Briser le silence entourant le harcèlement de rue : retour sur la contribution d’un projet de recherche-action féministe
Introduction
On dit de Montréal qu’elle est une ville des plus sécuritaires et pourtant, de nombreuses femmes témoignent avoir subi des violences dans l’espace public, selon les enquêtes réalisées notamment au Canada (Cotter et Savage, 2018; MacMillan et al., 2000). Ces violences, couramment appelées « harcèlement de rue », ciblent majoritairement les femmes, mais aussi les personnes des minorités de genre. Elles consistent en des propos ou comportements intrusifs, dégradants et non consentis, commis par des personnes inconnues dans l’espace public. Depuis plus de dix ans, des militantes du Centre d’éducation et d’action des femmes (CÉAF) se mobilisent pour faire reconnaitre ce phénomène à Montréal. Alors que des actions collectives ont vu le jour dans plusieurs villes comme à Montréal, à Québec et à Ottawa (dont les manifestations « Take back the night » ou « La rue, la nuit, les femmes sans peur ») (Coderre et Coderre 2017; Logan, 2015; Maldonado Dorantes 2017), le harcèlement de rue reste très peu documenté par les milieux de la recherche au Québec. Pour pallier cette lacune, le CÉAF a réalisé un sondage (via un formulaire en ligne Google form) entre 2016 et 2017. Sur les 240 répondantes, 94% d’entre elles ont confié avoir subi du harcèlement de rue et de ce nombre, près de 20 % déclarent y être confrontées chaque semaine (CÉAF, 2018). Cette enquête maison a insufflé le désir de produire un portrait plus détaillé de ce problème.
Souhaitant mobiliser les milieux de la recherche, le CÉAF s’est joint au Service aux collectivités de l’UQAM en 2019, et aux deux co-autrices du présent article, pour entreprendre la première recherche partenariale sur les impacts du harcèlement de rue à Montréal (Blais et al., 2021)1Avec la participation d’Eve-Marie Lampron, agente du Service aux collectivités, et d’Audrey Simard, travailleuse du CÉAF et co-autrice du rapport de recherche.. Cette enquête documente les formes que prend le harcèlement de rue à Montréal et démontre sans équivoque les impacts majeurs et durables de celui-ci sur la vie des femmes et leur accès à l’espace public. Parmi les impacts identifiés sur le plan psychologique et émotionnel, nous comptons la colère et la peur, qui peuvent à leur tour avoir des conséquences sur la vie sociale, telles que l’isolement. Il ressort que le harcèlement de rue affecte aussi le rapport à l’espace, au temps et au corps, donnant lieu à des stratégies d’évitement, comme le fait de contourner certains lieux, surtout le soir, et de chercher à passer inaperçue dans l’espace public. L’utilisation d’objets du quotidien en vue de se défendre, comme les clés tenues entre les jointures, compte aussi parmi les tactiques relevées qui illustrent la pression mise sur les femmes pour riposter ou se préparer à le faire. Nous nous attardons également aux types de violences (physique, verbale, psychologique, sexuelle) vécues, aux espaces dans lesquels elles s’exercent (transports en commun, parcs, commerces, etc.), ainsi qu’au manque de soutien de la part des témoins du harcèlement de rue et des autorités lorsqu’une plainte est déposée. Enfin, nous soulignons aussi le manque de ressources pour y remédier.
Cette enquête a ouvert de nouvelles perspectives de recherche, soit une recherche statistique à l’échelle de Montréal ainsi qu’une recherche-action avec des jeunes visant à mieux comprendre leurs vécus, tout en les sensibilisant. En outre, notre recherche a véritablement contribué à briser le silence entourant le harcèlement de rue, notamment grâce à la création d’espaces de parole qui ont permis aux participantes de se sentir moins seules et de collectiviser leur vécu. Les projets de mobilisation des connaissances et la réception médiatique qui ont suivi la publication du rapport en 2021 ont également attiré l’attention d’un large public sur le problème du harcèlement de rue au Québec. Dans cet article, nous proposons de revenir sur la mise en œuvre de cette initiative, mais surtout sur ses retombées pour les partenaires impliqués ainsi que sur ses différentes contributions d’ordre politique et social.
1. La création d’un espace de parole
Pour saisir les impacts du harcèlement de rue à partir des expériences des femmes qui circulent sur l’île de Montréal, nous avons privilégié la méthode de collecte par focus group. Ce type d’entretien a l’avantage d’accorder une grande place à l’agentivité des participantes. Les groupes de discussion ont en effet permis de développer des pistes de réflexion et d’action, dans une optique de co-construction des connaissances et d’émancipation (Simard, 1994). Qui plus est, nous cherchions à élaborer une technique d’enquête capable de tenir compte de la diversité des expériences du harcèlement de rue dans le but d’identifier, d’une part, les impacts communs à l’ensemble des participantes et, d’autre part, les conséquences plus spécifiques selon leurs multiples positionnements dans les hiérarchies sociales. En nous inspirant partiellement de la méthode du forum ouvert, les participantes étaient invitées à choisir, parmi les quatre, un groupe reposant sur l’âge (moins de 30 ans), la situation de handicap, l’appartenance à un groupe racisé ou l’appartenance aux minorités sexuelles et de genre. Un cinquième groupe réunissait des femmes dont les expériences ne faisaient pas écho à ces catégories. Cet assemblage méthodologique misait à la fois sur l’autonomie décisionnelle des participantes et sur le partage d’expériences à la fois subjectives et collectives (Fern, 2001).
Les principaux thèmes abordés portaient sur les impacts du harcèlement de rue, mais aussi sur l’expérience de dévoilement, sur la relation avec les témoins et, finalement, sur les solutions en vue de mettre fin à ce problème. Les groupes formés sur la base de vécus communs d’oppression permettaient aux participantes de faire résonner leurs témoignages, d’approfondir le récit de leurs expériences et parfois même, d’échanger des tactiques. Ces groupes n’étaient cependant pas homogènes, ce qui a amené des participantes à étendre leur compréhension du harcèlement de rue et développer des solidarités. Par exemple, la stratégie de plusieurs femmes cisgenres visant à porter des vêtements amples pour masquer leur féminité ne semble pas une option envisageable pour toutes les femmes et à plus forte raison pour les femmes trans et les personnes dont le genre est fluide, puisque cela les met à risque de subir des violences cissexistes. À l’inverse, elles ont fait remarquer que leur tactique consiste plutôt à performer un standard de féminité hégémonique (vêtements près du corps, maquillage, etc.) afin d’éviter le harcèlement de rue. Autrement dit, les stratégies varient selon le positionnement social, même si ces violences occasionnent des conséquences sur le rapport au corps chez l’ensemble des participantes, dans ce cas-ci à travers l’habillement.
Enfin, les focus groups ont été l’occasion pour certaines de partager, pour la première fois, quelques-unes de leurs expériences de harcèlement de rue. Plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs confié se sentir illégitimes de participer à une recherche-action sur ce problème social en raison de sa banalisation; une banalisation qui les amène parfois à minimiser leur vécu de violences et ses impacts. Ces moments de partage semblent leur avoir été profitables en leur permettant de collectiviser leurs expériences. En effet, comme l’expliquait Juliette: « [j]uste le fait d’entendre les témoignages des autres femmes pis de voir qu’on n’est pas seules, ça fait partie de la solution, de créer des groupes d’entraide, de juste en parler ». Faisant écho aux propos de Juliette, la création de tels espaces de parole brisant l’isolement qui entoure l’expérience du harcèlement de rue fait partie de la liste de recommandations formulées à l’endroit de la Ville de Montréal.
2. Diffusion et mobilisation des connaissances
À ce propos, l’objectif de cette enquête consistait non seulement à documenter le phénomène, mais aussi à dégager des pistes de solution pour mieux prévenir le harcèlement de rue. Notre démarche devait donc permettre aux membres du CÉAF de s’approprier les connaissances issues de l’enquête. Les résultats de la recherche et les recommandations leur ont d’ailleurs été soumis avant la finalisation du rapport afin de répondre au mieux aux attentes de l’organisme. En outre, une des demandes du CÉAF était de formuler des recommandations qui puissent soit être mises en œuvre par ses membres, soit être portées par l’organisme auprès de divers services publics (transport, éducation, politique, etc.) et ressources communautaires. Pour ce faire, les suggestions des participantes ont été résumées et annexées au rapport de recherche. En plus de la création de groupes de parole, les recommandations portaient essentiellement sur l’éducation, la sensibilisation et la conscientisation ainsi que l’aide aux victimes.
Afin de donner suite à ces recommandations, le CÉAF et une membre de l’équipe de recherche ont entrepris un projet de mobilisation des connaissances2Mélusine Dumerchat a obtenu le soutien du Fond de recherche du Québec – Société et culture via la Bourse pour stage en milieu de pratique.. L’objectif de ce projet était de faire rayonner les résultats de la recherche et les recommandations sous plusieurs formes : 1) un podcast réalisé avec l’R des centres de femmes à destination des groupes de femmes du Québec3Le podcast est accessible en ligne sur le site internet de l’R des centres de femmes et la plateforme Spotify.; 2) une série de trois infographies4Les infographies seront diffusées sur le site Internet du CÉAF et les réseaux sociaux ainsi qu’en version papier lors des activités du Comité de lutte contre le harcèlement de rue à l’intention des personnes ciblées par le harcèlement de rue et leur entourage, mais aussi de potentiels auteurs ou potentielles autrices et des témoins et, enfin, 3) une formation qui a été dispensée auprès de divers organismes œuvrant dans le domaine culturel et communautaire, et de la Ville de Montréal. Les outils produits et les activités menées dans le cadre de ce projet ont permis la mobilisation des connaissances pour plusieurs milieux de pratique. Par exemple, des centres de femmes et organismes jeunesse ont participé à des ateliers et formations afin de sensibiliser leurs membres à l’enjeu du harcèlement de rue et intégrer ces violences dans leurs revendications ou leurs activités de sensibilisation. Une équipe d’employé∙e∙s du Quartier des spectacles a aussi bénéficié de la formation en l’adaptant aux contextes d’évènements festifs. Cette participation a notamment abouti à la co-construction d’un protocole d’intervention dans les cas où des employé∙e∙s ou des festivalier∙ère∙s seraient la cible de harcèlement. Le Service de la diversité et de l’inclusion sociale de la Ville de Montréal a également reçu la formation, dans le but de tenir compte de ce problème social et de prendre acte des recommandations issues du rapport de recherche.
En outre, l’enquête a obtenu une certaine couverture médiatique et suscité des débats. Au total, près d’une dizaine d’entrevues ont été réalisées auprès de médias écrits (dont Le Devoir, 24h et La Presse), à la radio (incluant QUB radio) et à la télévision (LCN et TVA), ainsi que pour une web-série (24h) qui comptait 24 000 visionnements le mois de sa sortie. Dans les rubriques de commentaires de ces médias, nous pouvions lire deux grands types de réactions. D’un côté, nous trouvions plusieurs femmes qui partageaient leur expérience et semblaient favorables à ce que le harcèlement de rue fasse l’objet d’un traitement médiatique. À l’inverse, d’autres personnes niaient la prégnance du phénomène, le réduisant parfois à de la « séduction ». Certain∙e∙s de ces internautes attribuaient la responsabilité du harcèlement de rue à des hommes issus de l’immigration ou accusaient les jeunes femmes de le provoquer. Souhaitant contrer cette banalisation des violences commises contre les femmes et à la remise en doute des principes de recherche-action féministe, les trois autrices du rapport ont rédigé un article publié dans la revue The Conversation (Blais et Dumerchat, avec la collaboration de Simard, 2022). À partir des commentaires recueillis sur des pages Facebook, incluant celle du journal Le Devoir, nous avons regroupé les arguments qui contestaient nos résultats sous quatre rubriques « Le harcèlement de rue existe ailleurs, mais pas à Montréal », « Les auteurs de harcèlement sont des hommes racisés », « Les femmes aiment ça et les féministes exagèrent » et « C’est la faute des femmes ». Elles ont chacune été l’occasion de rappeler que les impacts documentés suffisent à mettre à mal l’amalgame entre la séduction et le harcèlement de rue ou encore d’insister sur le fait qu’il n’y a pas de profil type de harceleur, déconstruisant ainsi les préjugés racistes véhiculés dans certains commentaires. Notons aussi que des femmes répondaient aux propos qui nous ont interpelées sur les médias sociaux.
3. Perspectives institutionnelles et scientifiques
Notre recherche sur les impacts du harcèlement de rue a également reçu un accueil favorable de la Ville de Montréal, et à plus forte raison de la Division équité et luttes aux discriminations du Service de la diversité et de l’inclusion sociale. En effet, un second partenariat de recherche avec le CÉAF, financé par la Ville de Montréal et le Secrétariat à la condition féminine du Québec, a été mis en place sous l’égide du Service aux collectivités5Avec la participation d’Isabelle Courcy (professeure à l’Université de Montréal, professeure associée à l’UQAM), Mélissa Blais (professeure à l’UQO, professeure associée à l’UQAM), Catherine Lavoie Mongrain (post-doctorante, Victoria University), Audrey Simard (CÉAF), Eve-Marie Lampron (Service aux collectivités, UQAM), sans oublier Afi Édé Anahlui et Nuria Jeanneret, étudiantes à l’UQAM, pour le soutien à l’analyse statistique.. Dans la continuité de notre étude qualitative, ce protocole visait à répondre à un second besoin identifié par le CÉAF : obtenir un portrait chiffré de la prégnance, de la fréquence, mais aussi du profil des victimes et des contextes dans lesquels ont lieu les épisodes de harcèlement de rue à Montréal. Menée auprès de plus de 3000 Montréalais∙e∙s, la recherche souligne que 65% d’entre eux et elles ont vécu du harcèlement de rue au cours de l’année 2020-2021, alors que la fréquentation des lieux publics était limitée par les divers confinements liés à la pandémie de COVID-19.
Tout en mobilisant les services de la firme de sondage SOM, la nouvelle équipe de recherche a su tirer profit des constats de la recherche sur les impacts du harcèlement de rue en dressant un portrait du phénomène qui tient compte des manifestations sexistes, racistes, capacitistes, hétérosexistes et cissexistes du harcèlement de rue (Courcy et al., 2022). Ce faisant, à l’inverse des études qui questionnent les femmes d’un côté, et les personnes de la diversité de genre ou racisées de l’autre (voir notamment : Lou et al., 2021; Lubitow et al., 2017; Macmillan et al., 2000; Stop Street Harassment, 2019), les résultats offrent un portrait transversal à ces différentes catégories. Cette recherche montre ainsi que 75 % des personnes de la diversité sexuelles, 75 % des femmes cisgenres en situation de handicap, 84 % des personnes de la diversité de genre et près de 85 % des femmes cisgenres racisées et autochtones ont vécu au moins un épisode de harcèlement de rue.
En outre, cette enquête statistique fait écho aux propos des participantes de la recherche sur les impacts du harcèlement de rue et confirme ce que d’autres études ont démontré : les premières expériences de harcèlement sont vécues avant la majorité et les personnes ciblées par ces violences sont généralement jeunes. En effet, 91,5 % des femmes âgées de 18 à 24 ans ont subi un tel harcèlement entre 2020 et 2021 à Montréal (Courcy et al., 2022). Vécu très tôt, pendant l’adolescence sinon dès l’enfance, le harcèlement de rue semble marquer de façon durable le rapport des filles à l’espace public (Alessandrin et Dagorn, 2018). Pourtant, très peu de travaux s’y intéressent et les ressources destinées aux jeunes, leurs parents, les milieux scolaires et les organismes jeunesse manquent à l’appel, tant au niveau de la prévention que du soutien aux victimes. Pour pallier cette lacune, le CÉAF a développé des ateliers de sensibilisation et de mobilisation des jeunes, destinés aux milieux scolaire et communautaire. Ce projet inclut une recherche-action auprès de jeunes, de nouveau fondée sur une série de focus group. Coordonné par une membre de notre équipe de recherche6Le projet est soutenu par la Ville de Montréal et le volet recherche-action est mené par Mélusine Dumerchat et également financé par Mitacs via le programme Accélération., il a permis de créer des espaces de parole spécifiquement pour les jeunes et de co-construire des pistes d’action en vue de prévenir le harcèlement de rue (Dumerchat, 2023)7Le rapport de recherche est accompagné d’une campagne de sensibilisation sur Instagram réalisée avec des militantes..
En termes de retombées institutionnelles, rappelons enfin que la recherche a attiré l’attention du gouvernement du Québec. En effet, deux membres de l’équipe de recherche ont été invitées à présenter ses principaux constats au Comité de travail sur la violence faite aux femmes, coordonné par le Secrétariat à la condition féminine du Québec. Ce comité a été mis sur pied dans le contexte de l’élaboration de la Stratégie gouvernementale intégrée pour contrer la violence sexuelle, la violence conjugale et Rebâtir la confiance (2022-2027). Non seulement le harcèlement de rue fait partie des violences contre lesquelles on s’engage à agir, mais il figure aussi dans la nouvelle Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2022-2027.
Pour éviter de conclure…
Au regard des diverses retombées dont nous venons de faire état (tant au niveau de la population en général que des victimes, mais aussi aux niveaux institutionnel et communautaire), il serait tentant de conclure que le travail de sensibilisation est derrière nous. Certes, la recherche sur les impacts du harcèlement de rue a permis de créer un espace de prise de parole pour les participantes et de mettre leurs connaissances à contribution en vue d’un changement social. Certes, l’enquête a servi de levier efficace pour la publicisation d’un enjeu qui était largement passé sous silence, participant du même coup à sa reconnaissance comme problème social à Montréal. Or, l’ensemble des impacts de ce projet reste difficile à mesurer et à évaluer concrètement. L’une des questions qui se posent maintenant est celle de l’application concrète des recommandations par les divers milieux sollicités. Quelles suites leur seront données? Qu’en sera-t-il, une fois que l’écho médiatique et politique de cette recherche-action sera passé?
Pour finir, nous aimerions insister sur le fait que les recommandations issues du rapport de recherche ont en commun de ne pas promouvoir la répression, mais plutôt l’éducation et l’aide aux victimes. Et pour cause, plusieurs participantes ne croient pas en l’efficacité à long terme de la répression et soulèvent ses dérives potentielles en termes de profilage social et racial. Le risque que la publicisation du harcèlement de rue au Québec aboutisse, notamment à des mesures de sécurité (comme l’augmentation de la surveillance et de la répression via l’aménagement sécuritaire ou la présence policière) qui ne correspondent pas aux besoins exprimés par les participantes à la recherche et le CÉAF, est bien réel. En effet, notre article dans The Conversation fait d’ailleurs mention de cette inquiétude en écho aux analyses menées en France et en Belgique à la suite de l’adoption de lois contre le harcèlement de rue (Dekker, 2021).
La publicisation du harcèlement de rue au Québec soulève aussi la question à savoir qui peut dénoncer et être entendue (Souffrant, 2022)? Ce questionnement s’est posé dès le début du focus group, lorsque des femmes racisées ont dit qu’elles avaient hésité à venir témoigner dans le cadre de cette recherche-action, non seulement parce qu’elles craignaient de contribuer à la répression des hommes de leur communauté, mais aussi parce qu’elles n’étaient pas convaincues que la définition courante du harcèlement de rue – soit des violences sexistes dans l’espace public – ne tienne compte de l’ensemble de leurs expériences. En d’autres termes, elles nous ont rappelé que le harcèlement de rue se manifeste non seulement sous des formes sexistes, mais aussi racistes. À cela, nous pouvons ajouter les formes capacitistes, cissexistes, hétérosexistes qui s’articulent bien souvent, et dont les imbrications doivent être prises en compte par les décideurs pour agir contre le phénomène sans reproduire ces lignes de fraction. Le fait que les témoignages des femmes racisées sur le harcèlement de rue soient peu ou pas entendus dans le débat public et que leurs communautés se retrouvent souvent stigmatisées par des mesures répressives constitue selon nous deux enjeux majeurs pour la suite. Dans ce contexte, il convient de réitérer l’invitation à produire des analyses féministes qui articulent les multiples rapports de pouvoir, parce qu’elles permettent de penser des pistes d’action efficaces et bâtir des solidarités pour contrer le harcèlement de rue (Lieber, 2016).
Notes de bas de page
- 1Avec la participation d’Eve-Marie Lampron, agente du Service aux collectivités, et d’Audrey Simard, travailleuse du CÉAF et co-autrice du rapport de recherche.
- 2Mélusine Dumerchat a obtenu le soutien du Fond de recherche du Québec – Société et culture via la Bourse pour stage en milieu de pratique.
- 3Le podcast est accessible en ligne sur le site internet de l’R des centres de femmes et la plateforme Spotify.
- 4Les infographies seront diffusées sur le site Internet du CÉAF et les réseaux sociaux ainsi qu’en version papier lors des activités du Comité de lutte contre le harcèlement de rue
- 5Avec la participation d’Isabelle Courcy (professeure à l’Université de Montréal, professeure associée à l’UQAM), Mélissa Blais (professeure à l’UQO, professeure associée à l’UQAM), Catherine Lavoie Mongrain (post-doctorante, Victoria University), Audrey Simard (CÉAF), Eve-Marie Lampron (Service aux collectivités, UQAM), sans oublier Afi Édé Anahlui et Nuria Jeanneret, étudiantes à l’UQAM, pour le soutien à l’analyse statistique.
- 6Le projet est soutenu par la Ville de Montréal et le volet recherche-action est mené par Mélusine Dumerchat et également financé par Mitacs via le programme Accélération.
- 7Le rapport de recherche est accompagné d’une campagne de sensibilisation sur Instagram réalisée avec des militantes.
Bibliographie
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Cahier IREF
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