Lâchez les sages-femmes!

Ce texte d’opinion a fait l’objet d’une chronique à l’émission de radio Tout peut arriver, 21 octobre 2023, Radio Canada
La réintégration de la profession de sage-femme parmi les professions autorisées dans le monde de la santé a été vu comme un grand acquis non seulement pour la profession mais aussi pour les femmes en général.
En effet, c’est plus largement une capacité accrue pour les parturientes à choisir les modalités de leur accouchement qui est garantie à travers l’autonomie donnée aux sage-femme dans l’exercice de leur pratique et l’ouverture de maison de naissance. On aurait pu espérer que cette ouverture encouragerait une reconnaissance réelle de ces bachelières et de l’importance de ne pas pathologiser l’accouchement, on se demande si cet espoir sera déçu…
Le projet de loi 15, le diable est dans les détails…
La cause de ce désenchantement se trouve dans le projet de loi 15 portant sur la création de la future agence de la santé. À première vue rien de bien malicieux, simplement une mégastructure qui doit chapeauter le travail des uns et des autres et assurer la collégialité du milieu hospitalier. En effet, avec ces nouvelles mesures, les professionnels de la santé seront appelés à s’investir davantage dans le milieu hospitalier. Par exemple, les sages-femmes pourront y faire des accouchements. Mais, regardons-y de plus près.
Avec la nouvelle loi, l’ensemble des centres hospitaliers du Québec relèveront d’un seul organisme, Santé Québec. Santé Québec va, entre autres, nommer et encadrer des directeurs médicaux qui auront pour tâche de superviser les activités professionnelles et scientifiques de l’établissement de santé. Bref, les patrons des employés chargés des soins et des professionnels sous contrat de services. Les sages-femmes sont dans cette seconde catégorie.
- Le directeur médical DOIT être un médecin. Autrement dit, seuls les médecins sont capables de comprendre ce qui se passe dans un centre hospitalier, de diriger tout le monde et faire de la gestion…
- L’adjoint au directeur médical -peut- ne pas être un médecin MAIS si c’est le cas, il est considéré inhabile à poser toute une série d’actions, en bref, toute action ayant un impact sur la pratique des médecins. Donc, pour finir, la loi nous invite à choisir… un médecin !
- Les actes médicaux qui seront posés dans les centres hospitaliers pourront être soumis au contrôle d’un conseil, le « Conseil des médecins, dentistes, pharmaciens et sages-femmes ». Ça sonne bien en théorie, sauf que l’exécutif de ce conseil se compose de quatre médecins pour un pharmacien un dentiste et une sages-femmes (bref, quatre votes pour les médecins et trois pour tous les autres…réunis ! )
- La loi propose des processus d’embauche et des processus disciplinaires différents pour les sages-femmes que celui des médecins, pharmaciens et dentistes. Par exemple, une sage-femme doit faire valider ses compétences auprès « du chef de département clinique des sages-femmes » avant que son contrat de service soit conclu. Les médecins, les dentistes et les pharmaciens n’ont pas d’obligations similaires.
Bref, les sages-femmes qui pratiqueront dans les centres de santé se retrouverons donc dans la situation semblable à celle qui avait court avant la mise en place dans les maisons de naissance. En théorie, les maisons de naissance resteront en fonction mais on comprend que les établissements hospitaliers continueront d’avoir la part du lion.
L’agence de la santé et son mode de gestion, retours vers le futur…
En juillet dernier, je participais à la soutenance de thèse de Mathieu Azcué, sage-femme de profession, en France. Sa thèse « Le corps de l’accouchement; Dynamiques sociales au croisement du genre et de la biomédicalisation, portant justement sur le rapport pathologisant de la médecine à l’accouchement et sur comment le sexisme et les rapports de pouvoir contribuent à la décrédibilisation de la profession des sage-femmes et à la non prise en compte du désir des femmes souhaitant un accouchement « naturel ». Bien sûr, il est possible pour celles qui le veulent et qui ont la capacité de faire valoir leur point de vue de ne pas accoucher à l’hôpital. Mais, le système de santé français pousse généralement vers cette option.
En effet, au centre des processus proposés, on remarque le rôle prédominant du médecin et de l’hôpital. En fait, le modèle de gestion hospitalier décrit dans la thèse ressemble beaucoup à ce que le Québec veut mettre en place. C’est un système qui non seulement ne reconnait pas la légitimité des sage-femmes mais qui, plus fondamentalement, traite la parturiente comme une malade qui n’est pas vraiment en mesure de choisir les soins qui seraient les meilleurs pour elle. Un système paternaliste et contrôlant.
Très ironiquement, pour Azcué, c’était, entre autres, au Québec que se trouvait le modèle à suivre. Notons que la France est à la veille de se doter d’une formation universitaire du même type que celle du Québec. Le but ? Imposer enfin la compétence des sage-femmes! Quand on voit ce qui se passe au Québec, on ne peut qu’être pessimiste…
Conclusion
Malgré ses promesses d’une prise en charge vraiment multidisciplinaire de la santé et une administration collégiale des dossiers patients, la nouvelle agence reproduit ce qu’on connait déjà : un système centré sur la personne du médecin considéré comme seul capable de gérer tout le monde. Les autres ordres professionnels sont des acteurs de soutien avec des statuts variables. En bref, nous retrouvons un système centré sur la gestion des hôpitaux et inféodé à la l’Ordre des médecins du Québec.
Ça fait 50 ans qu’on subit ce système, avec le succès qu’on connait… Il serait temps qu’on en parle et qu’on passe à autre chose!