Justice pour les femmes victimes de violences : perspectives étudiantes sur une recherche partenariale féministe et ses retombées
En collaboration avec les membres du Collectif Justice pour les femmes victimes de violence1Membres de l’équipe en date de novembre 2022, en ordre alphabétique : Mylène Bigaouette (Fédération des maisons d’hébergement pour femmes), Carole Boulebsol (3e cycle, Université de Montréal), Rachel Chagnon (professeure, UQAM), Gabrielle Comtois (RQCALACS), Marie-Marthe Cousineau (professeure, Université de Montréal), Ève-Marie Lampron (SAC-UQAM), Sophie-Anne Morency (3e cycle, UQAM), Geneviève Pagé (professeure, UQAM), Louise Riendeau (Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale), Jennie-Laure Sully (CLES), Sarah Thibault (2e cycle, UQAM), Judith Vernus (2e cycle, UQAM)..
En se centrant sur une perspective étudiante, ce texte rend compte d’une programmation de recherches partenariales féministes pendant six années, soutenue par le Service aux collectivités (SAC) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) dans le cadre du Protocole UQAM/Relais-femmes. Portée par quatre grands regroupements féministes œuvrant en matière de violence envers les femmes et par plusieurs universitaires (professeur∙e∙s et étudiantes), cette programmation engagée se décline en trois phases majeures. La première repose sur le témoignage de femmes victimes de violence, la deuxième se base sur la littérature et l’expérience des intervenantes qui travaillent particulièrement auprès de femmes victimes qui sont davantage marginalisées. La troisième se déploie à partir d’entretiens menés auprès d’acteur·rice·s judiciaires. Ainsi l’ensemble de la programmation vise à documenter de manière critique l’accès à la justice pour les femmes victimes de violences sexospécifiques au Québec et à formuler un ensemble de recommandations afin de favoriser l’accès à la justice pour toutes.
Les écrits sur la recherche partenariale se penchent le plus souvent sur les relations entre chercheur∙e∙s et groupes communautaires, sans faire état de manière explicite du rôle des étudiant∙e∙s (Lampron, 2019). Pour contribuer à combler ce manque, cet article accorde une place particulière à l’expérience de la relève au sein du projet. Il s’agit de mettre en lumière l’apport des étudiantes, leur rôle dans les différentes étapes ainsi que les forces et les limites identifiées en lien avec le processus général et leurs expériences spécifiques. L’argumentaire repose essentiellement sur la consultation par sondage entre l’été et l’automne 2022 de plusieurs des membres quant à leur expérience au sein du partenariat (n=10). La moitié des répondant∙e∙s sont des étudiantes, deux sont des représentantes de groupe et trois sont des professeur∙e∙s ou professionnel∙le∙s du milieu universitaire. À cela s’ajoute une perspective réflexive puisque la première autrice a elle-même pris part aux trois phases du projet en tant que représentante de groupe, étudiante-auxiliaire puis étudiante-co-chercheuse.
D’abord, les différentes parties prenantes du projet, le comité d’encadrement et le mode de gouvernance seront présentés. Ensuite, les trois phases de la recherche seront abordées à grands traits (objectifs et résultats complémentaires). Après avoir identifié les forces et les défis d’un tel projet, quelques pistes sont offertes quant à l’encadrement, la reconnaissance du travail étudiant et les impacts sur la formation et la professionnalisation des étudiant·e·s. Plus largement, des orientations sont proposées pour garantir la pérennité et le succès de ce genre de programmation, sans risquer l’essoufflement de ses membres.
1. De la naissance à la consolidation d’un projet de recherche partenariale
1.1. Des groupes féministes à l’origine du partenariat de recherche sur l’accès à la justice pour les victimes de violences sexospécifiques
En 2016, suite à l’initiative de groupes terrain, le Protocole UQAM/Relais-femmes du SAC a contribué à la mobilisation d’une équipe de recherche interuniversitaire et interdisciplinaire afin de mieux comprendre les expériences des femmes victimes de violence en lien avec le système de justice pénale au Québec :
Ayant identifié au travers des années plusieurs obstacles rencontrés par les femmes victimes de violence dans le système judiciaire, ces groupes se sont réunis afin de prendre action pour mieux répondre aux besoins des victimes et de continuer de défendre leurs droits de manière efficace. Ultimement, les partenaires de la recherche souhaitent contribuer, par les résultats, à une transformation sociale nécessaire afin que l’accès à la justice soit un droit (non seulement en théorie, mais aussi dans la réalité) pour les femmes victimes de toutes les formes de violence, et plus spécifiquement de violence conjugale, sexuelle et d’exploitation sexuelle. (Frenette et coll., 2018, p. 30)
Ainsi, la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF), le Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale (RMHFVV), le Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS) et la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) ont décidé de collaborer afin de rendre visibles les obstacles rencontrés par les femmes victimes en lien avec le système pénal et d’identifier les meilleures pratiques à adopter, adapter ou développer pour les accompagner.
Investis dès le début, les groupes ont accompagné et soutenu le projet pendant les six années de sa durée. Bien que chaque regroupement ait développé une expertise particulière en lien avec une forme de violence (sexuelle, conjugale, exploitation sexuelle), tous inscrivent les violences faites aux femmes à l’intérieur d’un continuum (Kelly, 1987). Avec l’ensemble des partenaires, ils adoptent une définition féministe commune des violences sexospécifiques qui « sont à la fois la manifestation et le résultat des rapports sociaux de sexe inégaux » (Frenette et coll., 2018, p. 24), auxquels s’imbriquent d’autres rapports sociaux oppressifs tributaires, notamment le racisme, le colonialisme, le classisme, le capacitisme ou l’hétéronormativité (Thibault et coll., 2022).
En plus d’assurer dans leur mission un travail de défense des droits, les groupes partenaires développent également des formations, des recherches et des activités de sensibilisation. Cela leur confère des connaissances issues de contextes sociogéographiques divers et leur a permis d’être très actifs dans les périodes de recrutement et de diffusion, en plus des autres étapes du processus (Tremblay, 2014). Leurs savoirs sont reconnus et valorisés, articulés avec les savoirs universitaires, dans le constant souci de ne pas être instrumentalisés ou dépolitisés (Akrich, 2013; Courcy et coll., 2019).
Les quatre groupes partenaires ont une longue expérience de recherche et plusieurs ont travaillé avec des membres de l’équipe. Cet historique de compétences a sans doute contribué à faciliter les échanges et à consolider un lien de confiance propice aux négociations et aux convergences dans l’équipe. Répondant à l’appel d’une praxis féministe que l’on retrouve comme finalité dans plusieurs recherches de ce type (Dumais, 2011), il s’agit de rendre visible la réalité des femmes victimes en lien avec le système judiciaire, de questionner les rapports de pouvoir à l’œuvre et de mobiliser les résultats afin de redonner du pouvoir aux femmes victimes et à celles et ceux qui les accompagnent. Le fait que tout∙e∙s les chercheur∙e∙s, professeur∙e∙s et étudiant∙e∙s s’inscrivent dans une perspective féministe et s’intéressent de près aux problématiques de violence depuis plusieurs années constitue également un point de ralliement :
Un tel partenariat a le potentiel d’aller au-delà des présupposés du discours dominant, tout en étant rigoureux. Je suis convaincue que lorsque les universitaires se donnent le droit de sortir d’une fausse et impossible neutralité imposée par les dominants, il y a moyen de documenter les réalités occultées de la violence des hommes envers les femmes en respectant les bonnes pratiques de recherche (représentante groupe 2).
La remise en question collective des tendances positivistes encore très présentes dans les universités (Piron, 2019), la reconnaissance de l’impossible neutralité scientifique (Dorlin, 2018; Harding, 2004) et la volonté transformative du projet (Gervais, 2004) sont autant d’éléments importants pour les groupes. Ces derniers se sont investis ensuite dans toutes les phases subséquentes, de la problématisation à la méthodologie et de l’analyse jusqu’à la rédaction, la diffusion et la promotion des résultats sous différentes formes. Les groupes ont été particulièrement sollicités lors de la mise en exergue des recommandations. Cela étant, certains groupes ont été plus actifs et impliqués alors que d’autres ont connu différentes contraintes fragilisant leur participation continue : « Nous avons rempli notre rôle dans la mesure du possible, mais avions des défis organisationnels qui ont eu un impact sur notre assiduité. […] » (représentante groupe 2). Un groupe a vécu une période d’instabilité au sein de son équipe. Cela a entraîné un certain roulement des représentantes au sein du partenariat et a demandé de dégager du temps pour l’intégration de nouvelles membres.
1.2. Professeur∙e∙s et étudiantes : des universitaires mobilisé∙e∙s au service des collectivités
À travers les trois phases, sept professeur∙e∙s et huit étudiantes des cycles supérieurs de trois universités (UQAM, UdeM et UOttawa) se sont impliqué∙e∙s dans une ou plusieurs phases de la recherche. Leur affiliation à différents départements a contribué au caractère interdisciplinaire du projet : sciences juridiques et droit, criminologie, travail social, science politique, sociologie, études féministes et sciences humaines appliquées. L’interdisciplinarité a été renforcée par la reconnaissance collective de la pertinence et de la complémentarité des savoirs disciplinaires, expérientiels, pratiques et politiques portés par les groupes et par les universitaires.
Les professeur∙e∙s ont mobilisé leurs connaissances théoriques et méthodologiques afin de soutenir les différentes phases du projet. Une programmation de recherche partenariale tournée vers l’action, avec et pour les milieux communautaires – comme celle dont il est question dans cet article – a moins besoin que les chercheur∙e∙s académiques entrent dans un rôle fort d’expert∙e∙s seul·e·s détenteur·trice·s d’un savoir scientifique, mais plutôt dans celui de facilitateur·trice·s du processus de croisement des savoirs (Beaudoin et coll., 2018).
Deux professeur∙e∙s ont été impliqué∙e∙s durant l’entièreté du partenariat, tandis que d’autres ont participé à une phase (n=3) ou deux (n=2) selon leur disponibilité et leur intérêt. Une partie de leur responsabilité consistait à soutenir la rigueur de la démarche et l’encadrement des étudiantes, en plus de contribuer aux différentes étapes de la recherche. Aucun∙e professeur∙e n’a bénéficié d’un dégrèvement. Cela signifie que la participation au projet impliquait de faire de la place dans leur programmation de recherche, déjà chargée, afin de s’investir dans cette initiative. Ceci a pu limiter, à l’occasion, leur capacité à répondre rapidement à certaines demandes ou à respecter un échéancier.
Du côté étudiant, certaines ont été impliquées dans une phase (n=4), d’autres dans deux phases (n=3) et une dans l’ensemble du projet. Elles ont été choisies non seulement sur la base de leur expérience en recherche (notamment des méthodologies), de leurs savoirs disciplinaires, mais aussi de leurs connaissances théoriques, pratiques et politiques en matière de violences sexospécifiques et de leur adhésion à une démarche féministe. Par ailleurs, plusieurs avaient eu des expériences de travail ou de bénévolat au sein de ressources œuvrant en violence envers les femmes, d’où leur familiarité avec une double culture organisationnelle, universitaire et communautaire (Lampron, 2019). Comme c’est souvent le cas dans les projets portés par le Protocole UQAM/Relais-femmes (Chicoine et coll., 2020; Lampron et Pelletier, 2019), les étudiantes ont eu une place centrale en tant qu’auxiliaires de recherche, assistantes, coordonnatrices ou co-chercheuses, co-autrices des rapports scientifiques et des outils de transfert de connaissances : « Les étudiantes ont eu des rôles clés tout au long du processus. […]. Le fait que leur participation soit rémunérée et non sous la forme d’un stage est une très bonne chose » (étudiante 1). Fait à noter, certaines étudiantes ont été payées en tant que salariées syndiquées, d’autres comme travailleuses autonomes par les groupes à partir des subventions gouvernementales2À noter que ce taux horaire était équivalent ou légèrement supérieur aux taux horaires en vigueur pour les personnes étudiantes à l’UQAM. – l’équipe s’étant d’ailleurs adaptée à la situation migratoire d’une étudiante, en prenant en compte la vulnérabilité de certains statuts –, une autre était boursière et la participation à la recherche faisait partie de ses engagements extracurriculaires.
La participation étudiante a garanti le succès de la programmation et sa bonne marche. Selon un∙e membre universitaire, la contribution étudiante a été exemplaire à tous les égards et sans elles et leur engagement, l’équipe aurait eu du mal à atteindre ses objectifs dans les délais fixés. Par ailleurs, les étudiantes ont rapporté avoir apprécié la solidarité dans le travail, relevant « la bonne intelligence et la collaboration fluide » (étudiante 2) entre collègues étudiantes.
1.3. Entre perle et pieuvre : l’indispensable agente de développement du SAC
Alors que l’équipe arrive à la fin de la phase trois de la programmation, toutes les personnes consultées (n=10) ont mentionné l’apport indispensable de la coordonnatrice affiliée au SAC. Certaines la qualifient de « perle » pour insister sur la préciosité et la rareté d’un travail d’accompagnement d’une qualité aussi exemplaire. D’autres utilisent l’image de la pieuvre, celle aux tentacules multitâches, capable de ramener les discussions et les actions à l’essentiel, au plus proche des objectifs poursuivis à l’intérieur d’une opérationnalisation harmonieuse malgré quelques épreuves abordées plus loin. Elle a coordonné le partenariat dans son ensemble ainsi que chaque équipe dédiée spécifiquement à une ou l’autre des phases de recherche. Elle a procédé à un suivi actif entre les rencontres afin de soutenir le travail de toutes et d’identifier clairement les tâches et les livrables attendus, tout en faisant preuve d’une patience et d’une diplomatie remarquables. Son travail est qualifié d’essentiel permettant de « maintenir [le projet] dans les temps et s’assurer que chacune prenne ses responsabilités » (professeur∙e 1). Il est précisé que « la coordination du partenariat par le SAC constitue un des murs porteurs » du projet (étudiante 2).
L’agente du SAC a aussi contribué à l’embauche des étudiantes et chargées de projet, dont elle a assuré en partie l’encadrement, de concert avec les chercheur∙e∙s qui en avaient la responsabilité. Elle a également assuré l’accueil des nouvelles membres de l’équipe – étudiantes et représentantes des groupes – à travers un roulement quand même important. Elle a pris en charge la rédaction des ententes partenariales de propriété intellectuelle et corédigé les demandes de subvention, les rapports d’avancement pour les bailleurs de fonds et les rapports de recherche. En plus de cela, elle s’est impliquée dans l’analyse, la discussion et la diffusion des résultats. Une membre de l’équipe estime entre autres que « la coordination a joué un rôle impeccable de liaison de toutes les parties prenantes et fait un excellent suivi des tâches » (représentante de groupe 2). Ainsi, son travail indispensable a assuré le fil conducteur de ces six années de collaboration, de production et de diffusion.
2. Une opérationnalisation à rude épreuve
2.1. Dispositif à géométrie variable et noyau solide, sous couvert de pandémie mondiale
Toutes les actrices de chacune des phases du partenariat se sont rassemblées en comité d’encadrement décisionnel, lequel était coordonné par la représentante du SAC. Dans le cadre du protocole UQAM/Relais-Femmes, le comité d’encadrement est conçu comme un « [l]ieu de partage de vocabulaire, de concepts, d’échanges et de discussion tout au long du projet » (Bussières et coll., 2018, p. 62).
À partir d’une consultation régulière et d’une gouvernance démocratique, il s’agit d’opérationnaliser les différentes étapes, en assurant la convergence vers une entente globale sur les attentes, les rôles, les retombées et les processus inhérents au projet. Or, si tout∙e∙s les membres de l’équipe ne se rejoignaient pas systématiquement sur certains enjeux idéologiques ou termes producteurs de tensions – comme cela est d’ailleurs rapporté ailleurs (Dumais, 2011; Meilleur, 2022) –, l’opérationnalisation du projet, les rapports et autres livrables ont fait l’objet d’un fort consensus au sein des partenaires.
À l’image de la programmation, le comité d’encadrement a fonctionné de manière itérative, c’est-à-dire selon « une succession de cycles d’observation, d’analyse et d’action » (Beaudoin et coll., 2018, p. 63). D’ailleurs, on parle, dans cet article, d’une programmation de recherche, mais on ne peut le faire qu’avec une certaine nuance rétrospective. Lorsque la première phase de la recherche a débuté, rien ne laissait présager que deux autres phases suivraient. Les résultats de 2018 obtenus à partir de l’analyse du point de vue de femmes victimes ont encouragé l’équipe à envisager la deuxième phase (intervenantes auprès de femmes victimes davantage marginalisées), puis la troisième (acteur·rice·s judiciaires). C’est à la fois un processus de maturation et une volonté d’approfondissement qui ont motivé les membres à maintenir un partenariat de recherche sur une période aussi longue, les autorisant ainsi à qualifier la démarche de programmation. Le comité d’encadrement s’est réuni pas moins de 43 fois en 6 ans, accumulant ainsi 126 heures dédiées à des rencontres statutaires. À cela s’ajoutent évidemment des séances ad hoc de travail et de consultation en ligne ou en présentiel qui se sont déroulées au rythme des besoins.
Tout au long, chaque regroupement a délégué au moins une travailleuse pour siéger au comité d’encadrement. Au moins un∙e professeur∙e, plusieurs étudiantes et l’agente du SAC étaient présent∙e∙s à chaque rencontre, assurant ainsi un suivi à l’intérieur d’un dispositif à géométrie variable. À chaque réunion, on pouvait considérer qu’un noyau serait constitué entre la représentante du SAC, des représentantes des groupes, des étudiantes et des professeur∙e∙s. Les absent∙e∙s avaient toujours la possibilité de consulter le procès-verbal et d’adresser des questionnements, des suggestions, des précisions à l’ensemble de l’équipe ou à des membres en particulier.
Par ailleurs, le processus de recherche a été mis à mal par la pandémie mondiale de COVID-19, déclarée en mars 2020. La situation a représenté un obstacle pour le recrutement de participantes et la possibilité de se retrouver en présentiel pour l’équipe. Aussi, plusieurs ont été confrontées à une difficile conciliation travail-famille-études-vie-pour-soi. En parallèle, ce contexte a exacerbé les violences subies par les femmes, et donc augmenté la charge de travail des regroupements qui cherchent à les contrer (Conseil du statut de la femme, 2020).
2.2. Un budget restreint… un engagement collectif de longue haleine
Plusieurs demandes de financement ont été déposées durant les 56 mois qu’aura duré cette aventure. La programmation a bénéficié du soutien du Fonds d’aide aux victimes d’actes criminels, de Trajetvi (CRSH-Partenariat de recherches et d’actions sur les trajectoires de vie, de violence, de recherche d’aide et de recours aux services des femmes victimes de violence conjugale en contextes de vulnérabilité), du Réseau québécois en études féministes (RéQEF), de FemAnVi (Collectif de recherche féministe anti-violence), du Programme d’aide financière à la recherche et à la création de l’UQAM, volet 2 (Service aux collectivités), du Secrétariat à la condition féminine du Québec et d’un soutien provenant des fonds des groupes partenaires.
Aborder de front le financement de la recherche, c’est ouvrir la « boîte noire » de nos processus (Beaudoin et coll., 2018) et identifier les instances qui appuient un certain type de projet, aussi engagé et ambitieux soit-il. À l’invitation de Florence Piron (2019), il importe donc de reconnaître que la recherche est tributaire du soutien monétaire qui autorise le déploiement de ressources humaines et matérielles, ajoutant aux prémisses féministes qui s’éloignent de la neutralité de la recherche. Au total, la programmation aura nécessité un budget de près de 200 000$, en grande partie affecté aux salaires étudiants. Ceux des chercheur∙e∙s et professionnelles universitaires sont assurés par leurs universités d’attache, bien que l’équivalent du SAC n’existe pas dans toutes les universités (Bussières et coll., 2018). Les représentantes des groupes sont elles aussi rémunérées par leurs organismes, leur participation étant validée par leur équipe.
2.3. Une programmation de recherche imbriquée en trois phases
Phase 1 : Femmes victimes de violence et système de justice pénale : expériences, obstacles et pistes de solution (Frenette et coll., 2018) |
Déployée entre août 2016 et mars 2018, la première phase avait comme objectifs de 1) documenter l’expérience de femmes victimes de violence (en contexte conjugal, de violence sexuelle et/ou d’exploitation sexuelle) dans le système de justice de leur point de vue; 2) identifier des pistes de solution concrètes afin de revendiquer une adaptation du système aux besoins exprimés par les femmes. Pour ce faire, 52 femmes ont été rencontrées dans le cadre d’entretiens individuels et de groupes de discussion afin de mieux cerner les obstacles et les leviers inhérents à la possibilité d’un parcours satisfaisant au sein du système de justice pénale et les raisons pour lesquelles certaines femmes font le choix de ne pas porter plainte. À la lumière de cette première phase, « […] l’un des besoins saillants exprimés par les femmes est d’améliorer leurs relations avec les différent∙e∙s acteurs∙trice·s judiciaires (policier∙ère∙s, enquêteur∙trice∙s, procureur∙e∙s, avocat∙e∙s de la défense, juges) rencontré∙e∙s lors de leur parcours » (Frenette et coll., 2018:7).
Phase 2 : Justice pour les femmes marginalisées victimes de violences sexospécifiques. Ce que la littérature et les intervenantes nous apprennent (Thibault et coll., 2022) |
En grande partie ralentie par le contexte de pandémie mondiale et par une difficulté à arrimer les agendas de toutes avec les échéances des différentes étapes, la deuxième phase a été la plus longue des trois. Elle a débuté en avril 2018 et s’est terminée en mars 2022. Cette phase avait pour objectifs de 1) documenter les expériences, dans le système judiciaire, d’intervenantes ayant accompagné des femmes davantage marginalisées dans des procédures ; 2) identifier des pistes de solution concrètes afin d’encourager une adaptation du système judiciaire, à partir de recommandations émises par les intervenantes. La littérature aussi bien scientifique que grise a été mobilisée et des intervenantes (n=60) ont été sondées et rencontrées afin de mieux comprendre les réalités des femmes davantage marginalisées en lien avec le système de justice. La majorité des recommandations formulées par les intervenantes indiquent l’importance pour les acteur·rice·s du système pénal de développer « une relation basée sur le lien de confiance, l’ouverture et le respect » avec les femmes victimes, et de s’y appliquer encore plus auprès de celles qui sont les plus marginalisées, car elles font face à nombre d’oppressions (Thibault et coll, 2022).
Phase 3 : Justice pour les femmes victimes de violences sexospécifiques : perspectives des actrices et acteurs du système pénal (Vernus, Morency et coll., 2022) |
En complémentarité avec les deux précédentes phases, la troisième, qui aura duré un peu plus de deux ans (mai 2020 à novembre 2022), visait à développer une meilleure compréhension des pratiques auprès des victimes dans le système pénal, mais cette fois à partir du point de vue et de l’expérience des acteurrices judiciaires. Ces dernier∙ère∙s ont également été invité∙e∙s à formuler des recommandations. Pour ce faire, alors que le contexte pandémique sévissait toujours, l’équipe a mené l’analyse des contenus partagés dans le cadre des neuf groupes de discussion et de quatre entretiens individuels menés par téléphone ou visioconférence. Au total, 37 professionnel∙le∙s ont participé, soit 11 intervenantes des Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), 7 avocates et 19 policier∙ère∙s. Selon l’équipe, les résultats :
[o]nt permis de mettre en lumière les mythes, préjugés et discriminations qui subsistent, entravant le parcours des victimes de violences sexospécifiques dans le système judiciaire, les obstacles à leur accès à la justice et à leur accompagnement – notamment le statut quasi inexistant de victime au sein du système criminel. (Vernus, Morency et coll., 2022 :125)
Les répondant∙e∙s ont également identifié des besoins de formation pour mieux accompagner les victimes, l’importance d’implanter des programmes et des équipes spécialisées, et la nécessité d’une meilleure collaboration entre les parties prenantes.
Un partenariat en trois phases pour un ensemble de recommandations |
Pour arrimer les résultats des trois phases, l’équipe, avec une contribution soulignée des représentantes des groupes, a dégagé un ensemble de recommandations sous la forme d’un dernier livrable (Collectif de recherche Justice pour les femmes victimes de violence, 2022).
3. Retombées, défis et perspectives
3.1. Stratégies de mobilisation et de transfert des connaissances
De nombreuses stratégies de mobilisation et de transfert de connaissances ont été déployées. Parmi elles, on peut retenir plus d’une vingtaine d’entrevues médiatiques (presse écrite et en ligne, radio, télévision), douze conférences auprès de publics variés et trois en cours de préparation, ainsi qu’un chapitre de livre, un article scientifique et deux autres en cours de rédaction. À cela s’ajoute une campagne de sensibilisation tirée des résultats de la première phase. Dans le cadre des actions tenues lors de la semaine des victimes et survivants d’actes criminels du Gouvernement du Canada, des vignettes numériques ont été largement diffusées (voir figures 1 et 2).
Vignette de résultats tirés de la phase 1, diffusée sur les réseaux sociaux, en partenariat avec Bête Féroce, 2018
Vignette de témoignage tiré de la phase 1, diffusée sur les réseaux sociaux, en partenariat avec Bête Féroce,
2018
À la sortie du premier rapport en mars 2018, le Barreau du Québec a appuyé les recommandations, tandis que deux rencontres se sont tenues avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales. Les résultats ont également été mobilisés dans le rapport du Comité d’experts sur l’accompagnement des personnes victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale : Rebâtir la confiance (2021). En mars 2022, le lancement du deuxième rapport a lui aussi suscité un certain engouement, ayant été présenté devant 50 représentant∙e·s de services de police, ministères, acteurs∙trice·s judiciaires, journalistes et groupes de femmes. En novembre 2022, le troisième rapport de recherche a aussi été lancé. Dans les mois qui suivront, les résultats feront à leur tour l’objet de publications, conférences et autres outils de diffusion des connaissances.
La plupart des étudiantes ont été très actives dans la majorité des stratégies de mobilisation et de transfert de connaissances. Certaines ont été premières autrices des articles, des communications lors de congrès scientifiques ou des conférences devant des intervenant∙e∙s des milieux communautaires, de la santé et des services sociaux. Par exemple, Sarah Thibault, première autrice du rapport de la deuxième phase (2022), a été invitée à contribuer à une capsule de formation élaborée par Juripop suite à une demande du ministère de la Justice, à destination des acteur·rice·s judiciaires qui seront amené∙e∙s à travailler au sein de l’un des tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle et de violence conjugale. Selon un∙e professeur∙e (1), il s’agit d’une « retombée importante avec un potentiel d’impact concret ».
S’il est difficile d’évaluer l’impact direct de la recherche sur les femmes victimes, une représentante universitaire mentionne avoir « reçu des témoignages de victimes après publication des résultats dans les médias disant que c’est en phase avec leur expérience ». En ce qui concerne les intervenantes ou les acteur·rice·s du système judiciaire, là encore, plusieurs espèrent que les résultats serviront à développer des outils d’intervention mieux adaptés et à s’approprier des arguments appuyés par la recherche pour défendre le droit à la justice : « Je pense que la recherche va permettre ultimement d’améliorer ou d’offrir des pistes d’amélioration pour les services aux survivantes » (représentante groupe 1); « Quand on a présenté à des intervenantes, les résultats notamment de la phase 1, on voyait que cela rejoignait leur réalité et qu’elles se sentaient validées par la recherche » (étudiante 1). Il est également espéré que les résultats contribueront à la reconnaissance des savoirs indispensables développés par les groupes en la matière. Aussi, il est possible que la programmation contribue aux réflexions entourant l’évaluation des pratiques de ces groupes.
3.2. Défis et forces d’une longue programmation de recherche partenariale féministe
Une programmation de six ans s’inscrit dans une temporalité longue, rythmée par les rencontres du comité d’encadrement, les différentes étapes, l’aboutissement de chaque phase marqué par le lancement du rapport de recherche et le transfert des connaissances. La démarche demande un investissement long, assidu et organisé. En ce sens, sa temporalité représente un réel défi (Courcy et coll., 2019; Lafranchise et coll., 2017) et on comprendra que l’équipe se soit modifiée. Il a été soulevé que:
[…] le fait que cette programmation de recherche s’étire sur plusieurs années peut contribuer à un certain essoufflement de la part des membres de l’équipe, en plus d’inévitablement créer des roulements importants au niveau des représentant∙e∙s des groupes partenaires et des étudiantes (étudiante 3).
À la temporalité longue se sont ajoutées des difficultés quant au respect des échéanciers. Pour une variété de raisons, à la fois personnelles et institutionnelles ou organisationnelles, des membres de l’équipe partenariale ont parfois eu de la difficulté à libérer le temps nécessaire pour accomplir une tâche dont elles étaient responsables. Comme le rapporte une représentante universitaire, le respect des engagements initiaux s’est avéré à géométrie variable, « ce qui fait reposer une responsabilité accrue niveaux contenus au reste des membres de l’équipe, incluant étudiantes et coordonnatrice ». Un∙e professeur∙e reconnaît aussi avoir rencontré des enjeux d’assiduité : « [J]’ai eu de la difficulté à maintenir le rythme et à rendre le travail attendu. Ça va vite, les documents sont gros et lourds, les exigences serrées » (professeur∙e 1). Or, à l’image d’une suite de domino dont le mouvement de l’un dépend de celui qui le précède, certaines étapes doivent être accomplies avant que l’on puisse continuer le protocole de recherche. Ainsi, une étudiante mentionne que « [l]es délais […] n’ont pas été respectés […]puis des circonstances externes (pandémie) ont également prolongé de beaucoup les délais prévus. Personnellement, ces délais ont été une source de démotivation » (étudiante 3).
Une autre étudiante a identifié une certaine lourdeur, une charge de travail importante et un relatif essoufflement au sein de l’équipe :
J’ai perçu des signes et des conséquences de surmenage parmi certaines membres de l’équipe. J’ai aussi eu le sentiment que cela pouvait affecter les relations au sein du partenariat : certaines étapes du projet prennent du retard parce que certain∙e∙s portent trop d’engagements simultanés, cela peut être propice à des frustrations et de l’impatience (étudiante 2).
En plus d’avoir un effet sur la motivation, ce genre de situation a pu susciter quelques irritants. Par ailleurs, des étudiantes pensaient s’engager dans un contrat relativement court d’auxiliariat et ont finalement eu à s’investir plus longtemps : « Dans des situations où les délais prévus se prolongent et dépassent l’implication que nous avions prévu avoir originalement, il est parfois très difficile de se retirer ou de faire respecter le temps que nous avions prévu accorder au projet » (étudiante 3).
D’un côté, la charge de travail qui incombait aux étudiantes, le haut degré d’autonomie qui leur était demandé par la force des choses, l’encadrement moins serré que souhaité à des moments clés et l’impression de porter une grande responsabilité quant à la bonne marche des projets sont quelques-uns des défis rapportés:
[…] ça prend des mains et des cerveaux pour réaliser le recrutement, la collecte de données, l’analyse et la rédaction d’un rapport de recherche et pour parvenir à des livrables dans les délais prévus. La très grande majorité de ce travail est effectué par des étudiantes précaires. Ce genre d’expérience est particulièrement stimulant et valorisant pour nous, en autant de recevoir l’accompagnement nécessaire à toutes les étapes du processus et de pouvoir bénéficier de l’expertise et de l’expérience de chercheuses qui n’en sont pas à leur première recherche d’envergure (étudiante 3).
Le fait que des membres de l’équipe ne prennent pas systématiquement le temps de répondre à leur question, que les commentaires prennent parfois du temps à arriver ou encore que peu de rétroactions soient formulées à l’égard de leur travail à la fin d’une étape plutôt que tout au long constituent des facteurs fragilisants. À noter que les étudiantes, tout en témoignant de leurs propres réalités, reconnaissent les pressions institutionnelles et contraintes auxquelles font face les autres membres de l’équipe, qu’il s’agisse des professeur·e·s à qui les institutions en demandent toujours plus, ou des groupes sursollicités et devant accomplir leur importante mission dans un contexte sous tension (féminicides, pandémie, etc.) ; éléments qui font néanmoins reposer sur les épaules des étudiantes des responsabilités accrues.
D’un autre côté, les étudiantes rapportent une ambiance conviviale, dans laquelle les échanges et les négociations sont possibles et encouragés :
La bienveillance des membres de l’équipe, tous statuts confondus. C’est toujours agréable de travailler au sein d’une équipe féministe qui met de l’avant une approche constructive et respectueuse du travail d’autrui. Également, l’aspect partenarial de la recherche et le fait que l’initiative provienne des milieux d’intervention sont un aspect motivant […] (étudiante 3).
C’est donc dire que malgré ces défis, plusieurs forces et réussites ont également été soulignées par les membres de l’équipe. De prime abord, tout∙e∙s les membres de l’équipe estiment que les objectifs du projet ont été atteints : « Nous avons atteint l’objectif de faire de la recherche sur un sujet occulté et nous avons bien diffusé les résultats » (représentante de groupe 2).
La progression de la programmation en trois phases complémentaires et séquencées a aussi été identifiée comme une force : « La cohérence dans la programmation de la recherche, la production de savoirs pertinents, qui répondent à des enjeux importants et des besoins criants. La légitimité et l’expertise réunie autour de cette table » (professeur∙e 1). Une force méthodologique de la programmation réside, selon plusieurs, dans la diversité des informateur·rice·s, le recours à différentes techniques de collecte de données et dans un processus d’accords interjuges pendant les étapes d’analyse.
Plusieurs identifient aussi l’interdisciplinarité de l’équipe comme une force : « J’ai beaucoup appris pendant le processus sur la collaboration entre universitaires et milieux communautaires, et sur la force de l’interdisciplinarité pour aborder les problématiques de violence » (étudiante 1). La reconnaissance assumée de la complémentarité dialogique des savoirs et des pratiques de chaque milieu, mais aussi de chaque individu, a été valorisée par les membres qui ont répondu au sondage: « […] comment les savoirs universitaires et militants peuvent se compléter mutuellement, […] comment les recherches universitaires peuvent se transposer dans les milieux pratiques […] » (étudiante 5). L’expérience de l’interdisciplinarité appliquée à un projet de recherche partenarial et féministe comme celui-ci semble aussi avoir marqué positivement plus d’une étudiante. Par exemple, une étudiante a eu par la suite l’occasion de mieux s’ancrer dans l’université en identifiant des avenues d’implication et d’impacts qui en dépassent les murs. Quelques-unes rapportent que cela leur a permis de cheminer dans leur rapport critique aux savoirs. À cet égard, une étudiante mentionne que son expérience au sein du partenariat lui a permis d’identifier une certaine cohérence entre ses études et sa volonté d’avoir un impact concret en matière de lutte contre les violences envers les femmes :
Personnellement, ça donne un peu du « sens » à ce que je fais à l’école, au sens où parfois on a un peu l’impression d’écrire « dans le beurre », puisqu’il n’y a pas toujours réellement de retombées concrètes dans la vie de tous les jours. Avec des partenariats de recherche, j’ai l’impression que la recherche pourra vraiment être utilisée et permettre de lutter plus concrètement contre les violences sexuelles, par exemple (étudiante 5).
Une autre estime que tout∙e∙s devraient pouvoir vivre ce genre d’expérience:
Une expérience de travail qui m’a marquée positivement. Des sujets de travail passionnants et à fort impact social, des personnes extraordinaires et d’une bienveillance sincère. Je souhaite à tout le monde de rencontrer d’aussi bonnes personnes dans son milieu de travail (étudiante 2).
Plusieurs rapportent aussi avoir développé des connaissances sur les protocoles, leur opérationnalisation ou leurs retombées, et avoir acquis des compétences en recherche partenariale et en communication.
En guise de conclusion: intégrer, protéger et valoriser le travail des étudiantes au sein des partenariats de recherche féministe
En se plaçant à l’opposé d’une démarche de type positiviste, en embrassant une perspective féministe, c’est-à-dire à la fois sociopolitique et scientifique, cette recherche partenariale telle que nous l’avons investie vise à la fois à produire de nouvelles connaissances, à former une relève étudiante et à provoquer une transformation sociale en collaboration forte avec des groupes communautaires (Beaudoin et coll., 2018; Courcy et coll., 2019; Gervais, 2004). Le projet répond en ce sens à la mission sociale de l’université telle que développée dans le cadre de la Politique 41 de l’UQAM, laquelle s’intègre dans trois piliers : la recherche, la formation et le Service aux collectivités (Bussières et coll., 2018; Chicoine et coll., 2020).
Dans l’ensemble, la programmation a atteint ses objectifs, bien que les échéances initialement prévues aient été difficiles à respecter. Nous pensons qu’il reste très précieux pour des étudiant∙e∙s, tout comme pour les professeur∙e∙s ou les groupes communautaires, de pouvoir contribuer à des recherches partenariales féministes de ce type. La reconnaissance du travail des étudiantes apparaît essentielle, à la lumière des propos recueillis et des observations in situ. La pédagogie antioppressive et féministe (à laquelle adhèrent les membres de l’équipe), appliquée de manière intégrée à l’encadrement et au soutien des étudiantes dans ce genre de projets, apparait comme une piste prometteuse (Pagé et coll., 2018; Lampron, 2019).
Plus largement, certaines proposent de davantage former les équipes de recherche partenariale à la mobilisation d’« outils d’expression et de résolution des malaises » afin de « renforcer la communication transparente » (étudiante 1), de développer les compétences de chacune par la « sensibilisation de l’équipe entière aux bonnes pratiques en gestion de projet et en gestion du temps » (étudiante 2), de dispenser à toutes « une formation aux outils numériques et à la protection des données » (étudiante 3), d’assurer des échanges et rétroactions plus fluides et continues entre les étudiantes et les autres membres de l’équipe, d’identifier le temps réel que prendront les différentes étapes et de soutenir le travail de chacune conformément à ses responsabilités et à ses engagements. L’importance d’expliciter dès le début les éléments d’incertitude, les procédés décisionnels, les rapports de pouvoir et d’influence doit être ici rappelée (Beaudoin et coll., 2018). Des discussions initiales claires en ce sens, et poursuivies tout au long de la démarche sous la forme de points statutaires par exemple, seraient à organiser pour améliorer les expériences partenariales et, en particulier, celles des étudiantes. En somme, ces dernières sont de véritables actrices d’un partenariat féministe, au sein duquel elles sont pleinement engagées, et souhaitent que les défis et tensions – inhérents à ce type de démarche – soient surmontés et résolus. C’est donc dire qu’en regard de ce qu’une participation à un tel processus peut leur apporter en matière d’autonomisation, d’apprentissages, de connaissance des milieux et d’opportunités, l’expérience étudiante en recherche partenariale est une aventure à intégrer, à protéger et à valoriser.
Notes de bas de page
- 1Membres de l’équipe en date de novembre 2022, en ordre alphabétique : Mylène Bigaouette (Fédération des maisons d’hébergement pour femmes), Carole Boulebsol (3e cycle, Université de Montréal), Rachel Chagnon (professeure, UQAM), Gabrielle Comtois (RQCALACS), Marie-Marthe Cousineau (professeure, Université de Montréal), Ève-Marie Lampron (SAC-UQAM), Sophie-Anne Morency (3e cycle, UQAM), Geneviève Pagé (professeure, UQAM), Louise Riendeau (Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale), Jennie-Laure Sully (CLES), Sarah Thibault (2e cycle, UQAM), Judith Vernus (2e cycle, UQAM).
- 2À noter que ce taux horaire était équivalent ou légèrement supérieur aux taux horaires en vigueur pour les personnes étudiantes à l’UQAM.
Bibliographie
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Chicoine, Geneviève, Kurtzman, Lyne, Lampron, Ève-Marie, Lefevre-Radelli, Léa, Pelletier, Mélanie, Rioux-Pelletier, Marie-Ève et Riverin, Josée-Anne. (2020).
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Cahier IREF
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