Psychologie et féminisme
Je ne suis pas une pionnière des études féministes dans le monde de la psychologie ni même à l’UQAM, mais au département de psychologie de l’UQAM, certainement. Il faut dire qu’avant d’y devenir professeure, j’ai étudié à l’UQAM. J’y ai fait un baccalauréat, une maîtrise et un doctorat et poursuivi au post-doctorat à l’Université de Montréal et à l’Université de Californie à Berkeley. Étudier à l’UQAM, c’était pour moi un choix. J’étais enthousiaste à l’idée de me retrouver dans un milieu progressiste, d’avant-garde. J’avais lu Benoîte Groult, Germaine Greer et Kate Millett, pour nommer quelques figures marquantes de mon adolescence, et j’étais résolument féministe.
Mon arrivée au département de psychologie a donc été plutôt décevante et je n’ai pas manqué de le faire savoir à certains de mes professeurs. Il y a un professeur de psychanalyse, en particulier, qui a dû me trouver bien pénible. Cela reste une énigme pour moi, mais alors que les études et recherches féministes en psychologie étaient et sont toujours très actives dans le monde anglophone, notamment aux États-Unis, elles restent, encore aujourd’hui, beaucoup plus marginales dans le monde francophone, pas seulement au Québec. Bref, j’ai vite compris que ma déception n’aurait pas été moindre si j’avais étudié dans une autre université francophone.
Heureusement qu’il y avait le Comité femmes de l’UQAM, un regroupement féministe d’étudiantes de divers départements que j’ai joint dès ma première année de baccalauréat. Puis, un groupuscule d’étudiantes de psychologie s’est progressivement formé et nous avons réussi à organiser des colloques, des conférences, des groupes de discussion, des séminaires. Je tiens ici à souligner la formidable implication de deux collègues alors étudiantes, Danielle Julien, qui faisait un retour aux études après quelques années à enseigner la philosophie, et Manon Théorêt. Toutes les deux sont devenues professeures, l’une à l’UQAM, l’autre à l’Université de Montréal. Encore étudiantes, nous avions formé le projet de réaliser nos recherches, de doctorat pour elles, de maîtrise pour moi, sur les effets de la pornographie pour, finalement, un peu dégoûtées de ce que nous avions vu, nous tourner vers d’autres thématiques. Je veux souligner ici que quelques professeures, professeurs, nous ont soutenues dans ces aventures parfois un peu échevelées en participant à nos activités ou en tenant des séminaires spécialisés. Je ne suis pas sûre que nous aurions obtenu le même soutien ailleurs.
Parmi ces professeures, une spécialiste de la psychologie du développement, Andrée Pomerleau, a accepté de diriger ma thèse de doctorat sur les comportements des nourrissons filles et garçons. Diverses études avaient mis en évidence des différences dans les conduites des parents avec les filles et les garçons. Ces pratiques sont également au cœur de l’ouvrage d’Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles, qui a eu un retentissement considérable dans les années 1970. Cependant, le point de vue largement admis à l’époque, même dans les milieux de la recherche, était que filles et garçons sont différents dès la naissance. Il était donc normal que les parents se comportent de façon différente. Mon étude, et de nombreuses autres depuis, ont clairement démontré que les différences entre filles et garçons sont infimes, presque totalement absentes, alors que les variations individuelles sont considérables. On ne peut donc invoquer des différences innées entre filles et garçons pour expliquer les pratiques éducatives différenciées des parents. Comme mes résultats allaient à contre-courant du discours dominant, je tenais à les publier dans des revues scientifiques largement diffusées. Ce ne fut pas chose simple, en particulier pour un article comparant les expressions d’émotion des filles et des garçons. N’ayant trouvé aucune des différences dont il était question dans les grands ouvrages de référence en psychologie, on m’a simplement dit que mes résultats ne présentaient aucun intérêt scientifique. J’ai dû me résoudre à soumettre cet article à une revue ouvertement féministe, Sex Roles, qui l’a tout de suite accepté.
Je ne m’attendais certainement pas à me retrouver, quelques années plus tard, professeure de psychologie à l’UQAM, et pourtant ! Au cours de ma première année, on m’a proposé d’enseigner le cours Psychologie différentielle des sexes, que mon intrépide collègue, Manon Théorêt, avait réussi à imposer comme cours obligatoire lors de la dernière modification du baccalauréat. Manon avait, depuis, quitté le département et le cours, qui se voulait au départ une critique féministe de la psychologie, avait subi une petite transformation. La critique féministe en était presque totalement évacuée. Je l’ai donc repris en main, ce qui m’a permis de me replonger dans une documentation scientifique de plus en plus abondante et d’aborder de grands enjeux sociaux, notamment la violence à l’égard des femmes. Mais, quelques années plus tard, nouvelle refonte du programme, et le cours se voit relégué dans un obscur bloc de cours optionnels. Après une année à argumenter, à faire signer des pétitions, à rencontrer la vice-rectrice à l’enseignement, l’admirable Céline Saint-Pierre, et une comparution à la Commission des études, le cours est maintenu parmi les cours obligatoires. L’appui de l’IREF et de sa directrice de l’époque, Jacqueline Lamothe, a été déterminant dans cette année de lutte.
Le cours que j’enseigne toujours s’est quelque peu modifié au cours des années. Les résultats des très nombreuses études en psychologie comparée des sexes y occupent encore une place centrale, nécessaire, tout comme les diverses formes de violence à l’égard des femmes, tandis que les travaux et les enjeux liés à la diversité sexuelle et de genre y prennent de plus en plus d’importance. Grande déception, par contre. Une nouvelle modification de programme vient d’être adoptée et le cours, maintenant intitulé Psychologie, sexe et genre, un titre beaucoup plus juste, devient optionnel. Comme c’est le cas dans la plupart des programmes de psychologie des grandes universités d’Amérique du nord, seuls les cours exigés par l’American Psychological Association seront désormais obligatoires. Les cours obligatoires seront moins nombreux, ce qui laisse plus de place aux cours optionnels. C’est la seule consolation.
Malgré cette déception, l’intérêt des étudiantes et des étudiants, qui suivent le cours en grand nombre, est évident et c’est ce qui me réjouit le plus. Et beaucoup s’affichent comme féministes. De plus en plus de thèses de doctorat en psychologie portent, en outre, sur des thématiques féministes ou abordées dans une perspective féministe. Il est clair que les jeunes d’aujourd’hui ont une ouverture, des interrogations qui étaient plutôt rares il y a une vingtaine d’années. Les universités ont une immense responsabilité envers ces jeunes. Elles doivent nourrir leurs réflexions et leur offrir des outils pour leur permettre de construire un monde plus égalitaire, plus ouvert. La vigilance de l’IREF est, néanmoins, toujours nécessaire.
Cahier IREF
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