À propos des femmes et du cinéma d’animation
Étant doctorante dans le programme Études et pratiques des arts avec une concentration de 3e cycle en études féministes, c’est à titre de membre étudiante de l’IRÉF que j’ai été invitée à participer au colloque L’UQAM pionnière des études féministes. Ma thèse de recherche, sous la supervision de Thérèse St-Gelais (histoire de l’art) et Louis Jacob (sociologie), porte sur l’émergence d’un cinéma d’animation féministe à l’Office national du film du Canada (1970-1979). Lors de mes études, j’ai saisi l’importance des études féministes et de ses méthodologies dans un contexte d’enseignement universitaire, spécifiquement dans la discipline des études cinématographiques et du cinéma d’animation. C’est dans ce contexte que ce texte s’écrit, en guise de témoignage et d’analyse.
S’il y a un espace mental et politique où les hommes continuent de régner, c’est bien dans le milieu du cinéma. À titre d’exemple, en mai 2018, dans le cadre du prestigieux Festival International du Film de Cannes, 82 femmes ont gravi les marches du Palais des Festivals afin de dénoncer les inégalités dans le domaine. Ces femmes symbolisent les 82 réalisatrices qui ont eu un film présenté en compétition officielle depuis l’instauration du festival en 1939, contre 1688 réalisateurs masculins. L’année suivante (2019), le festival propose un record de films en compétition réalisés par des femmes : 4 sur un total de 21. À ce jour, La leçon de piano (Campion, 1994) demeure l’unique film réalisé par une femme ayant reçu la Palme d’Or. Paradoxalement, Campion a dû partager ce prix avec un long-métrage réalisé par un homme : Adieu ma concubine (Chen, 1993).
Aux États-Unis, du côté de la réalisation de longs-métrages de fiction, uniquement quatre femmes ont été mises en nomination aux Oscar depuis les débuts1Il s’agit de Pasqualino (Lina Wertmüller, 1977), La leçon de piano (Jane Campion, 1994), Traduction infidèle (Sofia Coppola, 2003) et Démineurs (Kathryn Bigelow, 2008).. Ce n’est qu’en 2010 qu’une première réalisatrice remporte la statuette avec Démineurs (Bigelow, 2008). Quant aux longs-métrages d’animation, sur les neuf femmes2Il s’agit de la coréalisatrice de Persepolis (Marjane Satrapi, 2007), de la réalisatrice de Kung Fu Panda II (Jennifer Yuh Nelson, 2011), la coréalisatrice de How to train your Dragon 2 (Bonnie Arnold, 2015), la coréalisatrice de Frozen (Jennifer Lee, 2010), la coréalisatrice de Brave (Brenda Chapman, 2012), la coréalisatrice de Coco (Darla K. Anderson, 2017), la coréalisatrice de La Passion de Van Gogh (Dorota Kobiela, 2017) et la coréalisatrice de Parvana, une enfance en Afghanistan (Nora Twomey, 2017). qui ont été nommées, seulement trois3Jennifer Lee (2010), Brenda Chapman (2012) et Darla K. Anderson (2017). ont remporté l’honneur de l’Oscar pour la meilleure animation, mais elles ont toujours partagé ce prix avec un ou des coréalisateurs masculins. Ces constatations ne sont pas banales. La reconnaissance est un facteur important pour la promotion et l’archivage des films. Les prix prestigieux font rayonner les artistes à l’international et contribuent à l’avancement de leur carrière : il semble que les femmes soient exclues de ces reconnaissances.
Malgré le fait que l’histoire du cinéma est plutôt silencieuse quant aux animatrices, elles étaient bien présentes à la réalisation. À travers les relations de pouvoir qui façonnent les discours, l’histoire du cinéma d’animation a peu ou pas documenté les assistantes, même si elles travaillent directement sur les animations et que leur apport est significatif à la construction de l’objet. Notamment, Claire Parker et Faith Hubley ont dédié toute leur carrière à l’assistanat de leur époux animateur, sans être créditées à juste niveau. À propos de sa relation de création avec son mari, Faith Hubley dit de lui : « […] [he] made me feel very inferior. He was the senior artist and he was ten years older » (Hubley, citée dans Pilling, 1992 : 25)4Traduction de la citation originale : « […] [il] me faisait sentir inférieure. C’était lui l’artiste d’expérience et il avait dix ans de plus que moi » (Hubley, citée dans Pilling, 1992, p. 25). Dans l’histoire de l’art, nombreuses sont celles qui ont sacrifié leur travail personnel au profit de leur compagnon masculin ou fait passer la carrière de l’homme en priorité, à leur détriment personnel. Les créations des femmes (encouragées, effacées ou en collaboration avec leurs amoureux, maris ou amants) ne sont pas le territoire exclusif du cinéma d’animation. À ce titre, plusieurs artistes vivent cette situation comme Frida Khalo et Diego Riviera, Dorothea Tanning et Max Ernst, Georgia O’keefe et Alfred Stieglitz ou encore Camille Claudel et Auguste Rodin, pour n’en nommer que quelques-unes. Plusieurs femmes contribuent à l’œuvre de leur mari sans reconnaissance historique ou monétaire. Rendre l’autre invisible est l’une des caractéristiques de la domination masculine. Dans l’industrie de l’animation, on retrouve donc un rapport de classe entre les hommes et les femmes puisqu’il y a l’exploitation des femmes qui travaillent anonymement. Il n’y a aucune mesure de la valeur de la force de travail des femmes dans l’industrie du cinéma d’animation lorsqu’elle est appropriée par d’autres.
Au sein de l’Office national du film du Canada, l’exemple de la collaboration entre Norman McLaren et Evelyn Lambart témoigne du phénomène du discrédit du travail des femmes et de l’invisibilisation de leur contribution. Norman McLaren a reçu les honneurs et a été historicisé. A contrario, Lambart est anonyme. Tombée dans l’oubli, elle est de nos jours redécouverte5L’ONF a récemment produit un film sur l’animatrice : Onze moments animés avec Evelyn Lambart (McWilliams, 2017). Ce réalisateur a aussi créé le long-métrage Norman McLaren : Le génie créateur (McWilliams, 1991). et revalorisée par l’histoire, mais plutôt pour son apport à l’œuvre de McLaren que pour son travail personnel. En effet, Lambart a consacré la majorité des vingt-cinq premières années de sa carrière à l’assistanat de McLaren. Travaillant sur plusieurs de ses films, elle est demeurée dans l’ombre, méconnue ou quasi absente de la documentation historique6Elle a un crédit de coréalisatrice et de coanimatrice sur cinq courts-métrages auxquels elle a collaboré avec McLaren : Caprices en couleurs (McLaren et Lambart, 1949), Rythmetic (McLaren et Lambart, 1956), Lignes Verticales (McLaren et Lambart,1960), Lignes horizontales (McLaren et Lambart, 1962) et Mosaïque (McLaren et Lambart, 1965).. À propos de sa relation avec McLaren, Evelyn Lambart se confie :
Norman had great prestige. I feel that all my life Norman’s mantle has fallen a bit on me and I think people respect me mainly because I was working with him. Norman was a big figure. Everything that we created was so good and won many prizes, but working beside someone of this stature had certain disadvantages. I often felt very insignificant beside him, but he respected me very much. (Lambart, citée dans Pilling, 1992, p. 32)
Traduction de la citation originale : « La réputation de Norman était si prestigieuse. J’ai l’impression que toute ma vie a été dédiée à assumer ses responsabilités; je crois que les gens me respectaient principalement parce que je travaillais avec lui. Il était important. Tout ce qu’il créait était exceptionnel, il gagnait beaucoup de prix : mais travailler avec quelqu’un de cette stature avait ses désavantages. J’avais souvent l’impression d’être insignifiante à ses côtés; mais il me respectait beaucoup. » (Lambart, citée dans Pilling, 1992, p. 32) [7]
De même, le manque de considération apporté aux œuvres réalisées par les animatrices contemporaines est une autre forme d’oppression dans un art marginal et marginalisé. En autres, Torill Kove7Oscar pour le meilleur court-métrage d’animation avec Le poète danois (Kove, 2007)., Martine Chartrand8Ours d’or du meilleur court-métrage au Festival International du Film de Berlin avec Âme noire (Chartrand, 2001)., Amanda Forbis et Wendy Tilbi9Palme d’Or à Cannes pour le meilleur court-métrage avec When the Day Breaks (Forbis et Tilby, 1999). sont des animatrices qui demeurent pratiquement inconnues du grand public, mais qui pourtant ont remporté des prix prestigieux et convoités. Cela engendre un problème majeur : le manque de modèles féminins auxquels les réalisatrices animatrices peuvent s’identifier. La remise en cause des qualités professionnelles des femmes et de leur aptitude à créer est révélatrice du double standard qui affecte la capacité des femmes à mener un film à terme. Encore de nos jours, il y a des stéréotypes sur les compétences qu’on attribue aux femmes en regard de leurs habiletés techniques à réaliser des films. Il y a aussi le fait que de faire des films, compte tenu des moyens requis et des sommes nécessaires, est pratiquement un privilège. Le poids des traditions, la conception encore très présente que ce métier est « masculin » et l’omnipotence des financiers jouent en défaveur des femmes.
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, on assiste à un moment charnière pour la condition des femmes au Canada. La « deuxième vague » se concentre à faire reconnaître que les problèmes vécus par les femmes dans l’espace privé sont l’affaire de toute la société. Les féministes amènent de nouvelles causes dans l’espace public. La société est en pleine mutation : le rôle des femmes aussi. Une trentaine de groupes féministes se rassemblent pour exiger du gouvernement fédéral une commission d’enquête sur la condition et l’égalité des chances pour les femmes au pays. Le Rapport Bird sur la condition des femmes au Canada (1970) est polarisé autour de la question de la place des femmes dans la société. Le rapport conclut sur la nécessité d’améliorer le statut des femmes au Canada pour s’assurer qu’elles aient des chances égales aux hommes dans toutes les sphères de la société, un constat qui est bien dans le ton du féminisme égalitaire libéral. Or, la prégnance des stéréotypes et des préjugés sur les qualités et les capacités des femmes amenuisent leurs chances de pouvoir se réaliser professionnellement. Il n’est donc pas étonnant que des mouvements féministes se radicalisent et critiquent la société androcentrée. Les féministes radicales veulent défaire le cadre hiérarchisé de la société afin d’atteindre l’égalité et souhaitent le renversement des construits du système. L’émergence des pratiques féministes en cinéma d’animation, documentaire et fiction sont influencées par les revendications radicales des années 1970.
Au Canada, c’est une institution gouvernementale, l’ONF, qui octroie en premier la réalisation aux femmes à la fin des années 1960. Selon mes recherches, le premier film féministe réalisé à l’ONF par une femme10Sa première réalisation est : À l’heure de la décolonisation (Fortier, 1962) produit par Hubert Aquin. est : La Beauté Même (Monique Fortier, 1964)11Fortier ne réalisera pas d’autres films mais consacre sa carrière au montage. Elle travaille, notamment, avec Anne-Claire Poirier, Pierre Perrault et Denis Arcand sur Le Déclin de l’empire américain (Arcand, 1986).. À propos de son film, la réalisatrice dit : « J’ai réalisé un petit film sur la beauté de la femme. Je n’étais pas féministe, mais c’étaient des choses qui me préoccupaient, parce que je pensais à partir de mon propre corps » (Fortier, citée dans Daudelin, 1980, p. 15). D’une durée de neuf minutes, ce film médite sur les stéréotypes de la beauté féminine et les facteurs contribuant à sa promotion. Par la mise en images du monologue intérieur d’une jeune femme, interprétée par Monique Miller, la protagoniste se questionne sur la beauté. Au commencement, elle la définit en fonction du regard de l’autre : « Je me vois sans cesse dans le regard des autres, je me vois tantôt fleur, enfant, idole, tantôt mère, servante, ensorceleuse, sorcière » (Fortier, 1964). Le film critique ensuite la manière dont la culture populaire s’approprie le corps des femmes et le fétichise pour plaire au regard de l’homme hétérosexuel : « Je me suis souvent demandé ce qui fait la beauté. Je la vois paraître et disparaître en moi selon les heures. Je voudrais la saisir, la garder tout le jour. Où est ma beauté? Qui suis-je quand je suis loin du regard des hommes? Depuis mon enfance je cherche à plaire. Il faut plaire. Concours de beauté tous les jours, cours de beauté à Atlantic City » (Fortier, 1964). Précurseur, le film dénonce le concours de beauté Miss America où de jeunes femmes défilent en robe de soirée puis en bikini. Avant-gardiste, Fortier signale le concours de beauté Miss America quatre années avant les militantes radicales américaines de 1968, une année charnière des mouvements féministes américains. Aux États-Unis, les féministes matérialistes radicales dénoncent vivement la représentation des femmes dans la culture populaire et dans les médias de masse en condamnant la marchandisation du corps et les discours de consommation qui sont véhiculés. Les femmes sont esclaves des critères de beauté. Ces féministes s’attaquent au symbole du concours de beauté Miss America. Le cerveau de l’opération est Carol Hanisch (2006) qui lance le célèbre slogan « Le privé est politique! ». Shulamith Firestone12Shulamith Firestone est une féministe radicale, cofondatrice du groupe newyorkais Redstockings, autrice du très remarqué The Dialectic of Sex : The Case for Feminist Revolution (Firestone, 1970). Firestone veut déconstruire la société pour mieux la rebâtir : elle prône la destruction de l’organisation sociale. Firestone propose la thèse selon laquelle le « sexual class system » (Firestone, 1970) est la division sociale et économique la plus importante et constitue l’épicentre de l’oppression des femmes. Pour elle, la grossesse est barbare, donner naissance est « like shitting a pumpkin » (Firestone, 1970) et la petite enfance est la supervision d’un cauchemar. Simone de Beauvoir dit, à propos du livre de Firestone, qu’elle propose quelque chose de nouveau car elle associe la libération des femmes avec la libération des enfants (Faludi, 2013). milite également avec les féministes radicales lors de la dénonciation de ce concours. Les femmes noires (qui ne cadreraient pas avec les paramètres de beauté) ne peuvent y participer. Pourtant: « Black is beautiful! »13Derrière le spectacle de Miss America, il y a aussi des visées commerciales qui font la promotion et la vente d’une station balnéaire.. Les militantes créent alors les « Freedom Trash Can » dans lesquelles elles jettent des magazines (notamment Playboy), des gaines, des bigoudis, des brassières et autres instruments de torture au féminin. Elles critiquent le système capitaliste et couronnent une brebis pour symboliser la victorieuse Miss America. Le maquillage peut-il cacher les cicatrices de l’oppression des femmes? Dans le film de Fortier, des mannequins dans les vitrines du centre-ville et des couvertures des magazines font écho à ces discours qui bombardent les femmes d’images stéréotypées auxquelles elles doivent se conformer. En questionnant son rapport à la beauté, Fortier conclut qu’elle ne peut provenir que de l’intérieur et de l’amour de soi. C’est en déplaçant le regard désirant masculin qui fétichise les femmes qu’elle propose au regard féminin de reconnaître sa propre valeur, par elle-même.
À ma connaissance, Anne Claire Poirier est la première femme à réaliser un long-métrage documentaire féministe au Québec : De mère en fille (Poirier, 1968)14La vie rêvée (Dansereau, 1972) est le premier long-métrage de fiction féministe réalisé par une femme dans l’industrie privée au Québec mais c’est Jean-Pierre Lefebvre qui, avec Q-bec My Love (Lefebvre, 1970), réalise le premier film long-métrage de fiction féministe québécois.. Effectuant des allers-retours entre les genres (documentaire, autobiographie et fiction), Poirier pose son regard sur la grossesse, l’accouchement et la maternité. Elle met en images le discours intérieur d’une femme qui attend son deuxième enfant en dévoilant ses questionnements, ses inquiétudes et ses peurs. La narration est inspirée du journal personnel de l’autrice et c’est la voix de Poirier que l’on entend. Empruntant par moments à l’esthétique de la caméra directe, Poirier se faufile dans les salles d’accouchements en documentant des naissances réelles. Ces images graphiques présentent au cinéma une réalité féminine jusque-là cachée au grand public15Je rappelle que la majorité des hommes sont exclus de la salle d’accouchement dans les années 1960; les caméras y sont encore moins permises.. Le film met aussi en images des préoccupations féministes post-accouchement. La protagoniste peine à concilier vie familiale et professionnelle : épuisée par la routine, elle s’oublie pour prendre soin des autres. Elle se sent prisonnière, écrasée sous les responsabilités et la charge mentale qu’elle est seule à porter. Malheureuse, elle est tiraillée par la culpabilité de laisser ses enfants à la garderie et sa volonté d’aller sur le marché de l’emploi. Elle s’interroge sur sa relation de couple qui a changé depuis l’arrivée de ses enfants et les désirs de son partenaire pour son corps qui n’est plus le même après ses deux grossesses. Le film de Poirier présente la réalité d’une femme qui fait écho à la vie réelle d’autres Québécoises et Canadiennes en mettant en images la réelle oppression de certaines femmes dans la maternité.
Quant à la production cinématographique dans l’industrie privée, durant la même période, les femmes demeurent les assistantes des hommes, campées dans les rôles traditionnels de scriptes, secrétaires, maquilleuses ou coiffeuses. De plus, financer des films « féministes/à propos des femmes » dans l’industrie privée est, et demeure, extrêmement difficile. Même bilan du côté de la distribution de ces œuvres dont les sorties commerciales sont laborieuses et limitées. C’est en mettant en place des mesures de discriminations positives dans les années 1970 que l’ONF facilite l’accession des femmes à la réalisation.
Effectivement, c’est à l’intérieur des murs de l’ONF que tout débute pour le programme En tant que femmes. Les travailleuses de l’institution se sentent doublement lésées : elles n’ont pas accès à la réalisation de films et les emplois qu’on leur laisse sont assujettissants. Ces femmes souhaitent bouleverser les politiques et les structures onéfiennes régissant l’accession à la réalisation de films et à l’attribution des postes. Dans sa recherche, Blais constate un double problème au sein de l’ONF : celui de l’assistanat des femmes et, proportionnellement, de leur plus grand nombre dans certaines fonctions. Elle écrit :
[…] les femmes représentent 40% de la population globale [à l’ONF]; elles sont surreprésentées dans trois catégories (services administratifs, secrétaire et commis) qui offrent les salaires les plus bas et les possibilités d’avancement les plus faibles; elles sont sous-représentées dans un bon nombre de catégories (entre autres : agent de film, technicien, caméraman et production de films) où on les retrouve, par ailleurs, dans l’échelle salariale la plus basse, alors que les hommes sont répartis selon les divers échelons. (Blais, citée dans Carrière, 1983, p. 204)
Les travailleuses onéfiennes saisissent leur chance avec la mise en place du programme Société Nouvelle/ Challenge for Change16Au sein de l’ONF, le gouvernement canadien met en place le programme Société Nouvelle/ Challenge for Change dont le triple objectif est d’accorder aux gens des marges la chance de s’exprimer à travers le cinéma. Premièrement, cette initiative veut permettre l’expression des cultures minoritaires avec le septième art. Deuxièmement, le programme veut diffuser les connaissances des communautés minoritaires auprès de la population et des instances décisionnelles. Troisièmement, ces films vont recueillir des informations précieuses chez les minorités afin de mieux comprendre leurs réalités, leurs visions et leurs défis. Le programme mise sur le fait que les gens sont en mesure d’identifier leurs problèmes et d’y trouver des solutions. L’ONF met ses ressources audiovisuelles à la disposition de la population canadienne appartenant à une culture minoritaire. Le gouvernement canadien encourage ainsi l’expression artistique des minorités pour offrir une alternative aux représentations traditionnelles dans le cinéma national. « Société Nouvelle devient dès son origine un des rares projets cinématographiques dans le monde à appuyer ouvertement et officiellement le changement social » (Carrière, 1984b, p. 24). Présenter le problème de la pauvreté au Canada est l’un des enjeux majeurs du programme. Par ricochet, cette initiative favorise directement l’émergence d’autrices onéfiennes et de leur pratique féministe dans la réalisation puisque la vision des femmes est minoritaire. car : « Minoritaires en égard au pouvoir qu’elles détiennent – ou ne détiennent pas – les femmes en tant que collectivité sont un sujet de premier choix pour un programme comme Société Nouvelle » (Sans auteur, Médium Média, 1973 : 3). L’ONF n’a pas le mandat spécifique de produire des films féministes mais il doit représenter la pluralité des points de vue minoritaires au Canada. Visiblement défavorisé quant au nombre de leurs productions cinématographiques à l’ONF, le regard des femmes fait partie du point de vue minoritaire. Même si les forces semblent contradictoires quant à l’agentivité possible d’un film produit dans les limites d’un cadre institutionnel, les réalisatrices féministes utilisent le lieu du pouvoir, l’institution, pour dénoncer. Dans le département anglais, les créatrices travaillent avec le Studio D. Du côté du département français, c’est avec le programme En tant que femmes que les réalisatrices vont se manifester.
Au cours des trois années du projet En tant que femmes, six productions touchant à diverses thématiques féministes sont réalisées. La perte d’identité à travers le mariage et la maternité est explorée dans Souris, tu m’inquiètes (Danis, 1973). Les garderies d’État et la volonté de collectivisation des services sont questionnées dans À qui appartient ce gage? (Blackburn et al., 1973). Les relations complexes que les femmes entretiennent avec les hommes sont inspectées dans J’me marie, j’me marie pas (Dansereau, 1973). L’identité des femmes et leur place sur le marché du travail sont analysées dans Les filles du Roy (Poirier, 1974). L’adolescence au féminin est documentée dans Les filles, c’est pas pareil (Girard, 1974). Puis, la contraception et l’avortement sont discutés dans Le temps de l’avant (Poirier, 1975). Cette série va déranger. Les propos choquent. Les cinéastes entrent dans les maisons et braquent leurs caméras sur l’intime.
Du côté de la programmation anglaise, le Studio D est fondé en 1974 sous l’initiative de Kathleen Shannon. Cette unité de production féministe du studio anglais a été active jusqu’en 1996. La liste serait trop exhaustive pour être détaillée ici mais je mentionne deux productions féministes percutantes : Some American Feminists (Brossard et al., 1977) et Not a Love Story : A Film about Pornography (Sherr-Klein, 1981). À ma connaissance, le Studio D est une unité de production cinématographique unique au monde : c’est la seule cellule de création filmique féministe financée par une institution étatique17Pas très loin, à la même époque, il y aura le centre Vidéographe, le Groupe Intervention Vidéo et Vidéo Femmes (anciennement nommé La femme et le film et fondé en 1973 par Helen Doyle, Nicole Giguère et Hélène Roy). Vidéo Femmes est « un centre de production et de diffusion / animation de vidéos réalisés par / pour les femmes. […] C’est un ‘collectif féministe d’intervention vidéo’. […] Notre choix de vidéo comme moyen d’expression et de communication a été arrêté de façon claire et définitive dès la fondation officielle de notre centre. » (Giguère et Pérusse, 1980 : 35) En effet, la vidéo est une forme d’expression souple et moins coûteuse que le cinéma, ce qui en fait un outil d’intervention privilégié et plus accessible pour les femmes qui y « voyait là un outil privilégié d’intervention sociale. » (Giguère et Pérusse, 1980 : 35).
Même si, à l’époque, les détracteurs de l’ONF voient en ces mesures de discrimination positive de l’opportunisme politique contribuant à la légitimation de l’institution, il n’en demeure pas moins que les réalisatrices profitent un peu partout des retombées de l’Année internationale de la femme (1975) et de la Commission Bird. Malheureusement, la pérennité des mesures n’est pas assurée dans le temps puisque ces programmes de discrimination positives sont de nos jours abolis. En tant que femmes n’a duré que trois ans (1973-1975) et le Studio D a été fermé en 1994. Si l’ONF a su ouvrir ses portes à la réalisation par des femmes et à la production d’une cinématographie au discours féministe, ces mesures de discriminations positives furent éphémères18Ce n’est qu’en 2016 que l’ONF s’est fixé l’objectif d’atteindre la parité au niveau de la création entre les hommes et les femmes..
Il est essentiel de souligner que plusieurs autres raisons ont favorisé la promotion des femmes à la réalisation de films dont l’accès plus grand à l’éducation, ce qui a permis aux femmes d’exercer de nouveaux métiers; les pressions exercées par divers groupes féministes, ce qui a favorisé leur professionnalisation dans des métiers dits « non traditionnels »; les revendications radicales sur la division sexuelle du travail et les revendications matérialistes sur l’oppression des classes. Cependant, cette accession à la réalisation de films demeure limitée puisque « dans ce contexte, l’accès à la fin des années 1960, [il n’y a qu’un] petit nombre de femmes très scolarisées à la réalisation de films au Québec » (Carrière, 1981 : 48). Ce phénomène n’est pas exclusif à la réalisation cinématographique : l’avancement de la condition des femmes touche souvent un groupe privilégié restreint.
Si des employées onéfiennes se sont réunies pour créer des unités de productions féministes avec le programme En tant que femmes et au sein du Studio D, je n’ai pas observé de phénomène similaire dans les départements d’animation français et anglais. Je n’ai recensé aucune manifestation ou regroupement collectif de femmes à l’animation revendiquant d’avoir accès à la réalisation de films. Dès la fin des années 1960, sous l’égide de René Jodoin, trois femmes parviennent à la réalisation de films au sein du studio francophone. En 1969, Viviane Elnécavé signe Notre jeunesse en auto-sport (Elnécavé, 1969) puis Francine Desbiens et Michèle Pauzé se joignent à Pierre Hébert et Yves Leduc pour coréaliser Le corbeau et le renard (Desbiens et al., 1969). Quant au département d’animation anglais, des animatrices réalisent également des films à la fin des années 1960. Eva Szasz crée Cosmic Zoom (Szasz, 1968) qui illustre le trajet animé du microcosme de l’atome d’une cellule humaine jusqu’à l’immensité de l’univers. Également, Rhoda Leyer signe Little Red Riding Hood (Leyer, 1969), une animation qui réinterprète le célèbre conte de Perrault. Bozenna Heczko crée Pictures Out of My Life (Heczko, 1973), un film inspiré des dessins et des souvenirs de l’artiste inuite Pitseolak.
Au début des années 1970, plusieurs autres femmes accèdent à la réalisation de films et la majorité d’entre-elles sont d’abord formées à titre de stagiaires ou d’assistantes sur les productions des autres, car il est impossible à cette époque d’étudier à Montréal le cinéma d’animation. Habituellement, les premières réalisatrices à qui l’on confie un projet d’animation sont assignées à la création de films éducatifs. Evelyn Lambart crée des cartes géographiques avec La carte impossible (Lambart, 1947). Clorinda Warny travaille sur les mathématiques avec Multiplication 1 (Warny, 1972), Multiplication 2 (Warny, 1972) et Multiplication 3 (Warny, 1973). Quant à Francine Desbiens, elle est assignée à la gamme chromatique des couleurs dans Les Bibites de Chromagnon (Desbiens, 1971).
Outre Lambart qui se dévoue plus d’une vingtaine d’années à la carrière de McLaren, Francine Desbiens assiste Bretislav Pojar à la création de Balablok (Pojar, réal. 1972) et E (Pojar, 1981). Suzanne Gervais aide Co Hoedeman sur le film Tchou-Tchou (Hoedeman, 1972). Cependant, il serait faux de croire que le phénomène de l’assistanat est unidirectionnellement masculin/féminin. Plusieurs animatrices ont été appuyées par d’autres animatrices. Notamment Clorinda Warny qui a été asssistée par Lina Gagnon et Suzanne Gervais avec Premiers jours (Warny, 1980). Ainsi, il serait faux d’affirmer que l’assistanat onéfien est l’affaire de femmes au service des hommes. Cependant, je n’ai pas relevé le phénomène inverse, c’est-à-dire des hommes qui assistent les animatrices.
J’ai aussi constaté que la grande majorité des animatrices, à l’époque, sont recrutées par le biais de productions à faible coût. Notamment la série Poets on Films qui a donné une première chance à plusieurs d’entre elles. Ces coréalisations sont des interprétations visuelles de poèmes d’auteurs canadiens. Parmi les recrues : Bozenna Heczko, Elisabeth Lewis, Janet Perlman et Gayle Thomas sur Poets on Film No.1 (Heczko et al., 1977); Joyce Borenstein, Janet Perlman et Véronika Soul sur Poets on Film No.2 (Borenstein et al., 1977) ainsi que Francoise Hartmann sur Poets on Film No.3 (Doucet et Hartmann, 1977). Ce qu’il faut comprendre entre ces lignes, c’est que sur les dix cinéastes d’animation travaillant sur cette série à très faible coût de production, huit sont des femmes et deux sont des hommes (Sheldon Cohen et Robert Doucet).
Pour la sélection du corpus de ma thèse, je me suis questionnée sur les catégories qui traduisent la nature et la dynamique d’ensemble des pratiques de l’époque. J’ai retenu la thématique de l’espace privé et de l’espace public comme sujet transversal de mon corpus. J’ai sélectionné six œuvres qui me semblent révélatrices en exprimant clairement que la division des genres entraîne la hiérarchisation sociale. Trois films sont issus du programme de production française et les trois autres du programme de production anglaise. Si les féministes de la « deuxième vague » ont milité pour mettre en lumière les préoccupations de l’espace privé, les animatrices-réalisatrices de la première section de mon corpus le font avec les films Petit Bonheur (Warny, 1972), The Spring and Fall of Nina Polanski (Hutton et Roy, 1974) et La Ménagère (Bennett, 1975). Quant aux préoccupations dans la sphère publique, elles sont illustrées avec Token Gesture (Lanctôt, 1975), Interview (Leaf et Soul, 1976) et Cogne-Dur (Daudelin et al., 1978).
De nos jours, les films créés par des femmes sont de plus en plus nombreux et partout dans les médias retentissent les trompettes de la parité à la réalisation cinématographique. Depuis plus d’une douzaine d’années, le collectif des Réalisatrices Équitables (RÉ) milite pour conscientiser et dénoncer la disparité de genre dans la production culturelle au Québec. Notamment, elles publient plusieurs études19Notamment : Encore Pionnières. Parcours des réalisatrices québécoises en long-métrage de fiction (Lupien et al., 2011); La Place des réalisatrices dans le financement public du cinéma et de la télévision, mise à jour des statistiques (Descarries et al., 2012); L’avant et l’arrière de l’écran. L’influence du sexe des cinéastes sur la représentation des hommes et des femmes dans le cinéma québécois récent (Lupien et al., 2013) et La place des créatrices dans les postes clés de création de la culture au Québec (Réalisatrices Équitables, 2016). et leurs constats sont préoccupants. RÉ remarque une disparité étonnante entre le nombre de femmes dans les institutions d’enseignement versus leur réelle présence sur le marché de l’emploi : si elles sont étudiantes de 43 à 60%, elles ne représentent que 31% des membres de l’Association des réalisateurs et des réalisatrices du Québec (AARQ). Les rapports de genre dans les cohortes ne reflètent donc pas les réalités sur le marché du travail. Que se passe-t-il entre l’obtention du diplôme et l’entrée sur le marché du travail?
Selon moi, continuer l’implantation des mesures de discriminations positives, c’est essentiel : non seulement à l’ONF, mais au sein de tous les organismes de financement de productions cinématographiques comme la SODEC et Téléfilm Canada pour favoriser l’émergence d’une nouvelle vague de productions réalisées par des femmes. Il faut mentionner qu’il y a une certaine résistance dans le milieu quant aux mesures paritaires, car lorsqu’on investit dans la diversité, les cinéastes d’expérience ont l’impression de faire les frais de ces mesures et d’être victimes d’âgisme.
À la fin du mois de juillet 2019, le groupe des Réalisatrices Équitables a fait une sortie dans les médias, car elles estimaient que les organismes subventionnaires abusent en prétendant que 50% des œuvres financées sont réalisées par des femmes et en utilisant des formules qui alimentent l’illusion que la parité est pratiquement chose faite. Elles reprochent aux institutions de financement public l’utilisation de termes comme « presque », « quasi » ou « près de la moitié des projets retenus » à titre de synonymes de parité quand, dans les faits, les femmes atteignent le tiers et non la moitié des sources de financement. Sans négliger les efforts pour atteindre la parité, il reste encore beaucoup de chemin à faire. Selon les chiffres compilés par RÉ, pour l’année 2017-2018 de Téléfilm, seulement 28% des 73 millions de dollars répartis parmi les longs-métrages de fiction sont allés à des réalisatrices. Il faut se méfier des statistiques. Les femmes sont plus souvent nombreuses dans les films à petits budgets, comme par exemple dans la création du cinéma documentaire, synonyme de pauvreté.
Les solutions officielles et temporaires de l’ONF à un problème difficile ont démontré leur efficacité dans les années 1970: les films féministes critiques ont eu un effet sur la société, car ils ont su rejoindre la population (spécialement les femmes isolées) en amenant les problèmes vécus par les femmes dans la sphère privée vers l’espace public. Donc, plus que de rassembler les femmes, ces productions les conscientisent, car les discours s’intéressent spécifiquement aux enjeux qui les touchent (avortement, marché de l’emploi, système de garderies, etc.). L’ONF est à la fois l’instrument de la lutte et le lieu de la lutte, car l’institution favorise la circulation de la parole des femmes. L’animation, dans sa particulière complicité avec le monde imaginaire, offre la possibilité aux réalisatrices de s’affranchir plus facilement des conventions narratives qui contraignent la représentation des femmes. Les créatrices peuvent mettre en images la pluralité de la vie des femmes et leurs expériences quotidiennes, brisant ainsi les représentations essentialistes des figures féminines au cinéma. En élargissant ses pratiques culturelles pour y intégrer la pensée féministe, l’animation institutionnelle de l’ONF est porteuse de nouvelles représentations par et pour les femmes. Cette programmation féministe intègre donc le social dans le culturel avec sa production et sa diffusion de films d’animations personnels et novateurs. Cette mobilisation féministe génère une nouvelle esthétique animée et contribue au changement social. Rendre compte de l’expérience quotidienne de la vie des femmes avec les outils du cinéma est une chance unique de revisiter l’histoire sous l’angle du féminisme et de comprendre les réalités et les défis de la société.
Notes de bas de page
- 1Il s’agit de Pasqualino (Lina Wertmüller, 1977), La leçon de piano (Jane Campion, 1994), Traduction infidèle (Sofia Coppola, 2003) et Démineurs (Kathryn Bigelow, 2008).
- 2Il s’agit de la coréalisatrice de Persepolis (Marjane Satrapi, 2007), de la réalisatrice de Kung Fu Panda II (Jennifer Yuh Nelson, 2011), la coréalisatrice de How to train your Dragon 2 (Bonnie Arnold, 2015), la coréalisatrice de Frozen (Jennifer Lee, 2010), la coréalisatrice de Brave (Brenda Chapman, 2012), la coréalisatrice de Coco (Darla K. Anderson, 2017), la coréalisatrice de La Passion de Van Gogh (Dorota Kobiela, 2017) et la coréalisatrice de Parvana, une enfance en Afghanistan (Nora Twomey, 2017).
- 3Jennifer Lee (2010), Brenda Chapman (2012) et Darla K. Anderson (2017).
- 4Traduction de la citation originale : « […] [il] me faisait sentir inférieure. C’était lui l’artiste d’expérience et il avait dix ans de plus que moi » (Hubley, citée dans Pilling, 1992, p. 25)
- 5L’ONF a récemment produit un film sur l’animatrice : Onze moments animés avec Evelyn Lambart (McWilliams, 2017). Ce réalisateur a aussi créé le long-métrage Norman McLaren : Le génie créateur (McWilliams, 1991).
- 6Elle a un crédit de coréalisatrice et de coanimatrice sur cinq courts-métrages auxquels elle a collaboré avec McLaren : Caprices en couleurs (McLaren et Lambart, 1949), Rythmetic (McLaren et Lambart, 1956), Lignes Verticales (McLaren et Lambart,1960), Lignes horizontales (McLaren et Lambart, 1962) et Mosaïque (McLaren et Lambart, 1965).
- 7Oscar pour le meilleur court-métrage d’animation avec Le poète danois (Kove, 2007).
- 8Ours d’or du meilleur court-métrage au Festival International du Film de Berlin avec Âme noire (Chartrand, 2001).
- 9Palme d’Or à Cannes pour le meilleur court-métrage avec When the Day Breaks (Forbis et Tilby, 1999).
- 10Sa première réalisation est : À l’heure de la décolonisation (Fortier, 1962) produit par Hubert Aquin.
- 11Fortier ne réalisera pas d’autres films mais consacre sa carrière au montage. Elle travaille, notamment, avec Anne-Claire Poirier, Pierre Perrault et Denis Arcand sur Le Déclin de l’empire américain (Arcand, 1986).
- 12Shulamith Firestone est une féministe radicale, cofondatrice du groupe newyorkais Redstockings, autrice du très remarqué The Dialectic of Sex : The Case for Feminist Revolution (Firestone, 1970). Firestone veut déconstruire la société pour mieux la rebâtir : elle prône la destruction de l’organisation sociale. Firestone propose la thèse selon laquelle le « sexual class system » (Firestone, 1970) est la division sociale et économique la plus importante et constitue l’épicentre de l’oppression des femmes. Pour elle, la grossesse est barbare, donner naissance est « like shitting a pumpkin » (Firestone, 1970) et la petite enfance est la supervision d’un cauchemar. Simone de Beauvoir dit, à propos du livre de Firestone, qu’elle propose quelque chose de nouveau car elle associe la libération des femmes avec la libération des enfants (Faludi, 2013).
- 13Derrière le spectacle de Miss America, il y a aussi des visées commerciales qui font la promotion et la vente d’une station balnéaire.
- 14La vie rêvée (Dansereau, 1972) est le premier long-métrage de fiction féministe réalisé par une femme dans l’industrie privée au Québec mais c’est Jean-Pierre Lefebvre qui, avec Q-bec My Love (Lefebvre, 1970), réalise le premier film long-métrage de fiction féministe québécois.
- 15Je rappelle que la majorité des hommes sont exclus de la salle d’accouchement dans les années 1960; les caméras y sont encore moins permises.
- 16Au sein de l’ONF, le gouvernement canadien met en place le programme Société Nouvelle/ Challenge for Change dont le triple objectif est d’accorder aux gens des marges la chance de s’exprimer à travers le cinéma. Premièrement, cette initiative veut permettre l’expression des cultures minoritaires avec le septième art. Deuxièmement, le programme veut diffuser les connaissances des communautés minoritaires auprès de la population et des instances décisionnelles. Troisièmement, ces films vont recueillir des informations précieuses chez les minorités afin de mieux comprendre leurs réalités, leurs visions et leurs défis. Le programme mise sur le fait que les gens sont en mesure d’identifier leurs problèmes et d’y trouver des solutions. L’ONF met ses ressources audiovisuelles à la disposition de la population canadienne appartenant à une culture minoritaire. Le gouvernement canadien encourage ainsi l’expression artistique des minorités pour offrir une alternative aux représentations traditionnelles dans le cinéma national. « Société Nouvelle devient dès son origine un des rares projets cinématographiques dans le monde à appuyer ouvertement et officiellement le changement social » (Carrière, 1984b, p. 24). Présenter le problème de la pauvreté au Canada est l’un des enjeux majeurs du programme. Par ricochet, cette initiative favorise directement l’émergence d’autrices onéfiennes et de leur pratique féministe dans la réalisation puisque la vision des femmes est minoritaire.
- 17Pas très loin, à la même époque, il y aura le centre Vidéographe, le Groupe Intervention Vidéo et Vidéo Femmes (anciennement nommé La femme et le film et fondé en 1973 par Helen Doyle, Nicole Giguère et Hélène Roy). Vidéo Femmes est « un centre de production et de diffusion / animation de vidéos réalisés par / pour les femmes. […] C’est un ‘collectif féministe d’intervention vidéo’. […] Notre choix de vidéo comme moyen d’expression et de communication a été arrêté de façon claire et définitive dès la fondation officielle de notre centre. » (Giguère et Pérusse, 1980 : 35) En effet, la vidéo est une forme d’expression souple et moins coûteuse que le cinéma, ce qui en fait un outil d’intervention privilégié et plus accessible pour les femmes qui y « voyait là un outil privilégié d’intervention sociale. » (Giguère et Pérusse, 1980 : 35)
- 18Ce n’est qu’en 2016 que l’ONF s’est fixé l’objectif d’atteindre la parité au niveau de la création entre les hommes et les femmes.
- 19Notamment : Encore Pionnières. Parcours des réalisatrices québécoises en long-métrage de fiction (Lupien et al., 2011); La Place des réalisatrices dans le financement public du cinéma et de la télévision, mise à jour des statistiques (Descarries et al., 2012); L’avant et l’arrière de l’écran. L’influence du sexe des cinéastes sur la représentation des hommes et des femmes dans le cinéma québécois récent (Lupien et al., 2013) et La place des créatrices dans les postes clés de création de la culture au Québec (Réalisatrices Équitables, 2016).
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(sans auteur) (1973). Qui sont les femmes qui travaillent à l’ONF? Médium Média, 2, 11.
Cahier IREF
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