Le rôle de l’IREF dans le développement des études féministes dans la francophonie
Cette publication nous permet de souligner le rôle important joué par l’UQAM dans le développement des études féministes tant au Québec que dans l’univers francophone et ce, depuis les cinquante dernières années. J’aimerais profiter de l’espace qui m’est offert afin de souligner de façon plus particulière le rôle joué par l’Institut de recherches et d’études féministes dans ce développement.
L’importance d’une vision féministe de la recherche
La lorgnette féministe a été essentielle à un recadrage du milieu universitaire qui était, et demeure un peu, bien masculin au Québec. Les chercheuses féministes ont mis en relief les silences et oublis d’un milieu scientifique confondant homogénéité de la pensée avec savoir valide. Nous devons une fière chandelle à ces pionnières qui ont osé « brasser la cage ». Il fallait en effet beaucoup de courage pour remettre en question la pensée dominante, oser pointer du doigt le dogme de la neutralité scientifique et démontrer que la rigueur scientifique pouvait se conjuguer à l’admission d’une certaine subjectivité. Ce fut un parcours de la combattante, un parcours qui n’est d’ailleurs pas encore arrivé à terme. Encore aujourd’hui, la pertinence, voire la scientificité de la recherche féministe continue d’être contesté au Québec comme ailleurs dans l’univers francophone1Voir Ollivier, Michèle et Manon Trembley (2013), Questionnements féministes et méthodologie de la recherche, L’Harmattan, Montréal. Et, pour voir les difficultés rencontrées par les chercheuses féministes françaises dans la reconnaissance de leur perspective, on peut lire : Lagrave, Rose-Marie (1990), « Recherches féministes ou recherches sur les femmes? »; Actes de la recherche en sciences sociales.Vol. 83, juin. Masculin/féminin-1. pp. 27-39; https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1990_num_83_1_29. Toutefois, les progrès réalisés et le rôle joué par la théorisation des revendications féministes témoignent de la force de cette perspective dans l’avancement de la cause des femmes.
Pour le meilleur ou le pire, il semble en effet que la pertinence des études féministes ne se dément pas. Au moment où j’écris ces lignes, nous traversons une crise mondiale historique soit la pandémie de la COVID-19. Tout au long de cette épreuve, que nous traversons collectivement, chercheuses et militantes s’épaulent afin de faire valoir la situation et les besoins spécifiques des femmes. Ainsi, nous savons déjà que la pandémie frappe davantage les femmes tant sur le plan de la santé que de l’économie. Ce travail a été relayé par des médias où l’on trouve de plus en plus de journalistes sensibilisé.e.s aux enjeux féministes. Plusieurs ont d’ailleurs été formé.e.s à l’UQAM ! Grâce à la présence forte de la perspective féministe, il nous est possible de lutter plus efficacement contre la tentation d’invisibilisation des femmes que l’on constate encore aujourd’hui dans les cercles du pouvoir.
L’importance d’un lieu pour les chercheuses féministes
Les différentes interventions vont illustrer, je n’en doute pas, l’importance d’un lieu d’ancrage pour les chercheuses féministes. Dans un contexte où, pendant longtemps, ni les études féministes ni la recherche interdisciplinaire n’étaient très valorisées, elles ont cherché par différents moyens à s’épauler et à se soutenir mutuellement. L’UQAM s’est ainsi avéré un lieu propice à l’épanouissement de plusieurs d’entre elles. Dans cette université, pensée en pleine vague de réforme de l’éducation, on voulait innover et repenser la construction du savoir. Les professeures féministes recrutées ont su profiter de cette ouverture afin de monter des projets porteurs.
L’Institut de recherches et d’études féministes est l’aboutissement de différentes initiatives entreprises afin de se doter de lieux d’échange et de soutien. L’IREF est ici l’héritière, entre autres, du Groupe interdisciplinaire d’études et de recherches sur les femmes qui sera le premier regroupement uqamien à s’invertir de cette mission. Dès sa création, l’IREF est pensé comme un lieu devant permettre des rapprochements interdisciplinaires et favoriser la diffusion des savoirs féministes.
À sa fondation, l’IREF est investi d’une mission de valorisation des savoirs féministes tant dans la recherche, l’enseignement que le service à la collectivité. Il devient rapidement un outil important du déploiement des études féministes non seulement à l’UQAM, mais dans tout le réseau universitaire québécois. On peut penser ici aux représentations faites afin d’encourager l’ouverture de postes spécialisés en études féministes ou encore à la création d’un certificat en études féministes.
Rôle de l’IREF dans l’institutionnalisation de la recherche féministe
Avec les années, l’IREF a permis l’émergence de plusieurs groupes de recherche. Depuis plus de trente ans, nous avons facilité le réseautage de nos membres et soutenu leurs projets. On peut penser par exemple, au Réseau québécois en études féministes dont le projet a pris forme dans nos locaux. Nous avons aussi collaboré au succès du Protocole de recherche entre l’UQAM et le regroupement Relais femmes. Ce protocole, administré par le Service aux collectivités, a permis aux chercheuses et chercheurs féministes de l’UQAM de développer des projets ancrés dans les collectivités et investis dans une co-construction fructueuse des savoirs.
Notre institut a aussi favorisé la structuration d’une offre de cours cohérente et diversifiée en études féministes. À travers, notre certificat et nos concentrations en études féministes, il a été possible pour des étudiantes et étudiants de s’initier et d’approfondir leurs connaissances aux trois cycles d’enseignement. Depuis près de 35 ans, l’IREF a ainsi contribué à former la relève des études féministes. Tous les ans, notre rapport fait état d’un nombre sans cesse grandissant de mémoires et de thèses rédigées dans une perspective féministe. Tous ces travaux témoignent non seulement de la vitalité des recherches, mais aussi du succès que nous avons eu dans notre entreprise de valorisation et de diffusion des savoirs féministes.
On peut débattre de la place et du rôle du féminisme institutionnel. S’est-il trop éloigné de la base militante ? Est-il suffisamment politique ? Mais, force est de constater que des institutions telles que l’IREF contribuent à donner une voix forte tant aux chercheuses qui veulent faire leur place dans le monde universitaire qu’à nos revendications collectives. Le féminisme institutionnel a donc un rôle à jouer et il ne faut pas négliger son apport dans la consolidation de nos acquis et les progrès accomplis.
Et pour finir, quel avenir pour la recherche féministe ?
Non seulement la recherche féministe demeure d’actualité, mais elle se renouvelle et embrasse une quantité grandissante d’enjeux. L’émergence d’un nombre sans cesse croissant de chercheuses (et chercheurs) formées dans les perspectives féministes et engagées dans la recherche féministe nous a ouvert de nouvelles voies. Pensons ici au rôle maintenant central du concept de l’intersectionnalité ou encore aux théorisations novatrices des féminismes décoloniaux ou antispécistes.
D’ailleurs, l’un des beaux défis qui nous attend est d’assurer la circulation des savoirs et des expériences entre les chercheuses issues de différents horizons et travaillant dans des perspectives de plus en plus éclatées. Se pose aussi toute la question de la transmission intergénérationnelle des connaissances et le développement d’une mémoire collective de nos expériences. Mon souhait est que l’IREF prenne ces défis à bras le corps et s’affirme comme un lieu d’échanges et de partage pour notre communauté.
Des événements comme ce colloque et la publication qui en découle témoignent de notre volonté de rendre justice à nos pionnières tout en offrant un espace bien mérité à celles qui ont pris leur relève. Plus que jamais, il nous faut lutter contre toutes les formes de cloisonnement, tant générationnels que disciplinaires ou idéologiques. L’IREF, en accueillant des membres de tous les horizons et de toutes les perspectives, montre qu’il existe bel et bien une « voie du milieu » où nous pouvons nous retrouver, échanger et apprendre les unes des autres.
Conclusion
Je n’en doute pas, les cinquante prochaines années seront elles aussi riches en expériences et en découvertes. Je suis tout aussi persuadée que la recherche féministe y occupera une place de choix. En effet, je ne pense pas que la lutte féministe va perdre sa raison d’être de sitôt… Nous pouvons espérer que l’avènement d’une égalité réelle entre toutes et tous advienne avant la fin du présent siècle. Toutefois, dans l’attente de ce moment, l’IREF et l’UQAM poursuivront la mission entamée en 1969 avec l’inauguration de notre université. Et même après, pourquoi pas ! Car la recherche féministe saura bien faire sa place dans ce monde qui reconnaitra finalement une valeur et une dignité égales aux femmes et aux hommes. Nous avons donc encore de fructueuses années devant nous !
Notes de bas de page
- 1Voir Ollivier, Michèle et Manon Trembley (2013), Questionnements féministes et méthodologie de la recherche, L’Harmattan, Montréal. Et, pour voir les difficultés rencontrées par les chercheuses féministes françaises dans la reconnaissance de leur perspective, on peut lire : Lagrave, Rose-Marie (1990), « Recherches féministes ou recherches sur les femmes? »; Actes de la recherche en sciences sociales.Vol. 83, juin. Masculin/féminin-1. pp. 27-39; https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1990_num_83_1_29
Cahier IREF
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