la race et la classe. Trop souvent, il ne s’agit que d’une reconnaissance factice de la « diversité », une tentative d’atténuer sa culpabilité blanche en professant qu’on a été « influencée par », et d’éviter d’admettre qu’on a exploité les expériences des personnes de couleur. Cette exploitation est particulièrement évidente dans l’industrie musicale, qui reconnaît les contributions afro-américaines fondamentales au rock and roll, au jazz, au hip-hop et au rap, mais continue de récompenser de manière disproportionnée les artistes blancs s’appropriant ces genres.
En finir avec le tabou : le sionisme est un racisme
En grandissant dans le Nord Global, les femmes de couleur qui ne cherchaient pas délibérément une analyse politique du Sud Global sur la question de la Palestine ont interprété le récit blanc et dominant de la résistance du peuple palestinien comme un autre épisode d’antisémitisme violent, reconduisant l’éternelle persécution du peuple juif. L’hégémonie du féminisme blanc s’est effritée dans les années 1980 et 1990, avec la publication et la réception extrêmement positive d’anthologies révolutionnaires comme This Bridge Called My Back, Hacienda Cara et Third World Women and the Politics of Feminism9Cherrie Moraga, Gloria Anzaldúa (dir.), This Bridge Called My Back : Writings by Radical Women of Color, Kitchen Table/Women of Color Press, 1983 ; Gloria Anzaldúa (dir.) Making Face, Making Soul/Hacienda Caras, Creative and Critical Perspectives by Feminists of Color, San Francisco, Aunt Lute Press, 1990 ; Chandra Talpade Mohanty, Ann Russo, Lourdes Torres (dir.) Third World Women and the Politics of Feminism, Bloomington, Indiana University Press, 1991.. Une analyse plus nuancée a enfin émergé et infiltré la plupart des communautés féministes. Les jeunes femmes d’aujourd’hui lisent encore Steinem et Beauvoir, comme un passage obligé, mais elles se familiarisent aussi avec bell hooks et Audre Lorde. Les cours d’introduction aux études féministes, qui étaient autrefois aussi blancs que les manuels d’histoire étaient centrés sur les conflits et les batailles territoriales des hommes, ont commencé à incorporer un ou deux textes de femmes de couleur. Cependant, ces essais sont souvent restés « critiques », voire optionnels, ce qui a eu pour effet de dénoncer et en même temps de renforcer le métarécit blanc. Des concepts tels que la double discrimination10N.D.T. : Dans la version originale, l’autrice écrit « double jeopardy », une référence au célèbre texte de Frances M. Beal, « Double Jeopardy : To Be Black and Female », paru en 1969. Ce texte critique à la fois le racisme, le sexisme et le capitalisme. et la discrimination multiple mettant à mal le sentiment de victimisation des femmes blanches de la classe moyenne souffrant d’ennui, dans le luxe de leurs maisons confortables, est encore considéré comme le lot des « minorités », plutôt que comme celui de la majorité des gens.
De nombreuses femmes de couleur ont également continué à adhérer à la représentation hégémonique de la Palestine, malgré leur analyse critique du colonialisme. Plus précisément, de nombreuses femmes de couleur, y compris les femmes autochtones, ont perpétué la diabolisation générale des Palestinien·nes, considéré·es comme l’ennemi ancestral du peuple juif, plutôt que comme les victimes récentes du sionisme. Avec la « Guerre mondiale contre le terrorisme », la fascination orientaliste pour les femmes voilées, l’odalisque et le hare ont cédé la place à une islamophobie sauvage considérant l’ensemble des Palestinien·nes, femmes, hommes et enfants, comme de potentiels terroristes nourrissant des intentions maléfiques, notamment celle de « jeter le peuple juif à la mer ». La première ministre israélienne Golda Meir, supposément féministe, aurait déclaré : « La paix viendra lorsque les Arabes [Palestinien·nes] aimeront leurs enfants plus qu’iels ne nous haïssent11N.D.T. : Selon la Jewish Virtual Library, la citation exacte est : « Nous ne pouvons pardonner aux Arabes de tuer nos enfants. Nous ne pouvons leur pardonner de nous forcer à tuer leurs enfants. Nous n’aurons la paix que lorsque les Arabes aimeront plus leurs enfants qu’ils ne nous haïssent », propos prononcés lors d’une conférence de presse à Londres en 1969 (et citée dans A Land of Our Own : An Oral Autobiography [1973]).. » Bien qu’il n’existe pas de source directe de cette accusation, sa diffusion étendue dans les cercles sionistes est très révélatrice d’une mentalité qui accuse les Palestinien·nes, un peuple colonisé dépossédé, de « haïr les Juif·ves », plutôt que de chercher à repousser leur occupant.
L’un des succès du récit sioniste victimaire est précisément l’association entre le peuple palestinien et des siècles d’antisémitisme européen, même si les Palestinien·nes ont historiquement constitué une communauté diversifiée tant du point de vue racial que du point de vue religieux12N.D.T. : Edward Saïd, l’auteur palestinien du célèbre livre L’Orientalisme (1978), est un bon exemple de cette diversité, puisqu’il est né à Jérusalem en 1935 dans une famille chrétienne.. Aujourd’hui, on entend souvent que « les Musulmans et les Juifs se battent depuis des siècles », une affirmation qui ne peut tout simplement pas être corroborée malgré une histoire extrêmement bien documentée de la région, ou encore que « le conflit israélo-palestinien est ancien », une affirmation anhistorique s’il en est, car Israël n’a été créé qu’en 1948 ; les Palestinien·nes ont résisté à leur dépossession aussitôt qu’iels ont pris connaissance des plans pour la réaliser. Malgré les affirmations (erronées) selon lesquelles « les gens de cette région se sont toujours battus les uns contre les autres », le doigt accusateur est toujours pointé vers les communautés non juives, afin de perpétuer la victimisation et la souffrance historique des Juif·ves. Il n’y a aucune reconnaissance du fait qu’en matière de communautés diversifiées, les Palestinien·nes sont en réalité exceptionnel·les par leur engagement très limité au sein de luttes intestines, jusqu’à ce que le sionisme les divise et en privilégie certain·es, dont la communauté juive palestinienne, puis les Juif·ves arabes, puis le reste de la population autochtone. Les Juif·ves européen·nes de la région, non originaires de la Palestine, sont devenu·es les nouveaux·elles colonisateurices de la Palestine. La résistance palestinienne n’est pas fondée sur leur religion, mais plutôt sur le fait que le peuple palestinien a été dépossédé, déplacé, privé de ses droits fondamentaux par une communauté migrante et colonisatrice bénéficiant de droits et de privilèges spéciaux. Et le sionisme n’a certainement pas été reconnu pour l’idéologie raciste qu’il était et qu’il demeure dans sa détermination à n’accorder des privilèges qu’aux membres colons d’une communauté spécifique, alors que les autochtones non juif·ves, désormais considéré·es comme « étranger·es », ne peuvent en bénéficier. Même au sein des cercles féministes de couleur en Occident, très peu de personnes ont remis ce récit en question. Il y a bien sûr des exceptions, comme indiqué précédemment13Pour une analyse approfondie des alliances de longue date entre les féministes diasporiques arabes et le WRC à San Francisco, voir Nadine Naber, Arab America : Gender Politics and Activism, New York, NYU Press, 2012., mais dans l’ensemble, les féministes arabes américaines dénonçant le sionisme ont été marginalisées, invisibilisées et souvent la cible d’une hostilité directe14J’ai documenté des exemples d’hostilité dans « The Burden of Representation : When Palestinians Speak Out », Rabab Abdulhadi, Nadine Naber, Evelyn al-Sultany (dir.), Arab American Feminisms : Gender, Violence, and Belonging, Syracuse, Syracuse University Press, 2011.
Dans « The Forgotten “-ism” » (le « -ism oublié »)15Nadine Naber, Eman Desouky, Lina Baroudi, « The Forgotten “-ism” : An Arab American Women’s Perspective on Zionism, Racism, and and Sexism », Color of Violence : The INCITE! Anthology, Boston, South End Press, 2006., les membres de la branche de San Francisco de l’Arab Women’s Solidarity Association ont brisé des décennies de silence en nommant courageusement le sionisme pour ce qu’il est, soit un violent système raciste qui s’en prend à quiconque le remet en question. Les autrices de ce texte courageux ont écrit :
En tant qu’activistes arabes, nous avons plaidé en faveur du droit à l’autodétermination des Palestinien·nes, et résisté à la censure des voix arabes sur de multiples fronts : dans les médias, dans les conférences publiques, dans nos salles de classe, sur nos lieux de travail et auprès de nos ami·es et collègues. En comparant nos observations et nos expériences, nous avons constaté que chacune de nous avait été harcelée, intimidée et sabordée par les partisan·es du sionisme cherchant à faire taire notre résistance. Nous avons réalisé que bien que nous nous sentions marginalisées et non soutenues dans nos revendications quotidiennes pour les droits humains, sociaux, politiques et nationaux arabes et la dignité humaine, nous n’étions pas seules – les voix des activistes arabes américaines sont régulièrement surveillées et réduites au silence. (Naber, Desouky, & Baroudi, 2006)
En effet, alors que les anthologies révolutionnaires des femmes de couleur ont ouvert la voie de la recherche et de l’analyse féministe intersectionnelle, les femmes arabes ont continué de faire l’objet de censure, car le sionisme – c’est-à-dire le mal qu’elles dénonçaient par-dessus tout – était faussement représenté, « blanchi » par la domination, présenté comme une mission « civilisée » (sinon civilisatrice), comme de nombreux crimes commis par les Européen·nes à travers l’histoire, et comme la cible d’attaquant·es hostiles. « The Forgotten “-ism” », un projet collectif de la branche de San Francisco de l’Arab Women’s Solidarity Association, avec Nadine Naber, Eman Desouky et Lina Baroudi comme autrices principales, a été publié pour la première fois par le Women of Color Resource Center, puis repris dans The Color of Violence, édité par le collectif INCITE!, le collectif Women of Color Against Violence. INCITE!, qui n’avait pas nécessairement, à ses débuts, une compréhension solide de la question palestinienne, l’a toutefois pleinement comprise lorsque certaines membres l’ont présentée et l’ont intégrée à son analyse, au début des années 2000. En effet, INCITE! a fait de l’approbation de ses points de convergence sur la Palestine une exigence pour les branches nationales, a créé des outils d’éducation populaire sur la Palestine, et facilite ou marraine des ateliers sur la Palestine depuis des années maintenant. On ne peut surestimer le courage et l’intégrité qu’il a fallu aux activistes diasporiques arabes pour faire ces recherches et écrire « The Forgotten “-ism” », ou au Women of Color Resource Center, et plus tard à INCITE!, pour le publier. Aujourd’hui encore, prendre position contre le sionisme nécessite un courage que peu de personnes ont, et qui s’accompagne de conséquences très graves, comme en témoignent les attaques personnelles et professionnelles virulentes contre les organisateurices en faveur des droits des Palestinien·nes, les appels au renvoi de professeur·es sympathisant·es de la cause palestinienne, le licenciement effectif de certain·es de ces professeur·es, et les craintes, totalement justifiées, des étudiant·es et professeur·es propalestinien·nes de ne pas être embauché·es. Il existe plus de 30 organisations sionistes aux États-Unis qui surveillent les programmes, conférences et publications des professeur·es favorables aux droits des Palestinien·nes. La Canary Mission, par exemple, a récemment été créée pour surveiller les militant·es étudiant·es et influencer les employeurs potentiels pour qu’ils ne les embauchent pas. À mesure que ces organisations maccarthystes se multiplient, des coalitions et des équipes juridiques s’organisent pour les contrer. Mais il y a presque trois décennies, il valait mieux, pour le plus grand nombre, ne pas professer des opinions qui reconnaissent l’humanité du peuple palestinien et son oppression. Et très peu de personnes ne subissant pas les impacts directs du sionisme l’ont fait.
Sut Jhally, professeur de communication et d’études culturelles à l’Université du Massachusetts-Amherst, a expliqué dans son documentaire Peace, Propaganda, and the Promised Land (2004) qu’il menait régulièrement des enquêtes auprès de ses classes de première année pour évaluer leur connaissance générale des affaires internationales. Ces enquêtes ont montré que 75% des étudiant·es croyaient que les Palestinien·nes occupaient Israël, et non l’inverse. Cette statistique est significative, car elle révèle le niveau d’ignorance parmi des personnes par ailleurs privilégiées et reflète l’adhésion nationale aux mensonges sionistes. Les Palestinien·nes et leurs allié·es sont constamment sur la défensive, toujours présumé·es coupables, racistes, antisémites. Puisque nous sommes globalement perçu·es comme les agresseurs, envahisseurs et occupants, notre résistance est nécessairement interprétée comme du terrorisme, et non comme une lutte décoloniale. Même aujourd’hui, le contrôle sioniste du discours national au sujet de la question palestinienne est tel que les progressistes (et non les conservateurs) célèbrent les condamnations de la « réponse disproportionnée » d’Israël, sans se rendre compte qu’iels renforcent du même coup le mensonge selon lequel Israël, au lieu de pousser la provocation à titre d’occupant, d’envahisseur ou d’oppresseur, ne ferait que « répondre » à la provocation palestinienne.
Avec le succès du sionisme dans la dépossession et la diabolisation de l’ensemble du peuple palestinien (hommes, femmes et enfants, plutôt que quelques centaines ou milliers de combattants), les femmes arabes et musulmanes ne cadrent plus dans la vision orientaliste réductrice qui les considère comme opprimées par le patriarcat arabe. De plus, les femmes palestiniennes et leurs allié·es réécrivent activement ce récit orientaliste, expliquant qu’elles sont davantage opprimées par le sionisme que par l’islam. Plutôt que de dénoncer la société arabe conservatrice, ces féministes dénoncent les préjudices que le sionisme inflige à leurs communautés. Elles s’insurgent contre le colonialisme et le racisme de manière à défier le féminisme hégémonique blanc sioniste, même si elles demeurent invisibles dans les cercles féministes de couleur. Joanna Kadi (1999), éditrice de la première anthologie des féministes arabes américaines et canadiennes, Food for Our Grandmothers, précise que les féministes américaines arabes sont « les plus invisibles des invisibles », tandis que mon propre essai, « The White Sheep of the Family », publié dans This Bridge We Call Home, dénonce également notre exclusion du féminisme de couleur (Elia, 2002). L’environnement extrêmement hostile auquel les femmes américano-arabes ont fait face lors des discussions parmi les contributrices à cette anthologie, avant sa publication, révèle combien de prétendues femmes radicales de couleur ont proféré la haine sioniste envers les Palestiniennes et leurs allié·es. Malheureusement, même les éditrices, Anzaldúa et Keating, ont cherché à censurer plutôt qu’à soutenir les voix de ces dernières, renforçant ainsi le discours hégémonique sioniste16J’évoque cet évènement malheureux dans « The Burden of Representation »..
Mais il y a un pouvoir particulier à n’avoir rien à perdre. Dépossédées de leur patrie, de leur liberté, de leur dignité et de leur autodétermination, les femmes palestiniennes continuent à s’exprimer. Elles veulent que d’autres féministes, activistes, chercheuses et organisatrices voient non seulement « au-delà du voile », mais surtout « au-delà de la hasbara » (propagande, en hébreu). En plus des ateliers et de l’éducation populaire dans lesquels nous sommes engagées depuis les années 1980, certaines ont organisé et conduit des délégations d’activistes du Nord Global en Palestine, pour qu’elles voient par elles-mêmes la réalité de la vie palestinienne sous occupation, la réalité de personnes assiégées et privées de droits sur leur propre terre. Les déclarations émises par les membres de ces délégations à leur retour dans le Nord global témoignent de la dureté de la vie sous le sionisme, ainsi que de la détermination du peuple palestinien à persévérer, à résister et à renverser le colonialisme de peuplement. Neferti Tadiar (2012), par exemple, écrit que « prendre position en solidarité et participer à la lutte des Palestinien·nes pour résister et transformer les conditions de leur dépossession et de leur élimination – rejoindre leur aspiration à la liberté collective et à l’autodétermination – c’est aussi participer au remaniement de la vie à l’échelle mondiale, ce qui ne peut être qu’un acte féministe primordial ».
Tadiar a fait partie d’une délégation organisée par la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël. D’autres femmes de couleur ont rejoint une autre délégation, organisée par la chercheuse-activiste palestinienne Rabab Abdulhadi, et elles ont également émis de convaincantes déclarations de solidarité avec l’ensemble du peuple palestinien dépossédé. Le changement est enfin en marche, et étant donné les multiples percées que nous faisons dans diverses communautés radicales, il semble irréversible.
Mettre fin au sionisme: une praxis décoloniale
Malgré la douleur occasionnelle que provoque la trahison d’allié·es potentiel·les, les Palestinien·nes restent déterminé·es à expliquer au monde que leur désir de liberté ne découle pas d’une souche ancienne d’antisémitisme irrationnel, mais plutôt de l’impulsion très humaine d’être libres et de vivre une vie digne et souveraine. Les Palestinien·nes savent que c’est le colonialisme qui les a dépossédé·es. Et que leur lutte est décoloniale.
J’ai soutenu dans l’introduction de cet article que le vote de la NWSA ne reflétait pas nécessairement un « brunissement de l’organisation », car une telle affirmation suggérerait que les « féministes brunes » ont toujours soutenu la lutte palestinienne pour la décolonisation. Des décennies d’activisme aux États-Unis racontent une histoire différente, celle des Palestinien·nes et de leurs allié·es luttant durement pour éroder le récit sioniste hégémonique nous décrivant, plutôt que nos occupants, comme des terroristes racistes violents. Cette transformation a eu lieu d’abord parmi les féministes de couleur, mais n’a certainement pas été spontanée.
Or, malgré les progrès réalisés dans le Nord Global, qui consistent principalement en l’éclatement du récit sioniste, le racisme d’Israël devient de plus en plus violent chaque jour (en moyenne, trois enfants ont été tué·es chaque jour en octobre et novembre 2015). Et chaque assaut israélien contre les Palestinien·nes non seulement coûte la vie à des centaines de personnes, mais provoque également des fausses couches, des accouchements prématurés et des mortinaissances. Les femmes palestiniennes du Néguev ont les taux les plus élevés de mortinaissances, de décès pendant l’accouchement et de décès de nouveau-né·es du monde, tout cela étant directement lié aux restrictions israéliennes sur le mouvement palestinien et au refus israélien de laisser aux femmes palestiniennes l’accès aux soins de santé.
Mais il n’est pas seulement question des femmes et des enfants palestinien·nes. Même si nous nous concentrons sur les femmes et les enfants, nous devons problématiser l’idée que les « femmes et les enfants » sont de dignes bénéficiaires de pitié, de sympathie, d’aide et de solidarité, contrairement aux hommes qui ne mériteraient rien de tel. Comme le souligne Maya Mikdashi (2014) dans son article judicieusement intitulé « Les hommes palestiniens peuvent-ils être des victimes ? » :
La mise à mort de femmes et d’enfants est horrible, mais une chose est absente dans la réitération de ces faits troublants : le deuil public des hommes palestiniens tués par la machine de guerre israélienne. Nous devrions avoir conscience de la manière dont nous faisons usage de l’expression « femmes et enfants » lorsqu’il est question de Gaza et de la Palestine de manière générale. Cette expression accomplit de nombreux exploits discursifs, dont deux sont importants : la transformation des femmes et des enfants en un groupe indistinct réuni par une homogénéité du genre et du sexe, et la reconduction du corps masculin palestinien (et du corps masculin arabe plus généralement) comme un corps d’emblée dangereux. Ainsi, le statut des hommes palestiniens (une désignation qui inclut les garçons de quinze ans et plus, et parfois des garçons aussi jeunes qu’âgés de treize ans) en tant que « civils » est toujours circonspect. […] Dans cette perspective, la mise à mort de femmes et de filles et des garçons préadolescents et mineurs doit être remarquée, mais les garçons et les hommes sont présumés coupables de ce qu’ils pourraient faire s’ils étaient autorisés à vivre leur vie.
La dénonciation de la mise à mort de femmes et d’enfants, une expression forgée par Cynthia Enloe dans les années 1990, nous oblige à nous demander si les hommes peuvent être des victimes. J’ai également commenté dans mes propres recherches le fait qu’on entend souvent parler d’un « nombre disproportionné de victimes » femmes et enfants, et je demande alors : « Mais que serait un nombre proportionné de victimes de n’importe quel genre ou âge ? » En réalité, chaque politique israélienne, chaque assaut israélien, chaque massacre peut être nommé « Opération Tuez tout le monde » : hommes et femmes, enfants et personnes âgées, hétérosexuel·les et LGBT+, chrétien·nes et musulman·es. Le féminisme ne devrait pas s’intéresser à un seul segment de la population, et ignorer d’autres communautés opprimées ; l’ensemble des Palestinien·nes sont opprimé·es par Israël. Cette compréhension est enfin centrale dans l’analyse d’un nombre croissant de féminismes intersectionnels.
La justice est indivisible. Dans la diaspora d’Amérique du Nord, une femme de couleur puissante est l’une des plus grandes héroïnes qui soit : Harriet Tubman, déterminée à libérer autant d’esclaves que possible. Elle n’a pas dit : « Si vous êtes engagés envers la non-violence, venez avec moi. Si vous n’avez jamais commis de crime, venez avec moi. Si vous croyez en mon Dieu, venez avec moi. » Elle savait que l’esclavage était mal et qu’elle allait libérer quiconque était esclavagisé. Elle savait que la justice est indivisible et que la liberté est un droit pour tout le monde.
De la même manière, nous devons comprendre que la véritable solidarité avec le peuple palestinien ne peut pas être sélective si c’est l’ensemble du peuple qui est dépossédé. Haneen Maikey (2016), cofondatrice et directrice du groupe queer palestinien Al-Qaws, l’a exprimé de manière très succincte en disant aux groupes queer occidentaux : « Nous ne voulons pas de votre solidarité si vous ne nous soutenez que nous. Vous devez être solidaires avec tout notre peuple. »
Même si nous nous concentrons sur la manière dont les politiques d’Israël affectent les femmes, les enfants et les personnes queer de Palestine, nous devons garder à l’esprit que le féminisme intersectionnel ne se limite pas à améliorer les conditions de certaines personnes en particulier. L’ensemble des Palestinien·nes souffrent de l’occupation israélienne, tout comme l’ensemble des Autochtones d’Amérique ont souffert du vol de cette terre par l’Europe, et tout comme l’ensemble des Africain·es-Américain·es ont souffert de l’esclavage et continuent de souffrir du racisme institutionnel et de la violence structurelle.
Conclusion : des intersections, pas des parallèles
Il existe de nombreuses alliances de longue date entre les Palestinien·nes et divers mouvements progressistes de femmes de couleur féministes et de communautés radicales anticoloniales aux États-Unis. Ces alliances n’ont peut-être pas été très visibles jusqu’à maintenant, alors que des mouvements tels que Black Lives Matter ont opté pour une perturbation nationale des entreprises (meurtrières) et ont insisté pour médiatiser la brutalité d’une force policière souvent formée en Israël. La rupture de la mise en récit sioniste est le résultat de décennies de mobilisation palestinienne dans le Nord Global et a également conduit à une meilleure compréhension des aspects genrés du colonialisme de peuplement en Palestine, amenant de nombreuses féministes du Nord Global à réaliser que la lutte pour l’autodétermination palestinienne et la souveraineté autochtone sont en effet des questions féministes. En plus des alliances qui nous ont soutenues, voire accueillies, pendant des décennies, nous en forgeons maintenant de nouvelles. Nous attendions ces alliances depuis longtemps ; elles ne doivent pas être prises pour acquises. Elles ont nécessité un travail de fond pour apprendre les histoires les un·es des autres, pour prioriser les stratégies, pour manifester et rendre mutuelle la solidarité lorsque le corps de quelqu’un·e d’autre est en danger, en raison d’une compréhension profonde de l’intersectionnalité. Il existe aujourd’hui plus que jamais une conscience en développement que nos luttes ne sont pas parallèles, un terme qui suggère qu’elles ne se rencontreront jamais, mais bien intersectionnelles, car elles se rejoignent sur divers points. Notre espoir est que la mise en œuvre de la solidarité réciproque soit un mouvement à long terme, et non un simple « moment ».
Aujourd’hui, les Palestinien·nes et d’autres communautés racialisées et criminalisées se rassemblent autour de l’emprisonnement, de la violence policière, des droits des immigrant·es et de la violence aux frontières. Nous sommes ensemble dans la lutte contre la violence genrée, mais aussi contre le militarisme et le colonialisme de peuplement. Il incombe aux activistes et chercheur·ses anticolonialistes de comprendre que la solidarité que nous célébrons aujourd’hui n’est ni récente ni ponctuelle. Il s’agit d’une solidarité de longue date, toujours en mouvement, fluctuant au gré des circonstances pour nos communautés, mais toujours active, toujours en réaction au plus grand oppresseur, le système de l’hétéropatriarcat colonial raciste. En reconnaissant que le système que nous combattons est mondial, nous savons que la solidarité entre les communautés dépossédées et criminalisées n’est pas égoïste, mais mutuellement bénéfique.
Au niveau mondial, les connexions que nous avons établies en tant qu’organisateurices de BDS sont également très importantes et ne doivent pas être abandonnées une fois que nous aurons atteint nos objectifs. Comme l’ont écrit les membres de la délégation de femmes de couleur et de femmes autochtones dans leur déclaration, à leur retour de Palestine : « Nous avons été profondément impressionnées par l’importance qu’accordaient les gens aux liens entre le mouvement pour une Palestine libre et les luttes pour la justice à travers le monde ; comme Martin Luther King Jr. l’a affirmé tout au long de sa vie, “[l]a justice est indivisible. L’injustice à un seul endroit menace la justice partout” » (Ransby, 2011).
Le géant sud-africain et lauréat du prix Nobel de la paix Nelson Mandela a déclaré le 29 novembre 1997, lors de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien : « Mais nous savons trop bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. » Aujourd’hui, nous pouvons dire en toute confiance que « de Gaza à Ferguson17N.D.T. : Ville des États-Unis où la police a tué en 2014 l’Afro-Américain Michael Brown, provoquant des émeutes dans le pays et ouvrant la voie à la naissance de Black Lives Matter [note de la traduction]. » n’est pas seulement une déclaration bien intentionnée, mais l’expression d’une interconnexion à long terme. Tout comme les vétérans de la lutte antiapartheid sud-africaine se joignent à nous, les Palestinien·nes diront un jour : « Nous savons trop bien que notre liberté sera incomplète tant que toutes les communautés criminalisées ne seront pas libres. »
Notes de bas de page
- 1N.D.T. : Née en 1977 en morte en 2002, cette infirmière est considérée comme la première Palestinienne à avoir perpétré un attentat suicide à la bombe. L’explosion à Jérusalem a provoqué la mort d’un ou deux Israéliens (selon les sources). Le magazine Time lui a même consacré sa « une », avec sa photo de graduation en toge et diplôme à la main, sur laquelle est superposé le titre « Suicide Bombers ».
- 2N.D.T. : Finalement, en juin 2017, l’association rejetait la proposition d’appuyer BDS par 1 954 voix contre 885.
- 3J’utilise ici « Féministes du Nord Global » pour renvoyer aux féministes géographiquement localisées dans le Nord Global, qui ont intégré le discours sioniste – un discours du Nord Global – indépendamment de leur ethnicité. Hélas, il y a de nombreuses féministes de couleur dans cette catégorie.
- 4J’ai documenté certains de nos défis dans les cercles des femmes de couleur dans « The Burden of Representation : When Palestinians Speak Out », dans Rabab Abdulhadi, Evelyn Alsultany, and Nadine Naber (dir.), Arab and Arab-American Feminisms : Gender, Violence, and Belonging, Syracuse, Syracuse University Press, 2011.
- 5J’ai contacté Sisterhood Is Global Institute par message sur leur page Facebook, et à travers l’option « contactez-nous » sur leur site officiel. Ma dernière tentative remonte à mai 2016.
- 6N.D.T. : Lors de la plus récente offensive militaire israélienne de grande échelle à Gaza, lancée en octobre 2023, des soldats photographient des mises en scène reproduisant des stéréotypes genrés et sexistes. Voir Kaoutar Harchi, « Gaza, cette moins que rien », Politis, 21 février 2024. Harchi y écrit notamment qu’Israël « est figuré comme une force militaire virile, brutale, supérieure, tandis que Gaza est féminisée, traitée comme une femme, réduite à une “femme noire”, à “une pute”, comme l’affirmait le chanteur israélien Lior Narkis, le 15 novembre 2023. La relation colon/colonisé est ainsi, en plus d’une catégorie raciale, une catégorie sexuelle ».
- 7N.D.T. : Paru en anglais en 1963 sous le titre The Feminine Mystique, le livre a été traduit et publié en français l’année suivante. Une nouvelle édition en français parue en 1978 reprend un épilogue signé par l’autrice en 1973, où elle exprime des propos très critiques, voire méprisants, à l’égard des « petites radicales » qui venaient de l’« extrême gauche » et menaçaient de prendre le contrôle de son organisation, NOW, y compris – selon elle – pour « convertir » les femmes au lesbianisme.
- 8N.D.T. : Un texte de 1969 sur le sujet a été traduit et publié en français : Gloria Steinem, Après le Black Power, la libération des femmes, suivi de Comment j’ai commencé à écrire, Éditions du Portrait, 2022.
- 9Cherrie Moraga, Gloria Anzaldúa (dir.), This Bridge Called My Back : Writings by Radical Women of Color, Kitchen Table/Women of Color Press, 1983 ; Gloria Anzaldúa (dir.) Making Face, Making Soul/Hacienda Caras, Creative and Critical Perspectives by Feminists of Color, San Francisco, Aunt Lute Press, 1990 ; Chandra Talpade Mohanty, Ann Russo, Lourdes Torres (dir.) Third World Women and the Politics of Feminism, Bloomington, Indiana University Press, 1991.
- 10N.D.T. : Dans la version originale, l’autrice écrit « double jeopardy », une référence au célèbre texte de Frances M. Beal, « Double Jeopardy : To Be Black and Female », paru en 1969. Ce texte critique à la fois le racisme, le sexisme et le capitalisme.
- 11N.D.T. : Selon la Jewish Virtual Library, la citation exacte est : « Nous ne pouvons pardonner aux Arabes de tuer nos enfants. Nous ne pouvons leur pardonner de nous forcer à tuer leurs enfants. Nous n’aurons la paix que lorsque les Arabes aimeront plus leurs enfants qu’ils ne nous haïssent », propos prononcés lors d’une conférence de presse à Londres en 1969 (et citée dans A Land of Our Own : An Oral Autobiography [1973]).
- 12N.D.T. : Edward Saïd, l’auteur palestinien du célèbre livre L’Orientalisme (1978), est un bon exemple de cette diversité, puisqu’il est né à Jérusalem en 1935 dans une famille chrétienne.
- 13Pour une analyse approfondie des alliances de longue date entre les féministes diasporiques arabes et le WRC à San Francisco, voir Nadine Naber, Arab America : Gender Politics and Activism, New York, NYU Press, 2012.
- 14J’ai documenté des exemples d’hostilité dans « The Burden of Representation : When Palestinians Speak Out », Rabab Abdulhadi, Nadine Naber, Evelyn al-Sultany (dir.), Arab American Feminisms : Gender, Violence, and Belonging, Syracuse, Syracuse University Press, 2011
- 15Nadine Naber, Eman Desouky, Lina Baroudi, « The Forgotten “-ism” : An Arab American Women’s Perspective on Zionism, Racism, and and Sexism », Color of Violence : The INCITE! Anthology, Boston, South End Press, 2006.
- 16J’évoque cet évènement malheureux dans « The Burden of Representation ».
- 17N.D.T. : Ville des États-Unis où la police a tué en 2014 l’Afro-Américain Michael Brown, provoquant des émeutes dans le pays et ouvrant la voie à la naissance de Black Lives Matter [note de la traduction].
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Revue PréfiX
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