Introduction à la masculinité féminine : la masculinité sans les hommes
Informations sur la traduction Traduction de l’anglais par Julie Levasseur. Révision par Maël Maréchal, Ariane Gibeau et Rosemarie Fournier-Guillemette. Lecture sensible par Maël Maréchal. Source du texte original : Halberstam, Jack, « An introduction to female masculinitie : masculinity without men », The masculinity studies reader, Jorge Castillo (dir.), Malden, Blackwell, 2002, p. 355-374. Ce texte est composé d’extraits tirés de l’introduction de l’ouvrage Female masculinity, Durham, Duke University Press, 1998, p. 1-9, 13-29, 40-41, 279-281 (notes). Note sur la traduction : Jack Halberstam (pronoms et accords masculins et féminins), né en 1961, est professeure d’anglais et d’études de genre à l’Université Colombia de New York et auteur de plusieurs livres, dont The Queer Art of Failure (2011), In a Queer Time and Place (2005) et Female Masculinities (1998). Adoptant une approche pluridisciplinaire, ce dernier livre, dont nous reproduisons ici un extrait, permet d’évoquer la panoplie de masculinités qui existent et foisonnent, au-delà de la masculinité des hommes cisgenres blancs. Halberstam se penche tout particulièrement sur les masculinités féminines lesbo-queers des XIXe et XXe siècles, et aborde différentes figures comme la tomboy, la stone butch et le drag king. Halberstam fait régulièrement référence aux termes maleness et femaleness, qui ne trouvent pas d’équivalent en français : nous avons choisi de les traduire par les néologismes mâlitude et fémellitude. Nous les avons préféré à mâlité et fémellité étant donné l’écho de fémellité avec certaines positions féministes essentialistes et transphobes. Nous employons ces termes pour désigner une place dans le monde qui n’est pas figée, mais qui est traversée par des hégémonies sociopolitiques et culturelles. Nous avons également traduit ambigously gendered bodies par non conformes dans le genre, malgré le risque d’anachronisme. Afin de nous coller aux usages communautaires francophones, nous avons décidé de conserver les acronymes FtM (Female to Male) et MtF (Male to Female). |
À quoi sert d’être un petit garçon si vous devez être un homme?
Gertrude Stein, Autobiographie de tout le monde 1Stein, Gertrude, Autobiographie de tout le monde, trad. de l’anglais par Marie-France de Paloméra, Paris, Seuil, [1937] 1989, p. 293.
La vraie chose
Qu’est-ce que la « masculinité »? Il s’agit probablement de la question à laquelle j’ai fait le plus souvent face au cours des cinq dernières années, alors que j’écrivais sur le thème de la masculinité féminine. Si la masculinité (masculinity) n’est pas l’expression sociale, culturelle ou même politique de la mâlitude (maleness), de quoi s’agit-il? Je ne prétends pas avoir de réponse définitive, mais j’ai quelques hypothèses sur les raisons pour lesquelles la masculinité ne doit pas, ne peut pas et ne devrait pas se limiter au corps mâle et à ce qui l’entoure. Je me risque aussi à affirmer que même si nous semblons avoir du mal à définir la masculinité, notre société a peu de difficulté à la reconnaître. En effet, nous dépensons énormément de temps et d’argent à entériner et soutenir les versions de la masculinité auxquelles nous sommes sensibles et en lesquelles nous avons confiance; beaucoup de ces « masculinités héroïques » dépendent entièrement de la subordination des masculinités alternatives. Je soutiens que loin d’être une imitation de la mâlitude, la masculinité féminine nous donne un aperçu de la manière dont la masculinité est construite. Autrement dit, les masculinités des femmes sont présentées comme les rebuts de la masculinité dominante afin que la masculinité des hommes puisse apparaître comme la vraie chose. Mais ce que nous associons à une masculinité héroïque a été produit par et à travers des corps tant masculins que féminins.
Ce chapitre n’offre pas seulement une introduction théorique conventionnelle à la conceptualisation de la masculinité sans les hommes; il tente plutôt de compiler les mythes et les fantasmes qui rendent difficile la séparation de la masculinité et de la mâlitude. Je propose, à travers une tentative de réinvention de la masculinité, de nombreux exemples de masculinités alternatives dans la fiction, le cinéma et l’expérience vécue. Pour la plupart queers et féminins, ces exemples montrent clairement à quel point il est important de reconnaître les masculinités alternatives au moment et à l’endroit où elles émergent. Tout au long de ce [chapitre]2Note de la traductrice : Toutes les modifications entre crochets, y compris les ellipses, proviennent du texte source tel que reproduit dans The Masculinity Reader sous la direction de Jorge Castillo (2002, p. 355-374) et témoignent de l’adaptation du texte aux fins de sa publication dans cet ouvrage., je détaille les nombreuses façons dont la masculinité féminine a été ouvertement ignorée, à la fois dans la culture en général et dans les études universitaires. Je suggère que cette indifférence généralisée à l’égard de la masculinité féminine est justifiée par des motivations idéologiques claires et qu’elle a soutenu les structures sociales complexes qui marient la masculinité à la mâlitude, au pouvoir et à la domination. Je crois fermement qu’une analyse approfondie de la masculinité féminine peut permettre d’importantes interventions dans les études sur le genre, les études culturelles, les études queers et les réflexions générales sur le genre.
Dans notre société, la masculinité convoque inévitablement les notions de pouvoir, de légitimité et de privilège; elle symbolise souvent le pouvoir de l’État et la répartition inégale des richesses. La masculinité semble s’étendre, au niveau macro, au patriarcat et, au niveau micro, à la famille; elle représente le pouvoir de l’héritage, les conséquences du trafic des femmes et la promesse de privilèges sociaux. Mais, bien sûr, d’autres variables identitaires traversent le terrain de la masculinité et divisent son pouvoir selon des disparités complexes de classe, de race, de sexualité et de genre. Si ce que nous appelons la « masculinité dominante » apparaît comme une relation naturalisée entre la mâlitude et le pouvoir, il n’est guère sensé de chercher les contours de cette construction sociale chez les hommes. La masculinité […] devient lisible lorsqu’elle quitte le corps des hommes blancs issus de la classe moyenne. Les débats sur la masculinité excessive tendent à se concentrer sur les corps noirs (hommes et femmes), latino-américains, ou issus de la classe ouvrière, tandis que la masculinité déficiente est trop souvent représentée par les corps asiatiques ou issus de la classe supérieure. Ces constructions stéréotypées influencent le processus par lequel la masculinité devient prépondérante chez les hommes blancs de classe moyenne. Cependant, trop d’études récentes sur le pouvoir de la masculinité blanche mettent l’accent sur le corps et consacrent tous leurs efforts à décrire les formes et les expressions de sa domination. De nombreuses études ressassent ad nauseam des informations sur Elvis, les jeunes hommes blancs, le féminisme des hommes blancs, le rapport des hommes au mariage et la nécessité de domestiquer la mâlitude. La présente étude affiche une certaine indifférence face à la blanchité du mâle, à la masculinité de l’homme blanc et au projet visant à nommer son pouvoir : la masculinité mâle figure ici comme une herméneutique, et comme contre-exemple des territoires de la masculinité qui semblent les plus révélateurs quant aux rapports de genre et les plus générateurs de changement social. […]
Comment commencer [un essai] sur la masculinité féminine autrement qu’en destituant l’un des héros masculins les plus connus? Bond, James Bond. Pour illustrer la thèse selon laquelle la masculinité moderne est reconnue d’emblée comme féminine, il y a tout lieu de considérer les films d’action de James Bond; la masculinité dominante n’y est souvent que l’ombre d’une masculinité alternative plus puissante et plus convaincante. Dans GoldenEye (1995), par exemple, Bond affronte les méchants habituels : des communistes, des nazis, des mercenaires et une fem fatale super agressive. Il joue son rôle habituel de héros d’action et d’aventure débonnaire, avec sa panoplie habituelle de gadgets pour l’aider – une ceinture rétractable, une bombe déguisée en stylo, une montre à arme laser, etc. Mais il y a quelque chose qui manque curieusement au film, à savoir une forme crédible de pouvoir masculin. La patronne de Bond, M, est une femme d’un certain âge, visiblement butch; elle le traite de dinosaure et le réprimande pour sa misogynie et son sexisme. Sa secrétaire, Miss Moneypenny, l’accuse de harcèlement sexuel; son pote le trahit et le traite d’imposteur; les femmes ne semblent pas être séduites par ses charmes – ses piètres complets et ses nombreux sous-entendus sexuels –, qui apparaissent aussi vieux et inefficaces que ses gadgets.
La masculinité, dans ce film à peu près sans action, est avant tout prothétique. Comme dans d’innombrables films du genre, elle a peu ou rien à voir avec la mâlitude biologique et se présente plus souvent comme un effet spécial technique. Dans GoldenEye, c’est M qui performe la masculinité de la manière la plus convaincante, en partie parce qu’elle expose l’imposture de la performance de Bond. C’est M qui nous convainc que le sexisme et la misogynie ne font pas nécessairement partie intégrante de la masculinité, même s’il est historiquement devenu difficile, voire impossible, de démêler la masculinité de l’oppression des femmes. Le héros d’action et d’aventure devrait incarner une version extrême de la masculinité normative, mais cette masculinité excessive vient plutôt parodier ou dévoiler la norme. Puisque la masculinité tend à se présenter comme naturelle, l’accent du film d’action sur l’extension prothétique en vient à miner l’hétérosexualité du héros tout en amplifiant sa masculinité. Pour reprendre l’exemple de GoldenEye, la masculinité de Bond se voit liée non seulement à une incarnation artificielle du masculin, mais aussi aux masculinités gaies. Dans la scène où Bond va récupérer son nouvel ensemble de gadgets, un technomane maniéré et presque efféminé lui présente chacun de ses accessoires avec beaucoup d’enthousiasme. Ce n’est pas un hasard s’il s’appelle Agent Q. Nous pourrions le lire comme le parfait modèle de l’interpénétration des régimes queers et dominants : Q est précisément un agent, un sujet queer qui expose le fonctionnement de la masculinité hétérosexuelle dominante. En effet, la masculinité gaie de l’Agent Q et la masculinité féminine de M fournissent une représentation remarquable de la dépendance absolue des masculinités dominantes vis-à-vis des masculinités minoritaires.
Lorsque vous lui enlevez ses jouets, Bond n’a plus grand-chose pour soutenir sa performance de la masculinité. Sans le costume léché, le demi-sourire et l’allume-cigare qui se transforme en pistolet laser, notre James est un héros sans action et sans aventure. La masculinité de l’homme blanc, que nous pourrions appeler « masculinité épique », dépend entièrement – comme tous les films de Bond le montrent – d’un vaste réseau souterrain de groupes gouvernementaux secrets, de scientifiques bien payés, de membres de l’armée ainsi que d’une réserve infinie de belles filles soit malveillantes, soit gentilles; enfin, elle repose fortement sur un « méchant » immédiatement reconnaissable. Le « méchant » figure parmi les modèles de masculinité épique. Il suffit de penser à Paradise Lost de John Milton et à sa séparation eschatologique entre Dieu et le Diable; Satan, si l’on veut, est le méchant originel. Cela ne veut pas dire que cette posture lui interdit les récompenses du privilège masculin. Au contraire, les méchants peuvent aussi ressembler à des gagnants. Ils ont simplement tendance à mourir plus tôt. […]
Il existe aussi toute une histoire littéraire et cinématographique célébrant la rébellion de l’homme. Si James Stewart, Gregory Peck et Fred Astaire sont quelques rares exemples du charme des bons garçons, les rôles de James Dean, Marlon Brando et Robert De Niro incarnent au contraire le charme des mauvais, et il est assez difficile de séparer les uns des autres. Il est évident que les représentations de mauvais garçons dans les années 1950 reflétaient une certaine rébellion de la classe ouvrière blanche contre la classe moyenne et des formes particulières de domestication. Toutefois, le rebelle fougueux d’aujourd’hui est le courtier en placements de demain, et la rébellion masculine penche vers la respectabilité à mesure que l’incitation à la conformité l’emporte sur la rébellion sociale. Pour paraphraser Gertrude Stein, à quoi sert d’être un garçon rebelle si vous devez être un homme? Bien sûr, lorsque la rébellion cesse d’être masculine, blanche et issue de la classe moyenne (qu’elle soit limitée à un homme seul ou étendue à une bande de garçons) et devient une rébellion de classe ou de race, une menace très différente émerge.
Les tomboys
Que se passe-t-il lorsque la rébellion des garçons se situe non pas dans la moue testostéronée du voyou, mais dans le ricanement de la tomboy? Le tomboyisme désigne généralement une période prolongée de masculinité féminine dans l’enfance. Si l’on en croit les études sur les comportements infantiles, ce phénomène est assez courant chez les filles et ne suscite habituellement pas de craintes parentales. Alors que des comportements d’identification au genre opposé donnent souvent lieu à des réactions hystériques lorsqu’ils se présentent chez des garçons, la déviance de genre des filles est beaucoup mieux tolérée3Pour approfondir cette réflexion sur les tomboys, voir Halberstam (1999). Sauf indication contraire, toutes les notes sont de l’auteur.. Je ne suis pas sûr·e qu’une telle tolérance puisse être mesurée ou que les réactions aux comportements genrés des enfants nous renseignent concrètement sur les limites permises de la déviance de genre chez les adultes. Le tomboyisme tend à être associé à un désir « naturel » d’accéder aux libertés et aux mobilités plus grandes dont jouissent les garçons. Très souvent, il est lu comme un signe d’indépendance et de motivation; il peut même être encouragé s’il demeure lié à une identification féminine stable. Le tomboyisme est cependant puni lorsqu’il signale une identification masculine extrême (adopter un nom de garçon ou refuser tout type de vêtements de fille) et lorsqu’il menace de s’étendre au-delà de l’enfance4Pour en savoir plus sur la répression des tomboys, voir Burke (1996). L’autrice analyse quelques cas récents de prétendu trouble de l’identité de genre, dans lesquels les petites filles se voient minutieusement conditionnées pour cesser tout comportement masculin et adopter des formes de féminité contraignantes.. Le tomboyisme chez les adolescentes pose problème et tend à susciter les efforts de réorientation les plus sévères. Nous pourrions dire que le tomboyisme est toléré tant que l’enfant est prépubère; au début de la puberté, tout le poids de la conformité de genre s’abat sur la fille. La conformité de genre est imposée à toutes les filles, pas seulement aux tomboys, et il est alors difficile de défendre l’idée selon laquelle la féminité masculine constitue une plus grande menace pour la stabilité sociale et familiale que la masculinité féminine. Pour les filles, l’adolescence représente la crise du passage à l’âge adulte au féminin dans une société dominée par les hommes. Si l’adolescence masculine renvoie à un rite de passage (très célébré dans la littérature occidentale sous la forme du bildungsroman) et à une ascension vers un certain pouvoir social (même limité), l’adolescence féminine est une leçon de retenue, de punition et de répression. C’est dans ce contexte que les instincts tomboys de millions de filles sont remodelés en des formes convenables de féminité.
Que des filles sortent de l’adolescence en tant que femmes masculines est tout à fait étonnant. La visibilité croissante des communautés lesbiennes et la respectabilité qu’elles inspirent facilite dans une certaine mesure l’émergence de jeunes femmes masculines. Mais il suffit de jeter un coup d’œil au cinéma populaire pour constater que l’image de la tomboy ne peut être tolérée que dans le cadre d’un récit d’épanouissement féminin; dans un tel récit, la tomboy résiste à l’âge adulte lui-même plutôt qu’à la féminité. Le personnage-titre du récit de tomboy classique Frankie Addams, dans le roman de Carson McCullers (trad. par Tournier, [1974] 2000) comme dans son adaptation cinématographique, mène une bataille perdue d’avance contre la féminité, et le texte envisage ces enjeux dans une crise de la représentation où l’héroïne fait face à des choix de vie inacceptables. À l’approche du mariage de son frère, Frankie Addams se déclare empêtrée dans un monde où elle n’appartient à rien ni personne, en dehors du partenariat symbolique du mariage, et étrangère à presque toutes les catégories qui pourraient la décrire. McCullers écrit : « C’est arrivé au cours de cet été vert et fou. Frankie avait douze ans. Elle ne faisait partie d’aucun club, ni de quoi que ce soit au monde. Elle était devenue un être sans attache, qui traînait autour des portes, et elle avait peur » (p. 9). McCullers place Frankie au seuil de l’adolescence (« Frankie avait douze ans ») et dans un état permanent de détachement : « Elle ne faisait partie d’aucun club, ni de quoi que ce soit au monde. » L’enfance en général peut être qualifiée de période de « non-appartenance », mais la garçonne arrivant aux portes de la féminitude est exposée par son statut « sans attache » à toutes sortes de violences sociales et de situations d’opprobre. Alors qu’elle s’attarde dans les dernières lueurs de l’enfance, Frankie Addams devient une tomboy « qui traînait autour des portes, et elle avait peur ».
En tant que genre cinématographique, le film de tomboy […] suggère que les catégories disponibles pour les femmes en matière d’identification raciale, genrée et sexuelle sont tout simplement inadéquates. Dans son roman, McCullers montre que cette inadéquation est le résultat direct de la tyrannie du langage – une structure qui, artificiellement mais sûrement, fige sur place les personnes et les choses. Frankie essaie de changer d’identité en changeant de nom : « Pourquoi c’est défendu par la loi de changer de nom? » demande-t-elle à Berenice (p. 216). Berenice répond : « Parce que, autour de ton nom, il y a des choses qui se sont entassées »; elle souligne ensuite que, sans nom, la confusion régnerait et que « le monde entier deviendra[it] fou » (p. 217). Cependant, Berenice reconnaît que la fixité du nom piège aussi les gens dans de nombreuses identités, tant raciales que genrées : « Tous on est comme des prisonniers. […] Et peut-être qu’on voudrait s’évader et être libre. Mais on a beau faire, toujours on reste prisonnier » (p. 228). Frankie pense que l’attribution d’un nom implique un pouvoir de définition, et que le changement de nom confère le pouvoir de réinventer l’identité, le lieu, la relation et même le genre : « Je me demande si c’est interdit par la loi de changer de nom. Ou de lui ajouter quelque chose. […] Ça m’est égal. […] F. Jasmine Addams » (p. 36).
La psychanalyse pose l’existence d’un lien fondamental entre le langage et le désir, de telle sorte que le langage structure le désir et exprime à la fois sa grandeur et sa futilité – grandeur parce que nous désirons toujours, futilité parce que rien ne parvient à nous satisfaire. Frankie en particulier comprend le désir et la sexualité comme les formes les plus contraignantes de conformisme social : nous devrions désirer seulement certaines personnes et seulement de certaines manières. Toutefois, son désir ne fonctionne pas de cette façon et elle se retrouve déchirée entre attachement et rattachement. Puisqu’elle ne le ressent pas de manière conventionnelle, Frankie cherche à éviter complètement le désir. Sa lutte avec le langage, de même que ses tentatives visant à se réinventer à travers l’attribution d’un nom et à réinventer l’ordre ontologique du monde, sont héroïques mais infructueuses. Le pessimisme de McCullers réside dans sa conscience du caractère écrasant de « l’ordre des choses », un ordre qui ne peut être affecté par l’individu, qui agit sur des éléments aussi rudimentaires que le langage et qui contraint les gens à adhérer à des appartenances impossibles.
Mon [essai] refuse la futilité longtemps associée au récit de tomboy et cherche plutôt à reconnaître et à valider une pluralité de corps et de subjectivités genrées. […] [Je plaide] en faveur de la production de nouvelles taxinomies, ce qu’Eve K. Sedgwick appelait avec humour les « taxinomies contextuelles5N.D.T. : L’expression employée par Sedgwick en anglais, « nonce taxonomies » (1990, p. 22), joue sur un double sens : nonce désigne à la fois une chose ou un concept conçu pour une occasion particulière et, en argot britannique, un individu accusé ou reconnu coupable d’un crime sexuel (voir The Wet Archive, 2015). » dans Épistémologie du placard (trad. par Cervulle, 2008, p. 44). Il s’agit de catégories de désir, de physicalité et de subjectivité qui tentent d’agir sur les processus hégémoniques de dénomination et de définition. Les taxinomies contextuelles sont des catégories que nous utilisons quotidiennement pour donner un sens à nos mondes, mais qui fonctionnent si bien que nous n’arrivons pas à les reconnaître. […] J’essaie de mettre en évidence certaines des taxinomies contextuelles de la masculinité féminine et d’historiciser la suppression de ces catégories. […] J’utilise le thème de la masculinité féminine pour explorer une subjectivité queer pouvant défier avec succès les modèles hégémoniques de conformité de genre. La masculinité féminine constitue un espace d’enquête particulièrement fructueux parce qu’elle a été vilipendée par les projets tant hétérosexistes que féministes/womanistes; à la différence de la féminité masculine, laquelle remplit une sorte de fonction rituelle dans les cultures homosociales des hommes, la masculinité féminine est généralement reçue par les cultures hétéro- et homonormatives comme un signe pathologique de fausse identification et d’inadaptation, comme un désir de devenir et de détenir un pouvoir hors de portée. Dans un contexte lesbien, la masculinité féminine a été considérée comme le lieu où le patriarcat agit sur la psyché féminine et reproduit la misogynie au sein de la fémellitude. Il existe à ce jour très peu d’études ou de théories relatives aux effets inévitables de la masculinité pleinement assumée des femmes sur la masculinité en apparence solide des hommes. Parfois, la masculinité féminine coïncide avec les excès de la suprématie masculine et, parfois, elle codifie une forme unique de rébellion sociale; la masculinité féminine porte souvent le signe de l’altérité sexuelle, mais elle indique à l’occasion une variation au sein de l’hétérosexualité; parfois, la masculinité féminine souligne la pathologie et, de temps en temps, elle représente une solution de rechange saine à ce qui est considéré comme l’histrionisme des féminités conventionnelles.
Je souhaite produire, avec soin, un modèle de masculinité féminine qui tienne compte de ses multiples formes tout en appelant à des affirmations nouvelles et conscientes des différentes taxinomies de genre. De telles affirmations ne commencent pas par la subversion ou la contestation du pouvoir masculin, mais par l’acte de fermer les yeux sur les masculinités conventionnelles et le refus d’y participer. Frankie Addams, par exemple, construit sa rébellion non pas en s’opposant à la loi, mais en s’y montrant indifférente. Elle reconnaît qu’il peut être illégal de changer son nom ou d’y ajouter quelque chose, mais sa réponse est simple : « Ça m’est égal. » Je ne suggère pas [dans ce texte] que nous suivions la voie futile de ce que Foucault appelle « dire non au pouvoir », mais j’affirme que le pouvoir peut surgir de différentes formes de refus : « Ça m’est égal. » […]
Construire des masculinités
Au sein même des études culturelles, la masculinité est récemment devenue un sujet de prédilection. Je souhaite ici rendre compte de la popularité croissante d’un corpus sur la masculinité qui ne montre absolument aucun intérêt pour la masculinité sans les hommes. J’ai remarqué pour la première fois l’intérêt sans précédent à l’égard de la masculinité en avril 1994, lorsque le DIA Center for the Performing Arts a convoqué un groupe d’intellectuel·les important·es pour en discuter. À l’ouverture de l’événement, une des personnes interpelées s’est demandé : « Pourquoi la masculinité, pourquoi maintenant? » Plusieurs autres panélistes, des critiques et universitaires masculins, ont présenté des communications éloquentes sur leurs souvenirs de jeunesse et leurs relations avec leurs pères. La seule lesbienne de l’assemblée, une poétesse, a lu un poème émouvant sur le viol. À la fin de la soirée, une seule participante avait abordé les limites d’une réflexion faisant de la masculinité le synonyme des hommes ou de la mâlitude6Les communications présentées ont fait l’objet d’un ouvrage collectif intitulé Constructing Masculinity (Berger, Wallis et Watson, 1996), et la seule intervention au sujet des masculinités non masculines a été prononcée par Eve Kosofsky Sedgwick.. Cette intervention solitaire a mis en évidence le fossé entre les réflexions dominantes sur la masculinité et les hommes, d’une part, et les réflexions queers sur la masculinité, d’autre part, qui s’étendent bien au-delà du corps masculin. En effet, à la question naïve « Pourquoi la masculinité, pourquoi maintenant? », on pourrait répondre que la masculinité dans les années 1990 est finalement reconnue comme étant, au moins en partie, une construction qui émane de personnes nées de sexe féminin ainsi que masculin7J’utilise les termes « nées de sexe féminin » et « nées de sexe masculin » en référence à la pratique sociale consistant à attribuer l’un des deux genres aux bébés à la naissance. Ma terminologie suggère que ces assignations pourraient ne pas durer toute la vie de l’individu, et signale d’emblée que le genre binaire continue de dominer nos conceptions culturelles et scientifiques du genre, mais que, inévitablement, des individus échouent à se retrouver dans l’une ou l’autre de ces options..
L’ouvrage collectif produit à la suite de ce colloque fournit une preuve supplémentaire du lien étroit que les directeurs de publication ont établi entre la masculinité et la mâlitude. La page de titre présente une petite illustration photographique d’une enseigne de magasin de vêtements annonçant des « Fixings for Men », des accessoires pour hommes. Cette illustration a été placée juste en dessous du titre, Constructing Masculinity, et force le lectorat à définir la construction de la masculinité comme l’habillement des hommes. L’introduction de l’ouvrage tente de diversifier cette définition en utilisant les contributions de Judith Butler et d’Eve Sedgwick pour reconnaître les défis posés par les gais, les lesbiennes et les queers à la normativité de genre. Les directeurs de publication insistent sur le fait que la masculinité est multiple et que « loin de ne concerner que les hommes, [elle] implique, infléchit et façonne tout le mond8Sauf indication contraire, toutes les traductions des citations sont de la traductrice. » (Berger, Wallis et Watson, 1996, p. 7). L’engagement à l’égard d’une conception plurielle de la masculinité se confirme dans le premier texte du collectif, dans lequel Eve Sedgwick avance que la masculinité n’a peut-être pas grand-chose à voir avec les hommes, et se voit prolongé en quelque sorte par le texte de Butler, intitulé « Melancholy Gender ». Mais Sedgwick critique aussi les directeurs de publication d’avoir proposé un livre et un colloque qui continuent de lier la masculinité à la mâlitude. Bien que l’introduction laisse entendre qu’ils ont tenu compte de son appel en faveur de la diversité de genre, le reste de l’ouvrage suggère le contraire. Ce collectif compte plusieurs textes fascinants, mais aucun ne porte spécifiquement sur la masculinité féminine. Des images queers et non binaires par Loren Cameron et Cathy Opie ornent les pages du livre, mais le texte n’offre aucun commentaire à leur sujet. L’ouvrage réfléchit à des icônes masculines comme Clint Eastwood et Steven Seagal; il aborde les relations complexes entre pères et fils; il examine des sujets comme la définition des hommes par la science ainsi que les rapports entre la masculinité et la loi. Il se termine par un texte de Stanley Aronowitz intitulé « My Masculinity », une réflexion autobiographique sur les différentes formes de pouvoir masculin.
Je ne considère pas que le collectif est inintéressant ou que les textes sont erronés ou malavisés, mais je veux souligner que la déclaration en introduction s’avère moins un prologue qu’un épilogue décrivant ce qu’un ouvrage sur la masculinité devrait faire. En d’autres termes, même lorsque la nécessité d’une analyse de la masculinité féminine a été reconnue, il semble remarquablement difficile d’y donner suite. Qu’est-ce qui explique donc, pour paraphraser le texte d’Eve Sedgwick, qu’il soit si difficile de ne pas présumer une relation essentielle entre la masculinité et les hommes9De plus en plus de revues publient des dossiers spéciaux sur la masculinité, mais je n’en ai pas encore trouvé un seul présentant un essai sur la masculinité féminine. La dernière annonce de publication qui m’est parvenue concernait le numéro « New Masculinities » de The Velvet Light Trap: A Critical Journal of Film and Television. Il incluait des textes intitulés « The “New Masculinity” in Tootsie », « On Fathers and Sons, Sex and Death », « Male Melodrama and the Feeling Man », etc. Je ne veux pas dire par là que ces sujets ne sont pas intéressants, mais que les « nouvelles masculinités » ressemblent étrangement aux anciennes. Voir The Velvet Light Trap (1996).?
En commençant ma réflexion par cette analyse, je ne veux pas donner l’impression que le sujet des masculinités féminines doit toujours être lié à un propos plus vaste, à un ensemble de masculinités qui a été, et continue d’être, centré sur les hommes. Je ne veux pas non plus suggérer que la théorie du genre constitue la véritable origine des connaissances en matière de genre. Au contraire, ce colloque et ce livre ne font que souligner le décalage entre les connaissances et les pratiques communautaires, d’une part, et les discours universitaires, d’autre part. Je crois qu’il est à la fois utile et important de contextualiser toute discussion sur les masculinités féminines et lesbiennes et de la situer en opposition directe à celle sur la masculinité en général qui, au sein des études culturelles, la situe résolument en tant que propriété des corps mâles. Le refus persistant de la société occidentale d’admettre des corps non conformes dans le genre au sein des rapports sociaux (mis en évidence, par exemple, par notre utilisation continuelle des toilettes « ou bien » : ou bien pour femmes, ou bien pour hommes) repose, selon moi, sur une attitude conservatrice et protectionniste des hommes à l’égard de la masculinité. Une telle attitude a été renforcée par un scepticisme plus général à l’égard de la masculinité féminine. Je ne peux décrire un tel scepticisme qu’en évoquant un échec de l’imaginaire collectif : autrement dit, les personnes nées de sexe féminin assaillent de manière puissante et convaincante la cohérence de la masculinité masculine depuis plus de cent ans; qu’est-ce qui empêche ces assauts de s’implanter et de réduire les liens entre la masculinité et les hommes? Malgré les multiples images de femmes fortes (comme la culturiste Bev Francis10N.D.L.R. : Bev Francis (1955-…) est une lanceuse de poids australienne convertie à l’haltérophilie, où elle se spécialise en force athlétique (powerlifting). En 1991, lors de sa participation à la compétition télévisée Ms. Olympia, elle termine en deuxième place malgré ses prouesses supérieures et reçoit des critiques pour le manque de féminité de son impressionnante musculature, comme Gloria Steinem le rapporte. Voir « The Strongest Woman in the World », Moving Beyond Words. Age, Rage, Sex, Power, Money, Muscles: Breaking the Boundaries of Gender, New York, Simon & Schuster, 1994, p. 98-122. ou la joueuse de tennis Martina Navratilova11N.D.L.R. : Martina Navrátilová (1956-…) est une joueuse de tennis tchécoslovaque qui a remporté de nombreux tournois d’envergure durant sa carrière qui s’est étalée entre 1974 et 1994 et dont le style de jeu agressif et athlétique a marqué le sport. Se désignant bisexuelle, puis lesbienne, elle a longtemps milité pour le droit des personnes de la communauté LGBT. Depuis 2019, elle se distingue par ses prises de positions contre l’inclusion des athlètes trans dans le sport, ainsi que contre les pratiques drag, ce qui lui vaut l’exclusion de certaines organisations de défense des personnes de la diversité queer. Voir Ennis, Dawn (2021), « Martina Navratilova Wants You To Believe She’s Not A Transphobe », Forbes, 27 septembre, https://www.forbes.com/sites/dawnstaceyennis/2021/09/27/martina-navratilova-wants-you-to-believe-shes-not-a-transphobe.), de femmes qui s’identifient au genre opposé (Radclyffe Hall12N.D.L.R. : Marguerite Antonia Radclyffe Hall (1880-1943), qui préférait le prénom « John », est une personne autrice et poète anglaise connu·e pour son roman The Well of Loneliness (1928), qui a suscité controverses et procès en plus de marquer profondément la littérature et la culture lesbiennes du vingtième siècle. Voir la biographie de Sally Cline (1998), Radclyffe Hall : A Woman Called John, Woodstock, The Overlook Press. Au sujet du roman, voir Doan, Laura, et Jay Prosser (dir.) (2001), Palatable Poison : Critical Perspectives on The Well of Loneliness, New York, Columbia University Press. ou Ethel Smyth13N.D.L.R. : Ethel Smyth (1858-1944) est une autrice, musicienne et compositrice anglaise de renom qui s’est activement impliquée dans le mouvement suffragiste et a mis en musique l’un de ses hymnes, The March of the Women (1911). Elle était reconnu pour ses amours homosexuelles, bien que des doutes subsistent sur sa possible bisexualité. Voir, entre autres, Wiley, Christopher (2004), « “When a Woman Speaks the Truth about Her Body” : Ethel Smyth, Virginia Woolf, and the Challenges of Lesbian Auto/Biography », Music & Letters, vol. 85, no 3, p. 388-414; et Abromeit, Kathleen A. (1989), « Ethel Smyth, “The Wreckers”, and Sir Thomas Beecham », The Musical Quarterly, vol. 73, no 2, p. 196-211.), de personnalités publiques codées de façon masculine (Janet Reno14N.D.L.R. : Janet Reno (1948-2016) est une juriste et haut-fonctionnaire étatsunienne qui a été la première femme à occuper le poste de procureure générale de son pays, sous l’administration du président Bill Clinton. Sa grande taille et son accession au pouvoir en font le point de mire des humoristes, notamment l’hebdomadaire Saturday Night Live, qui moquent sa masculinité. Voir Mundy, Liza (1998). « Why Janet Reno Fascinates, Confounds and Even Terrifies America? », The Washington Post, 25 janvier, p. W06.), de grandes vedettes butchs (k.d. lang15N.D.L.R. : k.d. lang est le nom d’artiste de Kathryn Dawn Lang (1961-…), une autrice-compositrice canadienne plusieurs fois lauréate de prix Grammy et Juno ayant fait carrière dans la musique country. Après s’être identifiée comme lesbienne et être apparue en couverture de Vanity Fair en bras de chemise et pantalons, avec de la crème à raser sur le bas du visage, sa musique a été exclue de plusieurs stations de radio étatsuniennes et elle a dû franchir les piquets des manifestants pour recevoir son Grammy pour meilleure chanteuse pop de l’année 1992. Voir Friend, David (2016), « “Hard to unravel” : k.d. lang reflects on her career and coming out », CBC News, 1er juillet, https://www.cbc.ca/news/canada/calgary/kd-lang-fashion-cowboy-bride-coming-out-1.3657007.), de femmes musclées et athlétiques (Jackie Joyner-Kersee16N.D.L.R. : Jackie Joyner-Kersee (1962-…) est une athlète étatsunienne, spécialisée dans l’heptathlon et le saut en longueur, qui a remporté sept médailles olympiques entre 1984 et 1996, dont trois médailles d’or. Son record du monde de 7291 points à l’heptathlon, établi aux jeux de 1988 à Séoul, est encore aujourd’hui insurpassé. Voir (2024) « Jackie Joyner-Kersee », Encyclopaedia Britannica, 22 juillet, https://www.britannica.com/biography/Jackie-Joyner-Kersee.), ou encore de personnes trans nées de sexe féminin (Leslie Feinberg17N.D.L.R. : Leslie Feinberg (1949-2014) est une autrice étatsunienne qui a longuement milité pour le droit des personnes de la diversité queer. Son exploration des identités lesbienne, butch et trans, à travers la fiction avec Stone Butch Blues (1993) ou l’essai avec Transgender Warriors : Making History from Joan of Arc to Dennis Rodman (1996), a contribué de manière fondamentale à la réflexion sur ces questions.), il n’y a toujours pas d’acceptation générale ni même de reconnaissance des femmes masculines et des garçonnes. Le présent [essai] se penche sur cette incapacité collective à imaginer et à valider la masculinité produite par, pour et chez les femmes.
Au cas où mes préoccupations sembleraient trop méprisantes, je souhaite aborder ce qui se produit lorsque des réflexions universitaires sur la masculinité masculine excluent des masculinités plus diversifiées. Il ne s’agit pas de donner une attention démesurée à ce qui n’est après tout qu’une seule intervention, mais plutôt d’utiliser un livre comme représentant de toute une série d’études sur la masculinité qui reproduisent des intentions et des erreurs semblables. Dans un ouvrage intitulé Boys : Masculinities in Contemporary Culture pour une collection spécialisée en études culturelles, le directeur de publication Paul Smith suggère que la masculinité doit toujours être considérée « au pluriel ». Selon lui, les masculinités sont « définies et traversées par des différences et des contradictions de toutes sortes » (1996, p. 3). La pluralité des masculinités, selon Smith, englobe une masculinité blanche dominante qui est chevauchée par les autres : les masculinités gaie, bisexuelle, noire, asiatique et latino. Bien que la reconnaissance d’une foule de masculinités ait du sens, Smith choisit de se concentrer sur la masculinité blanche dominante et exclut les autres masculinités énumérées. Smith, comme on peut s’y attendre, avertit le lectorat qu’il ne faut pas seulement critiquer la masculinité dominante ou célébrer les masculinités minoritaires, puis il émet la remarque fondamentale suivante :
Et il se pourrait bien que, comme certaines voix influentes nous le disent souvent, la masculinité ou les masculinités ne soient réellement pas la « propriété » exclusive de sujets biologiquement mâles; il est vrai que de nombreux sujets féminins revendiquent la masculinité comme leur propriété. Pourtant, en matière de pouvoir culturel et politique, la coïncidence de la masculinité et du sexe masculin biologique joue encore un rôle décisif. (p. 4)
Ce que je remarque immédiatement ici, c’est l’étrange attribution d’un pouvoir immense à ces « voix influentes » qui ne cessent de nous dire que la masculinité n’est pas la propriété des hommes. Ces voix ne sont pas nommées, et il nous reste à supposer que leur « influence » les a rendues si puissantes que les noms importent peu : ces voix, pourrait-on supposer, sont hégémoniques. Smith poursuit en implorant le lectorat d’admettre que l’intersection de la mâlitude et de la masculinité joue « encore » un rôle décisif. Son appel au bon sens laisse croire qu’il essaie de rétablir une certaine forme de rationalité dans un débat qui part en vrille dans des discussions absolument sans conséquence. En réalité, Smith soutient que nous devons nous tourner vers la masculinité dominante pour déconstruire la masculinité, car c’est la somme de la mâlitude et de la masculinité qui donne la légitimité sociale. Cependant, comme je l’ai expliqué plus tôt, c’est précisément parce que la masculinité de l’homme blanc a occulté toutes les autres que nous devons nous détourner de sa construction pour mettre en lumière d’autres formes de masculinité plus mobiles. Le but de Smith, en réaffirmant le rôle décisif de la masculinité masculine, est de découvrir le « pouvoir culturel et politique » de cette union afin d’attirer notre attention sur le pouvoir du patriarcat. La deuxième partie du paragraphe le montre clairement :
Les hommes biologiques – des êtres de sexe masculin – sont après tout, à des degrés divers, les détenteurs de privilèges et de pouvoir au sein des systèmes contre lesquels les femmes luttent encore. Les privilèges et le pouvoir diffèrent, bien sûr, d’un homme à l’autre et se diversifient à l’infini à travers les marqueurs de classe, de nation, de race, de préférence sexuelle, etc. Mais je ne crois pas qu’il y ait des hommes se trouvant entièrement en dehors de la sphère, disons, du pouvoir et des privilèges par rapport aux femmes. En ce sens, il doit être utile à notre réflexion de rappeler que les masculinités ne sont pas seulement tributaires de notions dominantes de la masculinité et qu’elles ne se constituent pas uniquement à partir de notions résistantes d’« autres » masculinités. En fait, les masculinités existent inévitablement en relation avec ce que les féminismes ont interprété comme le système du patriarcat et des relations patriarcales. (p. 4-5)
La caractéristique la plus notable de ce paragraphe réside dans la stabilité remarquable des termes « femmes » et « hommes ». Smith présente ici un féminisme légèrement démodé qui définit les femmes comme les victimes perpétuelles des systèmes de pouvoir masculin. Dans un tel modèle, le mot « femme » désigne les sujets qui n’ont pas accès au pouvoir masculin et qui subissent la régulation et l’immobilisation imposées par les structures patriarcales. Mais que répondrait Smith à l’affirmation de Monique Wittig selon laquelle les lesbiennes ne sont pas des femmes parce qu’elles se soustraient au régime hétérosexuel qui produit la différence sexuelle? Que peut ajouter Smith à l’influente théorie de Judith Butler sur le « trouble dans le genre », qui suggère que « le genre est une sorte d’imitation qui ne renvoie à aucun original » (trad. par Sokol et Bolter, 2001, p. 154) et que les sexualités et les genres dominants souffrent en quelque sorte d’une pathétique dépendance à l’égard des genres alternatifs qui les mettent perpétuellement en danger? Que répondrait Smith au postulat de Jacob Hale selon lequel les genres que nous utilisons comme points de référence dans la théorie accusent un retard considérable par rapport aux genres alternatifs produits par la communauté18Voir Wittig (2018), Butler (trad. Sokol et Bolter, 2001) et Hale (1996).? Les gouines butchs sont-elles des femmes? Les travestis sont-ils des hommes? Comment la divergence de genre perturbe-t-elle la circulation des pouvoirs présumée par le patriarcat dans les relations entre les hommes et les femmes? En d’autres termes, Smith ne prend pas en considération la masculinité féminine parce qu’il la juge sans conséquence et secondaire par rapport à des questions beaucoup plus importantes sur les privilèges masculins. Encore une fois, son analyse ressemble plus à une affirmation plaintive selon laquelle les hommes ont effectivement encore accès au pouvoir masculin au sein du patriarcat (n’est-ce pas?) et ignore comme par hasard la manière dont les relations genrées se brouillent lorsque la divergence de genre entre en jeu.
La tentative de Smith de consolider la masculinité masculine en écartant l’importance des autres masculinités se manifeste aussi dans sa manière de tenir compte des masculinités racisées. Son introduction s’ouvre sur les suites de l’affaire O. J. Simpson19N.D.L.R. : Orenthal James Simpson (1947-2024) est un joueur de football américain et acteur hollywoodien afrodescendant qui a joui d’une grande popularité durant et après sa carrière sportive. Le 10 juin 1994, la police de Los Angeles retrouve les corps assassinés de l’ex-femme de Simpson, Nicole Brown, et du conjoint de celle-ci, Ron Goldman. À la suite d’une longue course-poursuite sur l’autoroute, et d’un interminable procès hautement médiatisé, Simpson est acquitté des meurtres malgré les preuves accablantes à son endroit. : Smith s’interroge sur la façon dont le discours populaire élude les questions de masculinité et de domination masculine pour se concentrer sur la race. Lorsqu’un auditeur noir appelle à la radio pour relier le cas d’O. J. à une conspiration menée contre les hommes noirs aux États-Unis, Smith affirme : « Ses bafouillages sur la tentative de génocide des hommes noirs m’ont rappelé que la poursuite avait d’abord cherché à établir la pertinence de son historique de violence conjugale » (p. 14). Notant que les personnes ayant pris la parole en ondes n’avaient pas grand-chose à dire à ce sujet, Smith se demande si la race peut constituer une identité collective, au contraire de la masculinité; il suggère finalement que même s’« il peut être difficile de parler de race dans ce pays, il est encore plus difficile de parler de masculinité » (p. 1). Si vous êtes un homme blanc, il est probablement très difficile de parler de race ou de masculinité, et encore plus des deux en même temps. Mais, bien sûr, la race et la masculinité, en particulier dans le cas d’O. J., ne peuvent être séparées en catégories bien définies. En effet, on pourrait dire que les « bafouillages » de l’auditeur sur les complots contre les hommes noirs offrent une analyse raciale beaucoup plus crédible que l’articulation, par Smith, des relations entre la race et la masculinité. Pour Smith, la masculinité d’O. J. constitue une expérience de domination qui se heurte à sa racialisation comme expérience de subordination. Il n’y a aucune réflexion sur les injustices du système judiciaire, le rôle joué par la classe sociale et l’argent dans le procès, ou l’histoire complexe des relations entre les hommes noirs et les femmes blanches. Smith utilise O. J. comme un raccourci vers un modèle censé incarner simultanément le pouvoir et la marginalisation.
Je consacre autant de temps et d’efforts à critiquer l’introduction de Boys parce que la désinvolture qui se dégage des propos de Smith témoigne à la fois de son manque d’engagement réel en faveur d’un projet sur les masculinités alternatives et de sa réticence à réfléchir aux identifications désordonnées qui composent les rapports de pouvoir contemporains autour du genre, de la race et de la classe. Il s’avère que le livre a également peu à offrir aux discussions émergentes sur la masculinité, et nous nous retrouvons vite, dès le chapitre d’ouverture, dans le territoire familier des hommes, des garçons et de leurs pères. Par exemple, dans le premier texte, intitulé « A Buffalo, New York Story », Fred Pfeil raconte une histoire pitoyable sur les relations père-fils dans les années 1950. Dans une scène mémorable du récit, Papa et lui (Fred) sont blottis sur le canapé et regardent Bonanza[mfn]NDLR : Bonanza est une série télévisée étatsunienne diffusée par le réseau NBC de 1959 à 1973, qui a aussi donné lieu à de multiples adaptations cinématographiques et romanesques. Appartenant au genre western, la série fait la chronique des aventures de Ben Cartwright et de ses trois fils, issus de trois mariages, dans leur ranch du Nevada. Jouissant d’une importante popularité, Bonanza se distingue notamment par l’absence de personnage féminin dans la distribution principale.[/mfn] pendant que Maman et Sœurette lavent la vaisselle dans la cuisine. Le garçon demande à Papa « pourquoi les méchants [sont] toujours aussi stupides » et Papa rit en expliquant que c’est « parce qu’ils [sont] méchants » (1996, p. 10). L’histoire se poursuit en détaillant les premiers contacts de ce jeune garçon innocent avec le racisme des hommes de sa famille et la lutte pénible qu’il mène personnellement contre le mal des transports. Outre la dynamique des pères et des fils qui se blottissent les uns contre les autres pour regarder Bonanza, il y a très certainement une foule de choses importantes à dire sur les hommes et la masculinité sous le patriarcat, mais Smith et une partie de ses contributeurices choisissent de les passer sous silence. Nous pourrions écrire des ethnographies au sujet des masculinités agressives et même protofascistes produites par les amateurs de sport masculins20Il y a bien une ethnographie de ce genre qui a été réalisée, mais il est significatif qu’elle mais elle ait pris pour sujet les émeutes provoquées par les amateurs de soccer anglais (hooligans). Voir la remarquable monographie de Buford (1992). Des travaux similaires portant sur les fans masculins aux États-Unis seraient extrêmement utiles.. Il reste encore beaucoup de travail à faire sur la socialisation (ou l’absence de celle-ci) chez les jeunes hommes dans les écoles secondaires, sur les agresseurs conjugaux (masculins, blancs et riches en particulier), sur le nouveau sexisme incarné par les « hommes sensibles », sur les hommes qui participent au trafic des épouses et au tourisme sexuel (y compris sur la masculinité gaie, blanche et privilégiée). Mais les études sur la masculinité masculine, comme on peut s’y attendre, ne s’intéressent pas tant au démantèlement des liens patriarcaux entre la masculinité biologique blanche et le privilège qu’aux fragilités de la socialisation masculine, aux douleurs de la masculinitude et à la peur de l’empouvoirement des femmes21Pour vérifier ces sujets de prédilection, il suffit de consulter les sections consacrées aux hommes qui fleurissent dans vos librairies locales. Voir plus précisément les travaux de Kimmel (1996) et Seidler (1994)..
Puisque j’ai critiqué Smith pour son manque apparent d’engagement vis-à-vis de la production de masculinités alternatives, permettez-moi de prendre un moment pour clarifier mon propre point de vue. […] [I]l est important de préciser que cet [essai] tente de rendre plausible, crédible et réelle ma propre masculinité féminine. Pendant une grande partie de ma vie, j’ai été stigmatisé·e par une masculinité qui me désignait comme un être ambigu et indéchiffrable. Comme beaucoup d’autres tomboys, j’ai été pris·e pour un garçon tout au long de mon enfance, et comme beaucoup d’autres adolescentes garçonnes, j’ai été contraint·e à un semblant de féminité pendant ma jeunesse. Lorsque les enfants non conformes dans le genre voient leur identité constamment remise en question, l’enchaînement des méprises peut en réalité faire émerger une nouvelle prise de conscience : en d’autres termes, pour de nombreuses tomboys, le fait d’être constamment perçue comme un garçon peut contribuer à la production d’une identité masculine. Ce n’est qu’à la mi-vingtaine que j’ai finalement trouvé un mot pour décrire ma propre configuration de genre : butch. […]
Le problème des toilettes
Si trois décennies de théories féministes sur le genre ont complètement dissipé l’idée que l’anatomie relève du destin, que le genre constitue une donnée naturelle, et que « homme » et « femme » représentent les seules options possibles, pourquoi supposons-nous encore que les personnes qui ne sont pas des hommes sont des femmes, et que les personnes qui ne sont pas des femmes sont des hommes (et même que les personnes qui ne sont pas des hommes ne sont pas des personnes!). Autrement dit, si le genre se trouve à ce point dénaturalisé, pourquoi n’avons-nous pas de multiples options et catégories de genre à notre disposition, ainsi que des possibilités réelles d’incarnation et d’identification non masculines et non féminines? D’une certaine manière, la flexibilité et l’apparente fluidité propres au genre sont précisément ce qui permet au genre dimorphique de perdurer. Autrement dit, puisque très peu de personnes correspondent réellement aux normes communes en matière de masculinité ou de féminité, le genre peut être imprécis et se trouver ainsi relayé de multiples manières par le biais d’un système fermement binaire. En même temps, compte tenu de l’élasticité considérable des frontières définissant ces catégories, très peu de personnes dans un espace public donné s’avèrent complètement indéchiffrables sur le plan du genre.
La non-conformité de genre, au moment et à l’endroit où elle apparaît, se transforme inévitablement en déviance, en un troisième genre, ou encore en une version floue du masculin ou du féminin. Notamment, dans les toilettes publiques pour femmes, diverses utilisatrices ont tendance à ne pas répondre aux attentes de la féminité; celleux d’entre nous qui se présentent de manière ambiguë se font régulièrement interroger et remettre en question quant à leur présence dans la « mauvaise » salle de bain. Par exemple, j’ai récemment effectué une correspondance à l’aéroport O’Hare de Chicago alors que je me rendais à Minneapolis pour donner une conférence. J’ai marché d’un pas décidé jusqu’aux toilettes pour femmes. À peine étais-je entré·e dans la cabine que quelqu’un frappait à la porte : « Ouvrez, c’est la sécurité! » J’ai tout de suite compris ce qui se passait. J’avais, une fois de plus, été pris·e pour un homme ou un garçon, et une femme avait appelé la sécurité. Dès que j’ai commencé à parler, les deux gardiens à l’extérieur de la cabine de toilette ont réalisé leur erreur, ont marmonné des excuses et sont partis. Au retour du même voyage, à l’aéroport de Denver, la scène s’est répétée. Il va sans dire que la régulation du genre dans les toilettes s’intensifie dans les aéroports, où les gens se déplacent littéralement dans l’espace et le temps d’une manière qui les pousse à vouloir stabiliser certaines frontières (de genre) alors même qu’ils en franchissent d’autres (nationales). Cependant, de nombreuses femmes androgynes ou masculines voient leur genre remis en question à une telle fréquence dans les toilettes non mixtes qu’on peut se demander si la catégorie « femme », lorsqu’utilisée pour désigner des lieux publics, ne serait pas complètement dépassée22La viabilité persistante de la catégorie « femme » a déjà été remise en question à plusieurs reprises dans les milieux universitaires : Monique Wittig, notamment, a soutenu que « les lesbiennes ne sont pas des femmes » dans son essai « La pensée straight » (2018, p. 77). Wittig affirme que les lesbiennes, parce qu’elles refusent toute relation primaire avec les hommes, ne peuvent pas occuper la position de « femme ». Dans une autre contestation philosophique de cette catégorie, le philosophe trans Jacob Hale (1996) utilise la thèse radicale de Monique Wittig pour théoriser la possibilité d’incarner le genre au-delà du masculin et du féminin. Ailleurs, Cheshire Calhoun (1995) suggère que la catégorie « femme » peut en fait « fonctionner comme un placard lesbien »..
Ce n’est donc pas un hasard si les pôles de mobilité deviennent des zones intenses de surveillance et d’observation. La régulation du genre dans les installations sanitaires des aéroports n’est toutefois qu’une version amplifiée d’un « problème de toilettes » plus vaste. Pour certaines femmes non conformes dans le genre, il est relativement facile de « prouver » leur droit d’utiliser les toilettes pour femmes – elles peuvent révéler un attribut de genre décisif (une voix aiguë, des seins), et la partie adverse fera généralement marche arrière. Pour d’autres (possiblement velues, à la voix grave ou sans poitrine), il est très difficile de justifier leur présence à cet endroit; ces personnes peuvent avoir tendance à utiliser les toilettes des hommes, où la surveillance est beaucoup moins intense. Évidemment, dans ces situations, la personne non conforme dans le genre apparaît d’abord comme pas-une-femme (« Vous êtes dans la mauvaise salle de bain! »), puis comme quelque chose d’encore plus effrayant : pas-un-homme (« Non, pas du tout », prononcé d’une voix reconnue comme non masculine). Pas-un-homme et pas-une-femme, la personne non conforme dans les toilettes n’est pas non plus androgyne ou entre-deux; son genre est déviant.
Pour un grand nombre de personnes au genre déviant, la notion de « passer pour » ou passing se révèle singulièrement inutile. Le récit du passing suppose l’existence d’un soi qui parvient à se déguiser en un autre type de soi; à divers moments, cette mascarade peut se transformer en quelque chose qui s’apparente à l’identité. À un tel moment, le passeur ou la passeuse devient. Qu’en est-il d’une personne de sexe féminin qui se présente comme butch, passe pour un homme dans certaines circonstances, se lit comme butch dans d’autres et ne s’identifie pas comme une femme, mais se tient à distance de la catégorie « homme »? L’identité de cet individu pourrait être mieux décrite comme un processus aux multiples lieux de développement et d’existence. Pour comprendre un tel processus, il ne suffit pas de cartographier les parcours psychiques et physiques entre les hommes et les femmes, au sein des espaces queers et hétéros; il faut plutôt réfléchir à des fractales et des géométries de genre. […] La stone butch, par exemple, en se définissant comme femme non féminine et sexuellement intouchable, complique l’idée selon laquelle les lesbiennes partagent des pratiques sexuelles féminines, ou que les femmes partagent des désirs sexuels féminins, ou même que les femmes masculines partagent une vision de leurs propres masculinités.
Je veux me concentrer sur ce que j’appelle « le problème des toilettes » parce que je crois qu’il illustre de manière remarquablement claire l’existence florissante du binarisme de genre malgré les rumeurs de sa disparition. De plus, de nombreuses femmes dont le genre correspond aux normes sociales n’ont aucune idée qu’un tel problème existe et prétendent ignorer les épreuves et les mésaventures auxquelles fait face la femme butch qui a besoin d’utiliser des toilettes publiques. La littérature queer est néanmoins jonchée de références au problème des toilettes, et il ne serait pas exagéré d’y voir une caractéristique standard du récit de butch. Par exemple, Leslie Feinberg en illustre clairement les différentes dimensions dans Stone Butch Blues (trad. par Hystériques & AssociéEs, 2019). Dans ce roman, l’ouvriè·re Jess Goldberg relate plusieurs situations où iel doit prendre des décisions cruciales pour savoir s’iel peut utiliser les toilettes réservées aux femmes. Lors d’une sortie de magasinage avec des drag queens, Jess dit à Peaches : « Je dois aller aux toilettes. Merde, j’aimerais vraiment pouvoir attendre, mais je peux pas » (chap. 5). Jess prend une profonde inspiration et entre dans les toilettes des dames :
Deux femmes rafraîchissaient leur maquillage face au miroir. L’une a jeté un regard à l’autre et a fini d’appliquer son rouge à lèvres.
– C’est un homme ou une femme? a-t-elle demandé à son amie quand je suis passée derrière elles.
L’autre femme s’est tournée vers moi.
– C’est les toilettes des femmes, m’a-t-elle informée.
J’ai hoché la tête :
– Je sais.
J’ai fermé la porte du compartiment derrière moi. Leurs rires m’ont laissé sans voix.
– On ne sait pas vraiment si c’est un homme ou pas, a dit une des femmes à l’autre. On devrait appeler la sécurité pour être sûres.
J’ai tiré la chasse d’eau et de colère je me suis emmêlé avec ma fermeture éclair. C’était peut-être juste une menace en l’air. Ou peut-être allaient-elles vraiment appeler la sécurité. Je me suis dépêché de sortir des toilettes dès que j’ai entendu les deux femmes s’en aller. (chap. 5)
Pour Jess, la salle de bain pose une limite à sa capacité de se déplacer dans la sphère publique. Son corps, avec ses besoins et fonctions physiologiques, restreint ses tentatives de fonctionner normalement malgré sa présentation de genre divergente. De plus, les femmes dans les toilettes sont dépeintes comme méchantes plutôt que craintives. Elles jouent avec Jess en remettant en question son droit d’utiliser les mêmes lieux qu’elles et en menaçant d’appeler la police. Comme le remarque Jess, « [e]lles ne se seraient jamais moquées d’un gars comme ça » (chap. 5). En d’autres termes, si les femmes se souciaient vraiment de leur sécurité, elles n’auraient pas embêté l’intrus ni hésité à appeler la police. Leur désinvolture à appeler la sécurité indique qu’elles savent que Jess est une femme, mais qu’elles veulent la punir pour sa manière inappropriée de se présenter.
Une autre chronique butch, Throw It to the River (1993) de l’écrivaine philippino-canadienne Nice Rodriguez, relate aussi ce type d’interaction dans la salle de bain. Dans la nouvelle « Every Full Moon », Rodriguez raconte l’histoire romantique d’une chauffeuse d’autobus butch, Remedios, qui tombe amoureuse d’une ancienne religieuse, Julianita. Remedios est « musclée au niveau des bras et des épaules » et sa « dureté lui permet d’intimider toutes les personnes qui ne veulent pas payer le prix du billet » (p. 25-26). Elle flirte agressivement avec Julianita jusqu’à ce que cette dernière accepte de l’accompagner au cinéma. Pour se préparer à son rendez-vous, Remedios se met sur son trente-et-un, aplatissant soigneusement sa poitrine avec des bandages qui camouflent ses mamelons : « Elle a acheté une chemise blanche au marché Divisoria spécialement pour l’occasion. Elle craint maintenant que le tissu soit trop fin et transparent, et que Julianita soit rebutée par ses mamelons qui saillent comme des dés » (p. 33). Avec son « jean bien repassé », sa poitrine lisse et même la manucure d’un homme, Remedios se dirige vers son rendez-vous. Une fois en compagnie de Julianita, Remedios – désormais vêtue de ses plus beaux atours butchs – doit cependant se montrer prudente en public. Après le film, Julianita se précipite aux toilettes, mais Remedios l’attend à l’extérieur :
Elle a une étrange peur des toilettes des dames. Elle souhaiterait qu’il y ait une autre salle de bain quelque part entre celle des hommes et celle des femmes pour les queers comme elle. La plupart du temps, elle se retient de faire pipi – parfois pendant une demi-journée – jusqu’à ce qu’elle trouve des toilettes où les utilisatrices lui sont familières. Les étrangères l’abordent avec méchanceté, en particulier les femmes âgées qui l’inspectent de la tête aux pieds. (p. 40-41)
Une autre fois, Remedios raconte avoir été chassée des toilettes pour femmes et battue par un portier. Le problème des toilettes limite considérablement la capacité de Remedios et de Jess à circuler dans les espaces publics, et les expose à des violences physiques pour avoir enfreint une règle cardinale du genre : il faut être lisible au premier coup d’œil. Après que Remedios s’est fait battre parce qu’elle se trouvait dans les toilettes des dames, son père lui conseille d’être plus prudente. Rodriguez note : « Elle s’est rendu compte qu’être prudente signifie se déhancher et exhiber ses seins lorsqu’elle entre dans les toilettes des dames » (p. 30).
Si nous utilisons le paradigme de la salle de bain comme frontière de l’identification du genre, nous pouvons mesurer l’écart entre le schéma binaire du genre et la multitude d’expériences genrées vécues. L’accusation « vous êtes dans les mauvaises toilettes » signifie deux choses. Premièrement, elle annonce que votre genre semble en contradiction avec votre sexe (votre masculinité ou androgynie apparente entre en contradiction avec votre supposée fémellitude); deuxièmement, elle suggère que les salles de bains non mixtes sont réservées aux personnes qui s’inscrivent clairement dans une catégorie (hommes) ou dans l’autre (femmes). Soit nous avons besoin de salles de bain ouvertes à tout le monde ou multigenres, soit nous avons besoin de paramètres plus larges pour définir l’identité de genre. Les toilettes telles que nous les connaissons représentent en fait l’effondrement de l’édifice du genre au vingtième siècle. La fréquence à laquelle les « femmes » au genre déviant sont prises pour des hommes dans les toilettes publiques suggère qu’un grand nombre de femmes féminines consacrent beaucoup de temps et d’énergie à surveiller les femmes masculines. Il en va tout autrement, bien sûr, dans les toilettes publiques pour hommes, où l’espace s’avère plus susceptible de devenir une zone de drague sexuelle qu’un lieu de répression du genre. Dans un essai sur l’interpénétration du nationalisme et de la sexualité, Lee Edelman soutient que « les toilettes conventionnelles pour hommes constituent un lieu où les sphères publique et privée se croisent avec une charge psychique distincte » (1994, p. 158). Ces installations, en d’autres termes, représentent à la fois une architecture de surveillance et d’incitation au désir, un espace d’interaction homosociale et homoérotique.
Ainsi, alors que les toilettes pour hommes tendent à mettre en place un espace très chargé où les interactions sexuelles se voient à la fois encouragées et punies, les toilettes pour femmes tendent à fonctionner comme une arène visant à faire appliquer la conformité de genre. Les salles de bain non mixtes demeurent nécessaires pour protéger les femmes des prédations masculines, tout en générant et en amplifiant l’idée dépassée d’une division public/privé entre la société masculine et la société féminine. Il s’agit d’un espace domestique qui se situe en dehors de la maison et qui représente l’ordre domestique, ou une parodie de celui-ci, dans le monde extérieur. Les toilettes pour femmes deviennent ainsi un sanctuaire de féminité renforcée, une « chambre de petite fille » dans laquelle on se retire pour se poudrer le nez ou se coiffer. Les toilettes pour hommes symbolisent le prolongement de la nature publique de la masculinité; elle n’est précisément pas domestique même si les noms donnés en anglais à la fonction sexuelle de la salle de bain – comme cottage (chalet) ou tea room (salon de thé) – suggèrent une parodie du domestique. Les codes qui dominent les installations sanitaires pour femmes sont avant tout des codes genrés; dans celles pour hommes, ce sont des codes sexuels. Le sexe public s’opposant au genre privé, la sexualité ouverte s’opposant à la répression discrète : les salles de bains en dehors de la maison prennent la forme d’une fabrique du genre.
Marjorie Garber commente la liminalité des toilettes dans un chapitre de Vested Interests (1992) sur les risques et les privilèges du travestissement. Traitant des modes très différents de passing et de travestissement pour les personnes de sexe masculin et féminin qui s’identifient au genre opposé, l’autrice observe que la salle de bain représente un « Waterloo potentiel » (p. 47) tant pour les travesti·es et les transsexuel·les femme-vers-homme (FtM) et homme-vers-femme (MtF)23De toute évidence, l’utilisation par Garber du terme « Waterloo » transforme en jeu de mots le drame de la régulation dans les salles de bains [N.D.L.T. : loo signifie toilettes en anglais]. Bien que le jeu de mots soit astucieux et même amusant, il est également troublant de voir la fréquence à laquelle Garber recourt à ce procédé dans ses analyses. L’utilisation constante de jeux de mots tout au long du livre a pour effet général de faire passer le croisement des genres pour un amusement ou, à tout le moins, de banaliser les processus d’identification au genre opposé, qui relèvent souvent de la vie ou de la mort. Je ne veux pas dire par là que le genre ne peut jamais être un sujet de plaisanterie et qu’il doit toujours être traité avec sérieux, mais seulement remettre en question l’emploi du jeu de mots en tant que méthode théorique.. Pour les FtM, les toilettes pour hommes constituent le test le plus sévère de leur capacité à « passer », et les communautés FtM partagent fréquemment des conseils pour ne pas se faire remarquer dans les espaces exclusivement masculins. Garber note : « La paranoïa culturelle quant au risque de se faire prendre au mauvais endroit, qui peut être inséparable du plaisir de “passer” à cet endroit précis, dépend en partie du même binarisme culturel selon lequel les catégories de genre sont suffisamment simples pour permettre aux gens de se ranger eux-mêmes dans l’une des deux “salles” sans lecture déconstructive » (p. 47). Il convient de souligner ici (ne serait-ce que parce que Garber ne le fait pas) que les dangers associés au passage des FtM dans la salle de bain pour hommes sont très différents de ceux auxquels font face les MtF dans la salle de bain pour femmes. D’une part, la personne FtM dans les toilettes masculines est susceptible d’être moins surveillée, car les hommes ne sont pas aussi vigilants que les femmes à l’égard des intrus pour des raisons évidentes. D’autre part, en cas de méprise, cette personne peut faire face à une certaine forme de panique genrée de la part de l’homme qui l’aperçoit, et il est tout à fait raisonnable d’anticiper et de craindre des actes de violence. La personne MtF, en comparaison, sera davantage surveillée dans les toilettes féminines mais peut-être moins sujette à des sanctions si elle se fait intercepter. Parce que les FtM s’aventurent dans le territoire des hommes alors que plane sur leur tête la menace de violences potentielles, il est crucial de reconnaître que le problème des toilettes représente bien plus qu’un simple bogue dans la machine de la ségrégation des genres et se décrit mieux comme l’application violente de notre système actuel de distinction entre le masculin et le féminin.
La lecture que propose Garber de l’utilisation périlleuse des toilettes par les FtM et les MtF se développe à partir de ce que Lacan appelle « ségrégation urinaire ». Lacan a employé ce terme pour décrire les rapports entre les identités et les signifiants, et il a ultimement utilisé le schéma élémentaire des panneaux « Femmes » et « Hommes » dans les toilettes pour montrer qu’au sein de la production de la différence sexuelle, le signifiant a préséance sur ce qu’il signifie; autrement dit, la dénomination confère, plutôt qu’elle ne reflète, la signification24Voir Lacan (1977, p. 151).. De manière analogue, le système de ségrégation urinaire crée la fonction même des catégories « hommes » et « femmes ». Bien qu’ils semblent servir et ratifier les distinctions existantes, les panneaux des toilettes produisent en réalité des identifications correspondant aux deux catégories construites. Garber s’accroche à la notion de « ségrégation urinaire » parce qu’elle lui permet de décrire les processus de binarisme culturel dans la production du genre; pour Garber, les personnes travesties et les transsexuelles défient ce système en résistant à la traduction littérale des signes « Femmes » et « Hommes ». Garber utilise les exemples du travestissement et de la transsexualité pour montrer les failles et les lacunes évidentes d’un système de genre binaire; les hommes travestis, en tant qu’intrus, créent un tiers-espace de possibilités où tous les binarismes deviennent instables. Malheureusement, comme dans toute tentative visant à déconstruire une binarité en introduisant un troisième terme, le tiers-espace de Garber tend à stabiliser les deux autres. Dans « Tearooms and Sympathy », Lee Edelman se tourne également vers le concept de « ségrégation urinaire » de Lacan, mais utilise le diagramme correspondant pour marquer l’anxiété hétérosexuelle « quant aux inscriptions potentielles du désir homosexuel et à la possibilité de connaître ou de reconnaître tout ce qui pourrait constituer une “différence homosexuelle” » (1994, p. 160). Contrairement à Garber, pour qui les travestis dévoilent l’instabilité des marqueurs « Femmes » et « Hommes », Edelman estime que cette fonction revient aux homosexuels.
Il est intéressant de noter que Garber et Edelman se concentrent sur la salle de bain des hommes comme scène de ces diverses performances déstabilisantes. Cependant, comme je l’avance [dans cet essai], la focalisation sur le drame des toilettes pour hommes élude le théâtre beaucoup plus compliqué des toilettes pour femmes. Garber écrit, au sujet de la ségrégation urinaire : « Pour les travestis et les transsexuels, le problème de la “salle de bain des hommes” pose un réel défi à la façon dont se lit un tel binarisme culturel » (1992, p. 14). Elle énumère ensuite quelques exemples cinématographiques des dangers de la ségrégation urinaire et discute des scènes issues de Tootsie (1982), Cabaret (1972) et The Female Impersonator Pageant (1975)25N.D.L.R. : Les films Tootsie (1982) et Cabaret (1972) sont des fictions racontant, d’une part, le transvestissement d’un acteur en quête de rôle et, d’autre part, les tensions qui habitent les milieux queers de Berlin à l’aube du nazisme. The Female Impersonator Pageant (1985), aussi connu sous le titre Dream Boy Revue, est un documentaire portant sur l’attribution d’un prix pour la meilleure personnification féminine de l’année (Female Impersonator of the Year) lors d’un concours national tenu à Houston en 1985.. Ces exemples fournissent des illustrations étranges de ce que Garber appelle le « problème de la salle de bain des hommes », ne serait-ce parce qu’au moins l’un d’entre eux (Tootsie) témoigne d’une régulation du genre dans les toilettes pour femmes. De plus, Garber donne l’impression qu’une régulation rigoureuse du genre se déroule dans les toilettes pour hommes tandis que celles pour femmes représenteraient davantage une zone inoffensive pour l’application de la conformité de genre. Elle souligne : « En fait, l’urinoir apparaît dans un certain nombre de films assez récents comme un marqueur de la “différence” ultime – ou de l’indifférence délibérée » (p. 14). De toute évidence, Garber établit ici un parallèle entre les conventions de l’attribution du genre selon lesquelles le pénis marque la « différence ultime »; pourtant, en ne dépassant pas cette description remarquablement prévisible, l’autrice néglige la principale distinction entre le maintien de l’ordre genré dans la salle de bain des hommes et dans celle des femmes. En effet, dans les toilettes féminines, ce ne sont pas seulement les MtF mais toutes les femmes non conformes dans le genre qui se font surveiller, alors que dans les toilettes masculines, les hommes biologiques se voient rarement considérés comme déplacés. L’insistance de Garber sur l’existence d’« un tiers-espace de possibilités » occupé par le travesti élimine la perspective d’un quatrième, d’un cinquième, d’un sixième ou d’un centième espace au-delà de la binarité. Le « problème de la salle de bain des femmes » (par opposition au « problème de la salle de bain des hommes ») implique une multiplicité d’expressions de genre au sein même de la catégorie « femme », réputée stable.
Quel est donc le genre des centaines de personnes nées de sexe féminin qui ne passent jamais pour des femmes dans les toilettes qui leur sont réservées? Et puisque tant de femmes échouent clairement au test des toilettes pour femmes, pourquoi n’avons-nous pas commencé à compter et à nommer les genres qui émergent clairement à l’heure actuelle? On pourrait répondre à cette question de deux manières : d’une part, nous ne nommons pas et ne remarquons pas de nouveaux genres parce que nous nous engageons, en tant que société, à maintenir un système de genre binaire. D’autre part, l’incapacité des termes « masculin » et « féminin » à épuiser le champ des variations de genre garantit en fait la domination persistante de ces termes. C’est précisément parce que presque personne ne correspond aux définitions du masculin et du féminin que ces catégories tirent un pouvoir de leur insaisissabilité. En d’autres termes, la flexibilité et l’élasticité propres aux termes « homme » et « femme » assurent leur longévité. Pour vérifier cette affirmation, il suffit de se promener dans n’importe quel espace public et de remarquer combien peu de personnes présentent des versions conventionnelles du genre et, en même temps, combien peu d’entre elles se montrent indéchiffrables ou totalement ambiguës. Le sketch « It’s Pat » de Saturday Night Live a mis en scène la façon dont les gens insistent pour attribuer un genre masculin ou féminin même aux personnages les plus insaisissables. Le personnage de Pat a fait rire en contournant constamment la fixité du genre : son/sa partenaire portait un nom neutre, et tout ce que Pat faisait ou disait était conçu pour être lu dans un sens ou dans l’autre. Bien sûr, l’énigme que représentait Pat aurait pu être résolue très facilement; ses collègues auraient pu simplement lui demander quel genre il/elle préférait ou auquel il/elle s’identifiait. Ce projet sur la masculinité féminine vise à apporter plus de deux réponses à cette question et même à plaider en faveur d’un concept de « préférence de genre » par opposition au binarisme obligatoire. L’être humain a démontré sa capacité à établir des classifications incroyablement précises dans de nombreux domaines; pourquoi alors nous contentons-nous d’une pénurie de classifications lorsqu’il s’agit du genre? Un système de préférences de genre permettrait de neutraliser le genre jusqu’à ce que les enfants ou les jeunes adultes annoncent celui auquel ils, elles ou iels s’identifient. Même si nous n’arrivions pas à nous débarrasser d’un système de genre binaire, il existe tout de même des moyens de rendre le genre optionnel – les gens pourraient révéler leur genre de la même manière qu’ils sortent du placard pour divulguer leur orientation sexuelle. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il existe de nombreuses façons de dépathologiser la divergence de genre et de tenir compte des multiples identités qui existent déjà dans notre société. Enfin, comme je l’ai suggéré par rapport aux arguments de Garber sur le travestissement, la « tiercéité » ne fait qu’équilibrer le système binaire, en plus d’homogénéiser de nombreuses variations de genre sous la bannière « autre ».
Il est très facile de ne pas ressembler à une femme dans notre société. Il est relativement difficile, en comparaison, de ne pas ressembler à un homme : les menaces auxquelles font face les hommes qui ne se conforment pas aux codes du genre diffèrent quelque peu de celles des femmes. À moins qu’ils essaient consciemment de ressembler à des femmes, les hommes sont moins susceptibles que les femmes de ne pas « passer » dans les toilettes. Le problème des toilettes pose donc la question suivante : pourquoi la féminité est-elle si approximative et la masculinité, si précise? Ou, pour poser la question sous un angle différent, pourquoi la féminité est-elle facilement personnifiée ou performée alors que la masculinité semble résister à l’imitation? Bien sûr, cette formulation s’avère peu convaincante et s’effondre rapidement pour devenir son contraire : pourquoi, dans le cas de la femme masculine dans la salle de bain, les limites de la féminité sont-elles si vite franchies alors que les limites de la masculinité dans les toilettes pour hommes semblent assez étendues?
Nous pourrions aborder ces questions en réfléchissant aux effets, à la fois sociaux et culturels, du développement inversé de l’identité de genre. En d’autres termes, quelles sont les conséquences de la féminité masculine et de la masculinité féminine? On pourrait imaginer qu’un simple soupçon de féminité souille ou abaisse la valeur sociale de la mâlitude alors que toutes les formes masculines de la fémellitude devraient entraîner un statut plus élevé26Susan Bordo écrit que « [l]orsque la masculinité est “défaite” dans cette culture, la déconstruction conduit presque toujours au territoire du dégradé; lorsque la féminité est symboliquement défaite, il en résulte une immense élévation de statut » (1993, p. 721) […].. L’exemple de la salle de bain prouve à lui seul que c’est loin d’être le cas. De plus, si nous réfléchissons à des exemples de masculinité féminine approuvée dans la culture populaire, comme la musculature développée de Linda Hamilton dans Terminator 2 (1991) ou la silhouette athlétique de Sigourney Weaver dans Aliens (1986), nous constatons aisément que ce qui rend ces représentations de la masculinité féminine tout à fait inoffensives, c’est leur hétérosexualité manifeste. En effet, dans Alien Resurrection (1997), Sigourney Weaver conjugue son corps ferme à un léger flirt avec sa partenaire de jeu Winona Ryder, ce qui rend sa masculinité beaucoup plus menaçante, voire « extraterrestre ». Autrement dit, lorsque la masculinité féminine se combine avec d’éventuelles identités queers, elle a beaucoup moins de chances d’être approuvée. Parce que la masculinité féminine semble plus menaçante lorsqu’elle s’associe au désir lesbien, […] je me concentre sur la masculinité féminine queer en délaissant la masculinité féminine hétérosexuelle. Je ne doute pas que cette dernière menace à sa façon la conformité de genre, mais elle représente trop souvent un degré acceptable de masculinité par rapport à la masculinité excessive de la gouine. Lorsqu’on réfléchit aux variations de genre telles que la féminité masculine et la masculinité féminine, il importe de ne pas simplement créer un autre binarisme dans lequel la masculinité symbolise toujours le pouvoir; dans les modèles alternatifs, la masculinité féminine n’est pas simplement l’opposé de la féminité féminine ni une version féminine de la masculinité masculine. […]
Dans cet [essai], j’ai essayé de retracer les conséquences de la suppression des masculinités féminines dans une variété de sphères : du point de vue des études culturelles, la suppression des masculinités féminines permet à la masculinité masculine de déterminer incontestablement ce qui est stable et ce qui est déviant en matière de genre. Je soutiens que la tomboy, la femme masculine et le sujet masculin racisé contribuent à une indifférence culturelle croissante à l’égard de la masculinité des hommes blancs. De plus, le maintien de l’ordre genré dans les toilettes et les performances de genre dans les espaces publics ont pour effet de reconfigurer les conceptions traditionnelles des genres et d’en inscrire de nouvelles dans une vision utopique où les corps et les sexualités diffèrent radicalement. En faisant valoir la transitivité de genre, les formes conscientes de masculinité féminine, ainsi que l’indifférence à l’égard des masculinités masculines dominantes et des « taxinomies contextuelles », je ne prétends pas que nous pouvons faire apparaître – comme par magie – un nouvel ensemble de genres dûment descriptifs qui s’opposeraient aux catégories dépassées du « masculin » et du « féminin ». Je ne prétends pas non plus que le changement est simple et qu’en instaurant simplement la déségrégation des toilettes publiques, par exemple, nous transformerons la fonction des genres dominants au sein des cultures hétéropatriarcales. Il me semble toutefois qu’à l’heure actuelle, il existe des espaces très évidents où la différence de genre ne fonctionne tout simplement pas, et que l’effondrement du genre en tant que système signifiant peut y être exploité pour accélérer la prolifération de régimes de genre alternatifs en d’autres lieux. Des drag kings aux espions à gadgets en passant par les corps butchs et FtM, le genre et la sexualité ainsi que leurs technologies sont déjà très étranges. Il s’agit simplement de faire en sorte qu’ils le restent. […]
Notes de bas de page
- 1Stein, Gertrude, Autobiographie de tout le monde, trad. de l’anglais par Marie-France de Paloméra, Paris, Seuil, [1937] 1989, p. 293.
- 2Note de la traductrice : Toutes les modifications entre crochets, y compris les ellipses, proviennent du texte source tel que reproduit dans The Masculinity Reader sous la direction de Jorge Castillo (2002, p. 355-374) et témoignent de l’adaptation du texte aux fins de sa publication dans cet ouvrage.
- 3Pour approfondir cette réflexion sur les tomboys, voir Halberstam (1999). Sauf indication contraire, toutes les notes sont de l’auteur.
- 4Pour en savoir plus sur la répression des tomboys, voir Burke (1996). L’autrice analyse quelques cas récents de prétendu trouble de l’identité de genre, dans lesquels les petites filles se voient minutieusement conditionnées pour cesser tout comportement masculin et adopter des formes de féminité contraignantes.
- 5N.D.T. : L’expression employée par Sedgwick en anglais, « nonce taxonomies » (1990, p. 22), joue sur un double sens : nonce désigne à la fois une chose ou un concept conçu pour une occasion particulière et, en argot britannique, un individu accusé ou reconnu coupable d’un crime sexuel (voir The Wet Archive, 2015).
- 6Les communications présentées ont fait l’objet d’un ouvrage collectif intitulé Constructing Masculinity (Berger, Wallis et Watson, 1996), et la seule intervention au sujet des masculinités non masculines a été prononcée par Eve Kosofsky Sedgwick.
- 7J’utilise les termes « nées de sexe féminin » et « nées de sexe masculin » en référence à la pratique sociale consistant à attribuer l’un des deux genres aux bébés à la naissance. Ma terminologie suggère que ces assignations pourraient ne pas durer toute la vie de l’individu, et signale d’emblée que le genre binaire continue de dominer nos conceptions culturelles et scientifiques du genre, mais que, inévitablement, des individus échouent à se retrouver dans l’une ou l’autre de ces options.
- 8Sauf indication contraire, toutes les traductions des citations sont de la traductrice.
- 9De plus en plus de revues publient des dossiers spéciaux sur la masculinité, mais je n’en ai pas encore trouvé un seul présentant un essai sur la masculinité féminine. La dernière annonce de publication qui m’est parvenue concernait le numéro « New Masculinities » de The Velvet Light Trap: A Critical Journal of Film and Television. Il incluait des textes intitulés « The “New Masculinity” in Tootsie », « On Fathers and Sons, Sex and Death », « Male Melodrama and the Feeling Man », etc. Je ne veux pas dire par là que ces sujets ne sont pas intéressants, mais que les « nouvelles masculinités » ressemblent étrangement aux anciennes. Voir The Velvet Light Trap (1996).
- 10N.D.L.R. : Bev Francis (1955-…) est une lanceuse de poids australienne convertie à l’haltérophilie, où elle se spécialise en force athlétique (powerlifting). En 1991, lors de sa participation à la compétition télévisée Ms. Olympia, elle termine en deuxième place malgré ses prouesses supérieures et reçoit des critiques pour le manque de féminité de son impressionnante musculature, comme Gloria Steinem le rapporte. Voir « The Strongest Woman in the World », Moving Beyond Words. Age, Rage, Sex, Power, Money, Muscles: Breaking the Boundaries of Gender, New York, Simon & Schuster, 1994, p. 98-122.
- 11N.D.L.R. : Martina Navrátilová (1956-…) est une joueuse de tennis tchécoslovaque qui a remporté de nombreux tournois d’envergure durant sa carrière qui s’est étalée entre 1974 et 1994 et dont le style de jeu agressif et athlétique a marqué le sport. Se désignant bisexuelle, puis lesbienne, elle a longtemps milité pour le droit des personnes de la communauté LGBT. Depuis 2019, elle se distingue par ses prises de positions contre l’inclusion des athlètes trans dans le sport, ainsi que contre les pratiques drag, ce qui lui vaut l’exclusion de certaines organisations de défense des personnes de la diversité queer. Voir Ennis, Dawn (2021), « Martina Navratilova Wants You To Believe She’s Not A Transphobe », Forbes, 27 septembre, https://www.forbes.com/sites/dawnstaceyennis/2021/09/27/martina-navratilova-wants-you-to-believe-shes-not-a-transphobe.
- 12N.D.L.R. : Marguerite Antonia Radclyffe Hall (1880-1943), qui préférait le prénom « John », est une personne autrice et poète anglaise connu·e pour son roman The Well of Loneliness (1928), qui a suscité controverses et procès en plus de marquer profondément la littérature et la culture lesbiennes du vingtième siècle. Voir la biographie de Sally Cline (1998), Radclyffe Hall : A Woman Called John, Woodstock, The Overlook Press. Au sujet du roman, voir Doan, Laura, et Jay Prosser (dir.) (2001), Palatable Poison : Critical Perspectives on The Well of Loneliness, New York, Columbia University Press.
- 13N.D.L.R. : Ethel Smyth (1858-1944) est une autrice, musicienne et compositrice anglaise de renom qui s’est activement impliquée dans le mouvement suffragiste et a mis en musique l’un de ses hymnes, The March of the Women (1911). Elle était reconnu pour ses amours homosexuelles, bien que des doutes subsistent sur sa possible bisexualité. Voir, entre autres, Wiley, Christopher (2004), « “When a Woman Speaks the Truth about Her Body” : Ethel Smyth, Virginia Woolf, and the Challenges of Lesbian Auto/Biography », Music & Letters, vol. 85, no 3, p. 388-414; et Abromeit, Kathleen A. (1989), « Ethel Smyth, “The Wreckers”, and Sir Thomas Beecham », The Musical Quarterly, vol. 73, no 2, p. 196-211.
- 14N.D.L.R. : Janet Reno (1948-2016) est une juriste et haut-fonctionnaire étatsunienne qui a été la première femme à occuper le poste de procureure générale de son pays, sous l’administration du président Bill Clinton. Sa grande taille et son accession au pouvoir en font le point de mire des humoristes, notamment l’hebdomadaire Saturday Night Live, qui moquent sa masculinité. Voir Mundy, Liza (1998). « Why Janet Reno Fascinates, Confounds and Even Terrifies America? », The Washington Post, 25 janvier, p. W06.
- 15N.D.L.R. : k.d. lang est le nom d’artiste de Kathryn Dawn Lang (1961-…), une autrice-compositrice canadienne plusieurs fois lauréate de prix Grammy et Juno ayant fait carrière dans la musique country. Après s’être identifiée comme lesbienne et être apparue en couverture de Vanity Fair en bras de chemise et pantalons, avec de la crème à raser sur le bas du visage, sa musique a été exclue de plusieurs stations de radio étatsuniennes et elle a dû franchir les piquets des manifestants pour recevoir son Grammy pour meilleure chanteuse pop de l’année 1992. Voir Friend, David (2016), « “Hard to unravel” : k.d. lang reflects on her career and coming out », CBC News, 1er juillet, https://www.cbc.ca/news/canada/calgary/kd-lang-fashion-cowboy-bride-coming-out-1.3657007.
- 16N.D.L.R. : Jackie Joyner-Kersee (1962-…) est une athlète étatsunienne, spécialisée dans l’heptathlon et le saut en longueur, qui a remporté sept médailles olympiques entre 1984 et 1996, dont trois médailles d’or. Son record du monde de 7291 points à l’heptathlon, établi aux jeux de 1988 à Séoul, est encore aujourd’hui insurpassé. Voir (2024) « Jackie Joyner-Kersee », Encyclopaedia Britannica, 22 juillet, https://www.britannica.com/biography/Jackie-Joyner-Kersee.
- 17N.D.L.R. : Leslie Feinberg (1949-2014) est une autrice étatsunienne qui a longuement milité pour le droit des personnes de la diversité queer. Son exploration des identités lesbienne, butch et trans, à travers la fiction avec Stone Butch Blues (1993) ou l’essai avec Transgender Warriors : Making History from Joan of Arc to Dennis Rodman (1996), a contribué de manière fondamentale à la réflexion sur ces questions.
- 18Voir Wittig (2018), Butler (trad. Sokol et Bolter, 2001) et Hale (1996).
- 19N.D.L.R. : Orenthal James Simpson (1947-2024) est un joueur de football américain et acteur hollywoodien afrodescendant qui a joui d’une grande popularité durant et après sa carrière sportive. Le 10 juin 1994, la police de Los Angeles retrouve les corps assassinés de l’ex-femme de Simpson, Nicole Brown, et du conjoint de celle-ci, Ron Goldman. À la suite d’une longue course-poursuite sur l’autoroute, et d’un interminable procès hautement médiatisé, Simpson est acquitté des meurtres malgré les preuves accablantes à son endroit.
- 20Il y a bien une ethnographie de ce genre qui a été réalisée, mais il est significatif qu’elle mais elle ait pris pour sujet les émeutes provoquées par les amateurs de soccer anglais (hooligans). Voir la remarquable monographie de Buford (1992). Des travaux similaires portant sur les fans masculins aux États-Unis seraient extrêmement utiles.
- 21Pour vérifier ces sujets de prédilection, il suffit de consulter les sections consacrées aux hommes qui fleurissent dans vos librairies locales. Voir plus précisément les travaux de Kimmel (1996) et Seidler (1994).
- 22La viabilité persistante de la catégorie « femme » a déjà été remise en question à plusieurs reprises dans les milieux universitaires : Monique Wittig, notamment, a soutenu que « les lesbiennes ne sont pas des femmes » dans son essai « La pensée straight » (2018, p. 77). Wittig affirme que les lesbiennes, parce qu’elles refusent toute relation primaire avec les hommes, ne peuvent pas occuper la position de « femme ». Dans une autre contestation philosophique de cette catégorie, le philosophe trans Jacob Hale (1996) utilise la thèse radicale de Monique Wittig pour théoriser la possibilité d’incarner le genre au-delà du masculin et du féminin. Ailleurs, Cheshire Calhoun (1995) suggère que la catégorie « femme » peut en fait « fonctionner comme un placard lesbien ».
- 23De toute évidence, l’utilisation par Garber du terme « Waterloo » transforme en jeu de mots le drame de la régulation dans les salles de bains [N.D.L.T. : loo signifie toilettes en anglais]. Bien que le jeu de mots soit astucieux et même amusant, il est également troublant de voir la fréquence à laquelle Garber recourt à ce procédé dans ses analyses. L’utilisation constante de jeux de mots tout au long du livre a pour effet général de faire passer le croisement des genres pour un amusement ou, à tout le moins, de banaliser les processus d’identification au genre opposé, qui relèvent souvent de la vie ou de la mort. Je ne veux pas dire par là que le genre ne peut jamais être un sujet de plaisanterie et qu’il doit toujours être traité avec sérieux, mais seulement remettre en question l’emploi du jeu de mots en tant que méthode théorique.
- 24Voir Lacan (1977, p. 151).
- 25N.D.L.R. : Les films Tootsie (1982) et Cabaret (1972) sont des fictions racontant, d’une part, le transvestissement d’un acteur en quête de rôle et, d’autre part, les tensions qui habitent les milieux queers de Berlin à l’aube du nazisme. The Female Impersonator Pageant (1985), aussi connu sous le titre Dream Boy Revue, est un documentaire portant sur l’attribution d’un prix pour la meilleure personnification féminine de l’année (Female Impersonator of the Year) lors d’un concours national tenu à Houston en 1985.
- 26Susan Bordo écrit que « [l]orsque la masculinité est “défaite” dans cette culture, la déconstruction conduit presque toujours au territoire du dégradé; lorsque la féminité est symboliquement défaite, il en résulte une immense élévation de statut » (1993, p. 721) […].
Bibliographie
Berger, Maurice, Brian Wallis et Simon Watson (1996), Constructing Masculinity, New York, Routledge.
Bordo, Susan (1993), « Reading the Male Body », Michigan Quarterly Review, vol. 32, no 4, p. 696-737.
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Butler, Judith (2001), « Imitation et insubordination du genre », dans Gayle S. Rubin et Judith Butler, Marché au sexe, trad. de l’anglais (États-Unis) par Éliane Sokol et Flora Bolter, Paris, EPEL, p. 143‑165. Paru pour la première fois en 1991 sous le titre « Imitation and Gender Insubordination » dans Inside/Out : Lesbian Theories, Gay Theories, sous la direction de Diana Fuss (New York, Routledge, p. 13-31).
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Revue PréfiX
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