Passer au contenu Accéder au menu principal Accéder à la recherche
Passer au contenu Accéder au menu principal
UQAM logo
Page d'accueil de l'UQAM Étudier à l'UQAM Bottin du personnel Plan du campus Bibliothèques Pour nous joindre
PRÉFIX
UQAM logo
PRÉFIX
  • Accueil
  • À propos
    • Présentation
    • Équipe
    • Protocoles/Politiques éditoriales
    • Soumettre
    • Appel à contribution
    • Nous joindre
  • Numéros
    • Vol. 1 no 1
    • Archives
  • MultimiX
  • Féminisphère
  • Cahiers de l’IREF
    • Cahier 10
    • Hors-série
    • Archives – Cahiers de l’IREF
  • Dans les médias
  • Activités
  1. UQAM
  2. PRÉFIX
  3. Cahiers IREF
  4. 50 ans de féminismes à l’IREF
  • Accueil
  • À propos
    • Présentation
    • Équipe
    • Protocoles/Politiques éditoriales
    • Soumettre
    • Appel à contribution
    • Nous joindre
  • Numéros
    • Vol. 1 no 1
    • Archives
  • MultimiX
  • Féminisphère
  • Cahiers de l’IREF
    • Cahier 10
    • Hors-série
    • Archives – Cahiers de l’IREF
  • Dans les médias
  • Activités

Options de recherche avancée pour des résultats plus précis.

Liste des contributeurices
PARTIE 1 Implantation et reconnaissance | 9 février 2021

50 ans de féminismes à l’IREF

Cohen, Yolande

Je voudrais commencer par saluer et remercier les organisatrices de cette journée d’études, en particulier Francine Descarries, pour leur excellente initiative. Participer à la journée d’études était déjà tout un défi, brillamment relevé par toutes les personnes présentes à ce moment de réflexion et de retrouvailles; mais écrire un texte pour la publication en est un autre, auquel toutefois je me prête avec une certaine appréhension mêlée à un sens du devoir de témoigner avec sincérité sur ces années. En ce sens, cette commémoration est un exercice difficile, car s’y jouent tout à la fois des enjeux de mémoire personnelle et d’histoire institutionnelle. En mettant en lumière certains évènements, qui ont pu avoir l’air de simples accidents de parcours, on projette une image lisse de moments qui se situent rétrospectivement par ce récit, au croisement de mon histoire personnelle et de l’histoire d’un groupe de personnes qui ont contribué à fonder une institution dont on fête aujourd’hui le 50e anniversaire! Aussi est-ce avec beaucoup de circonspection et d’humilité que je me suis livrée à cet exercice en racontant, à ma manière et avec ma propre subjectivité, le parcours de la jeune femme que j’étais, qui avait pour ambition de devenir historienne et qui ne savait pas avant d’y être, qu’elle ferait sa carrière à l’UQAM et à l’IREF comme historienne des femmes.

Nouvelle immigrante à Montréal, j’arrivais de Paris où je finissais mon doctorat en Histoire à Paris 8/Vincennes sous la direction de Madeleine Rebérioux, l’historienne spécialiste de Jean Jaurès et du mouvement ouvrier, avec dans mes bagages une expérience de militantisme étudiant dans une organisation trotskyste. En dehors de ce réseau, dont je constatais avec étonnement l’importance des ramifications à Montréal, je ne connaissais pas grand monde à mon arrivée à Montréal à la fin de l’année 1976. Outre mes parents, ma sœur et mes deux frères qui avaient émigré du Maroc à Montréal en 1974, je connaissais Mair Verthuy, l’amie rencontrée à Paris à la Bibliothèque Nationale l’année précédente qui m’avait incitée à venir enseigner au Canada. Grâce à cette féministe engagée, première directrice du tout nouvel Institut Simone-de-Beauvoir à Concordia, qui a aussi fêté ses 40 ans dernièrement, j’ai rencontré de nombreuses féministes d’ici et d’ailleurs et participé aux premières assises féministes internationales qui se sont tenues en 1980 dans cette université.

À Montréal comme à Paris, les croisements entre les milieux féministes et gauchistes étaient nombreux et cette effervescence, palpable aussi à l’UQAM, m’était familière. Alors en pleine expansion, l’UQAM engageait des professeurs en sciences humaines et sociales, pour la plupart des jeunes hommes ayant fait leurs études en France et quelques jeunes femmes québécoises qui revenaient au Québec avec leur doctorat. Ce n’était pas mon cas puisque j’étais immigrante, mais on partageait les mêmes références et je me voyais bien dans cet univers de l’enseignement, de la recherche et du militantisme. Il me semblait naturel d’y chercher à avoir un poste, après une brève incursion comme chargée de cours à l’UQAR.

Grâce à ces réseaux, j’ai eu la chance d’être engagée à l’automne 1977comme professeure substitut au département de science politique pour enseigner la méthodologie avec Pauline Vaillancourt, ainsi qu’un cours sur le libéralisme classique. Pour compléter ma charge, j’ai proposé de créer un cours intitulé Femmes et Politique. Comment en étais-je venue à penser pouvoir donner ce cours alors que durant toute ma scolarité à l’Institut d’Études Politiques de Paris, on n’avait jamais parlé de cette question ? Rétrospectivement, il était bien présomptueux de ma part de donner toute seule un cours qui n’avait jamais été enseigné au département! Surtout quand l’on sait que les seuls cours portant sur les femmes à l’UQAM avaient été donnés par un collectif de professeures chevronnées assistées de leurs étudiantes! Toujours est-il que le département accepta mon projet et me voilà prête à enseigner ce cours à l’hiver 1978. Le cours faisait alors partie des 4 ou 5 cours sur la « condition féminine » donnés à l’UQAM, et c’était le tout jeune Groupe interdisciplinaire d’études et de recherches féministes (GIERF), ancêtre de l’IREF, qui coordonnait ces activités.

Acte 1 : Le GIERF ou comment je suis devenue une militante féministe

Il régnait alors à l’UQAM une véritable effervescence, qui me rappelait mes années mouvementées à Paris. Ce ne sont pas tant les grèves nombreuses, dures et intenses dont je me souviens, mais l’atmosphère générale de discussion et de débats enflammés. J’ai apprécié l’extraordinaire tourbillon d’idées et de projets qui régnait alors dans ce petit microcosme universitaire qu’était le pavillon Read des sciences sociales. Le militantisme gauchiste y était de rigueur, et pour moi qui venais de passer les dix années précédentes dans l’atmosphère surchauffée des amphis, des AG, des votes de grève, des sit-in etc… et des batailles entre groupuscules, j’aspirais à travailler différemment même si je désirais poursuivre mon engagement tant sur le plan de la connaissance et du savoir que sur le plan de l’engagement militant. Les conférencières invitées donnaient au cours Femmes et politique une aura d’une érudition qui permettrait aux femmes de s’approprier des pouvoirs et pas seulement de les revendiquer. Les théories de l’empouvoirement (empowerment) des femmes me semblaient importantes à défendre : comme beaucoup de victimes de l’oppression, je ne tenais pas seulement à en faire l’inventaire, je voulais pouvoir montrer les lieux de pouvoir des femmes, là où se traduisaient leur force et leur détermination à combattre l’oppression.

Nous étions alors quatre femmes professeures au département de science po, si je me compte, bien que je n’aie été que prof. substitut; je participais aux AD avec Bonnie Campbell, Anne Légaré et Pauline Vaillancourt (Micheline de Sève est arrivée plus tard). Nous étions très amies et avions même pensé avec les deux dernières acheter un triplex ensemble; un projet qui a tourné court, car chacune voulait habiter au 3 e étage… Nous partagions beaucoup de choses et des visions communes, puisque toutes les quatre très militantes matérialistes. Mais chacune à sa façon, nous avons développé nos propres visions de l’émancipation et pour ma part, j’étais une militante féministe d’abord et avant tout. J’étais d’ailleurs la seule du département à ce moment-là à participer activement aux réunions du GIERF.

J’avais l’âge de mes étudiantes et mon cours était plein à capacité. Plus d’une centaine d’étudiantes s’étaient inscrites à ce cours dont le programme était fort chargé. J’avais invité plusieurs militantes et théoriciennes féministes de passage à Montréal, qui comme moi étaient ravies de pouvoir partager leur militantisme féministe et ce qui allait devenir les fondements d’un enseignement féministe. Ainsi à l’occasion de la conférence de la militante italienne Maria-Antonietta Macciocchi, vedette du féminisme matérialiste d’alors et auteure de l’ouvrage Marxisme et Féminisme qui venait de paraître, la salle débordait de monde, avec des gens assis dans les couloirs et partout autour.

Ce cours fut un véritable succès pour elle et pour le département, mais pas pour moi. Car de fait, quand un poste s’est ouvert au département de Science po en méthodologie, le directeur du département Jean-Marc Piotte, penseur et militant marxiste (tendance Gramsci) bien connu, avait bon espoir que j’obtienne ce poste. Toutefois, l’assemblée départementale, dans sa grande sagesse, avait décidé de scinder le poste et de l’offrir à deux femmes qui pourraient s’acquitter de la tâche avec un demi-poste chacune…Lucille Beaudry et moi-même avons donc été invitées à partager un poste de professeur.

En ce mois de juin 1978, je venais de soutenir ma thèse de doctorat avec mention excellent en France et étais tellement dépitée par cette annonce, qui me faisait l’effet d’une gifle, que je me mis activement à la recherche d’un autre poste. Christian Gras, un des membres de mon jury de thèse, justement de passage à Montréal invité par le département d’histoire, me dit qu’il y avait un poste qui s’ouvrait en histoire de France et que je devais postuler. Ce que je fis immédiatement et de fait, on peut dire que j’occupe ce poste depuis cette date mémorable pour moi de 1978. Une chance incroyable quand je pense que ce fut le seul poste en Histoire de France contemporaine ouvert au département… Lucille a ainsi pu récupérer ma moitié de poste et a fait toute sa carrière au département de science po.

Cet épisode est révélateur des opportunités que nous avions de trouver des postes à la fin de nos études à ce moment-là, mais aussi du machisme qui régnait dans nos départements, où des collègues qui n’étaient ni beaucoup plus âgés que nous ni plus diplômés, avaient des comportements et des attitudes discriminatoires à l’égard des femmes, qui leur semblaient aller de soi. Ce machisme des camarades de gauche, nombreux au département de Science po, qui malgré leur discours égalitaire se méfiaient des femmes nouvellement diplômées qui désiraient y enseigner, alimentait le machisme institutionnel. Je refaisais ici l’amère expérience du machisme des militants de gauche que j’avais connu à Paris, et qui dans bien des cas a déclenché la colère des femmes et est à l’origine de la plupart des groupes féministes crées dans les années 1970. De fait pour ma part, mon féminisme est né de cette expérience cruelle dans les groupes militants de gauche d’abord, puis à l’Université ensuite. Ce n’est pas rien, car dans cette expérience se forge un sentiment d’inadéquation entre les rêves d’égalité et la réalité de l’injustice, qui pour la jeune immigrante que j’étais, a été vécu au plus profond de mon âme, car il venait de mes pairs/militants, de ceux avec qui je croyais partager une bataille commune. Soudain je pris conscience que je vivais moi aussi la discrimination que je dénonçais par ailleurs dans mes cours…

Ce sentiment de dé-doublement et de honte, je voulais le partager avec d’autres collègues, des femmes qui comme moi ont vécu dans des départements où nous n’avions pas voix au chapitre parce que souvent seules et isolées dans une majorité d’hommes. Il me semblait aussi important de prolonger le succès obtenu par ce cours auprès des étudiantes en le partageant avec d’autres collègues. Je rejoignais donc le petit groupe de professeures et chargées de cours qui tentaient aussi l’expérience d’offrir des cours centrés sur ce qu’on appelait alors la condition des femmes. Résolument différent des programmes d’études féministes (women studies) qui s’ouvraient dans de nombreuses universités, le GIERF insistait plutôt sur le non cloisonnement de ces études dans des départements séparés, qui risquaient plus facilement d’être marginalisés et préférait le système de coordination de cours et de recherches dans chacune des disciplines et départements. Forcément pluridisciplinaire, puisque nous étions dispersées dans différemment départements en sciences humaines et sociales, le GIERF devint pour moi un lieu essentiel de solidarité de femmes à l’université et de développement de ma pensée féministe.

Le GIERF était alors un regroupement improbable de militantes engagées de quatre ou cinq départements et dont le féminisme était la raison d’être et d’enseigner. Une poignée d’enseignantes, qui animaient les quatre ou cinq cours offerts à la fin des années 1970, et qui je crois bien sont presque toutes ici, à l’exception de la regrettée Nicole Laurin-Frenette, la sociologue et théoricienne féministe qui a été pour moi une véritable amie et mentor. Il y avait aussi bien sûr à la direction du GIERF, Anita Caron et quelques-unes de ses étudiantes (je ne sais pas si Marie-Andrée Roy était déjà là?), ma collègue et amie Nadia Eid et son entourage du département d’histoire, Jennifer Stoddart et Marie Lavigne, le trio à l’initiative des premiers travaux de recherche en histoire des femmes. Il y avait aussi en économie, Ruth Rose Lisée qui a contribué à développer des recherches-action avec les services à la collectivité et Christine Corbeil, arrivée un peu plus tard à l’UQAM et a qui a inscrit les perspectives féministes en travail social. Je me souviens aussi de la présence de Karen Messing, qui avait créé avec Donna Mergler un tout un nouveau secteur de recherche au département de biologie, l’ergonomie féministe… Le GIERF regroupait ainsi un petit noyau de professeures et de chargées de cours, qui avaient à cœur de changer les choses à l’UQAM, en commençant par la terminologie, un dossier pris à bras le corps par notre collègue linguiste Jacqueline Lamothe, qui fut à l’avant-garde de la féminisation des noms et professions, pendant les 10 ou 20 années qui ont suivi et se sont achevées par ce que nous connaissons aujourd’hui, un combat victorieux. Chacune avait sa vision de l’enseignement et de la recherche féministe, mais tout le monde adhérait à une doxa commune, d’un féminisme matérialiste de base, dont on dirait aujourd’hui qu’il était blanc et exclusif.

Acte 2 : Quel féminisme?

Cela dit, le GIERF n’a pas, comme les autres groupes d’universitaires féministes, l’exclusivité d’abriter des dissensions nombreuses, même s’il faut le dire, l’atmosphère qui y régnait, du moins dans mes souvenirs, était relativement chaleureuse. Toutefois, de nouvelles questions surgissaient : quels seraient les liens entre la recherche académique et le militantisme féministe? Accusées de faire du militantisme féministe dans nos cours, nous vivions une pression intense, à l’interne comme à l’externe, et au sein de nos disciplines académiques. Comment insérer nos préoccupations féministes dans des champs d’études qui en ignoraient jusqu’à l’existence même? Comment concilier ces orientations de recherches alors que les processus d’évaluation et d’avancement de nos carrières dépendaient du bon vouloir de collègues majoritairement insensibles (pour ne pas dire ignorants) à ces questions? Même au sein du GIERF, ces tensions traversaient nos façons de faire de la recherche et d’enseigner, et eurent pour effet de concentrer une grande partie de nos énergies dans des recherches/actions, pour maintenir les liens organiques qui nous liaient aux travailleur.ses, ou en nous adjoignant les comités-femmes qui commençaient à surgir un peu partout dans les centrales syndicales et dans les groupes de femmes. Les demandes d’information et de recherche sur tel syndicat, telle organisation ou association de femmes se multipliaient.

Nous avons toutes contribué à l’essor du volet « services à la collectivité », que l’on appelle aujourd’hui des recherches-action, pilotées par des organismes externes, surtout liés au mouvement syndical et parfois partisan, qui imposaient leur propre rythme et sujets de recherche aux professeures. Cette insistance à maintenir des liens étroits avec les groupes de femmes et des syndicats, émanait à la fois de la conviction que les études féministes devaient être organiquement liées au mouvement ouvrier et syndical, et à la nécessité pour le féminisme de se développer dans son giron. Ainsi les premières études en histoire portaient sur les travailleuses et les féministes…dans une optique d’analyse matérialiste. Cette vision n’était pas questionnée ni questionnable, faisant du GIERF un genre de secte qui ne devait parler que d’une seule voix.

Je me souviens d’un épisode particulièrement malencontreux, que je relate d’ailleurs dans une note de bas de page dans un de mes ouvrages, où il s’agissait de faire l’histoire de l’AFÉAS et la commande de l’organisme, relayée par le GIERF et le service aux collectivités de l’UQAM, était de ne commencer cette histoire, non pas au moment où elle commence, c’est à dire au moment de la scission avec les Cercles de fermières et les Cercles d’économie domestique, dans les années 1960, mais après 1970, alors que l’AFÉAS avait rejoint le mouvement féministe dans sa bataille en faveur de l’avortement. Ce qui n’était pas sa position dans les années 1960, alors qu’elle était encore sous le joug de l’Église, comme d’autres organisations de femmes fondées par cette dernière. Il fallait donc que cette histoire de l’AFÉAS coïncide avec celle que l’on voulait donner du mouvement féministe, car il leur semblait inconcevable qu’une organisation féministe puisse naître dans le giron de l’Église catholique. En effet, avant cette date-là, l’AFEAS n’était qu’un autre groupe de femmes fondé par et affilié à l’Église, ce qui paraissait mal pour une organisation qui se disait partie prenante du féminisme laïque québécois. Je n’ai jamais compris pourquoi, d’ailleurs, car pour ma part, je trouvais au contraire que ce virage était particulièrement intéressant à montrer comme révélateur d’une période de transformations majeures. Je refusais donc d’obtempérer à cette demande, qui pour moi violait les sacro-saints principes de l’indépendance de la recherche et de l’autonomie du chercheur; sans parler de l’erreur historique que l’on commet en faisant l’impasse sur les conditions de création de cette organisation. Qu’à cela ne tienne, le Service des collectivités a réussi à convaincre ma collègue de sociologie qui devait travailler avec moi et mes étudiantes sur le projet, de réaliser cette étude sans moi, en commençant en 1970, à mon grand regret.

Cette séquence montre bien les difficultés que nous avons rencontrées dans ces premières étapes d’une recherche académique féministe, engagée et militante. Ces défis sont toujours là, mais nous savons mieux aujourd’hui comment y faire face, grâce aux outils que sont les théories féministes contemporaines du point de vue situé, et d’éthique de la recherche où la subjectivité des chercheuses est prise en compte et assumée d’emblée. Cela a aussi permis de développer une vision novatrice de la recherche en sciences sociales et humaines, comme un domaine de partage de l’autorité entre les populations étudiées, qui sont porteuses de savoirs qui doivent être entendues et respectées, et ceux et celles qui les étudient, dans le respect de l’autonomie des chercheures. C’est dans cette perspective innovante que j’envisageais désormais de mener mes recherches en histoire des femmes comme un aspect de mon engagement féministe, en utilisant l’histoire orale, par exemple pour restituer aux femmes une voix et une agentivité que les historiens ne leur avaient pas donnée jusque-là ( une méthode que j’ai utilisée dans mes premières recherches durant les années 1980, qui ont abouti à la publication de mes ouvrages sur les Trajectoires de Juifs et Juives Marocain.es en 1987 et sur les Cercles de fermières en 1990). Ces questions avaient certes été déjà traitées dans le tournant qu’avait pris l’histoire sociale dans les années 1960, qui donnait une large place au peuple dans le récit historique; ce peuple, ouvrier et paysan, était néanmoins majoritairement masculin et on ne pouvait pas juste rajouter des femmes. Il fallait se poser d’autres questions, aller chercher d’autres sources.

Acte 3 : Quelles recherches féministes? Et dans quel but?

À la subjectivité des chercheures qu’il fallait ouvertement explorer et prendre en compte, il faut ajouter les questions idéologiques et politiques qui nous interpellaient. Nous vivions des évènements majeurs qui secouaient le Québec alors. Dans les années 1980, tout le monde autour de moi était pour le Oui au référendum. Nous étions quelques-unes à l’origine du Regroupement des femmes du Québec (éphémère RFQ) avec Andrée Yanacopoulo et Colette Beauchamp à appeler à voter femmes, et à mettre une croix sur une question référendaire qui selon nous ignorait le sort des femmes. On défendait le « Ni oui, ni non » pour montrer la mascarade d’un référendum qui ne changerait pas la vie des femmes, puisque cette question avait été reléguée par le PQ pour mettre en avant le projet de nation québécoise. On comprend qu’à l’UQAM, on entendait peu de voix discordantes dans le concert d’appuis des uqamien.nes au référendum. Ce point de vue féministe/anarchiste, qui soulignait la relégation des revendications féministes en faveur de l’égalité des femmes dans la question référendaire, était défendu par très peu de femmes. À l’UQAM, Nicole Laurin-Frenette était une des seules féministes matérialistes à ma connaissance à s’être distanciée du PQ et du projet de souveraineté, car elle était sensible à ce moment-là à la rhétorique anarcho-féministe qui préconisait l’annulation de son vote. La grande majorité des membres du GIERF défendaient un féminisme matérialiste et/ou souverainiste et étaient donc pour le Oui au référendum. Nombre d’entre elles, en accord avec Lise Payette, associaient émancipation nationale et émancipation des femmes. Ce schisme, entre les personnes qui étaient dans le camp du Oui à la question en faveur de la souveraineté (PQ, la plupart des centrales syndicales dont le SPUQ), celui du Non (PLQ principalement), et celles qui s’abstenaient ou annonçaient qu’elles annuleraient leur vote (comme le RFQ dont j’étais membre) revêtait l’allure d’une véritable guerre de tranchées. Entre les camps du Oui et du Non, la guerre, heureusement seulement verbale et idéologique, était déclarée. Ne pas prendre position revenait à trahir les deux camps et se mettre dans une marginalité peu enviable. C’est dans ce contexte de très grande polarisation de la société québécoise qu’il faut comprendre l’épisode des Yvettes qui, on le sait maintenant, a été déterminant dans l’issue du référendum, qui donnait un léger avantage au camp du Non en termes de votes.

Cet épisode, qui survient en plein essor du mouvement féministe, a donné lieu à d’innombrables analyses que je n’ai pas toutes lues, loin s’en faut. Je resterai ici au plus près de mes souvenirs, laissant à d’autres le soin de disséquer ces évènements très importants pour la suite des mouvements féministes et souverainistes au Québec, pour m’en tenir à ses principales conséquences en ce qui me concerne. Déjà peu encline à considérer la « question nationale » ou la souveraineté du Québec comme prioritaire, puisque préoccupée d’abord et avant tout par l’émancipation des femmes dans une perspective qui me semblait forcément internationale, j’ai été saisie d’effroi quand Lise Payette, dans une formule lapidaire a balayé toute solidarité féministe en opposant les femmes entre elles : d’un côté se trouvaient des femmes émancipées et féministes qui votaient Oui à la souveraineté; de l’autre, des Yvettes qui votaient Non parce qu’elles étaient dominées et sous l’emprise de la traditionnelle mystique féminine! On a beaucoup glosé sur « la gaffe » qu’avait fait Lise Payette en caractérisant ces femmes d’Yvettes, mais pour ma part j’y voyais davantage qu’une gaffe, plutôt une véritable vision de l’émancipation des femmes qui ne pouvait se faire qu’avec une élite éclairée de femmes qui allait enseigner aux autres ce que devait être leur émancipation. Outre qu’il me semblait paradoxal d’appeler à l’émancipation des femmes en rejetant la majorité d’entre elles, et qu’il m’apparaissait dangereux de diviser ainsi le mouvement féministe entre une bonne et une mauvaise cause, j’ai donc signé une lettre dans le Devoir intitulée « Nous sommes toutes des Yvettes » pour rappeler l’importance de garder une solidarité entre femmes de toutes origines et de toutes les affiliations idéologiques et politiques. Des propos sans doute naïfs et utopiques, mais qui d’un seul coup m’avaient projetée dans le camp du NON. J’avais commis l’irréparable!

Interprété comme une défense des Yvettes, ce texte fut publié à un moment où la mobilisation de ces dernières commençait à prendre forme, même si je n’avais rien à y voir. En une semaine, des centaines de femmes qu’on a accusées ensuite d’être manipulées par le Parti Libéral réagirent promptement et manifestèrent leur colère à l’égard de Lise Payette et du Parti Québécois. Elles furent instantanément projetées aux avant-postes du mouvement pour le Non au référendum. Elles lui donnèrent le souffle dont il avait besoin et paradoxalement les femmes, que les partis politiques avaient oublié de convoquer lors de leurs savantes délibérations, se sont invitées d’elles-mêmes, dans le débat. Toutefois à l’UQAM, haut lieu du camp du Oui, être du côté des Yvettes, c’était s’allier avec le diable, défendre ces femmes qui n’ont pas de conscience de leur domination et qui adoptent la cause des dominants, i.e. le Parti libéral, le patriarcat etc… Pour ma part, je voyais au contraire dans ces femmes les héritières de ces groupes sur lesquels je travaillais déjà, à savoir ces milliers de femmes qui se regroupaient dans les Cercles de fermières ou dans d’autres organisations pour affirmer leur autonomie, pavant ainsi la voie aux féminismes contemporains. Aussi ai-je heurté de front ces convictions et bientôt, je devins persona non grata au GIERF. Il faut dire qu’il y avait peu de voix dissonantes au sein du GIERF, où matérialisme et féminisme s’accompagnaient de convictions fortes en faveur de la souveraineté du Québec. Dans ce groupe très militant, je ne partageais pas le point de vue majoritaire et éprouvais de nombreuses difficultés à me faire entendre. La solidarité entre féministes n’a pas résisté aux coups de boutoir des conflits idéologiques et partisans.

Certes, je participais à la fondation de plusieurs organisations alternatives, comme Vélo-Québec et Montréal Écologique, le parti municipal pour lequel je me suis présentée dès 1985 comme candidate, à la mairie dans les années 1990. Même dans ces petites organisations militantes, j’éprouvais le même regret de voir à quel point, nos voix de femmes étaient assourdies par le bruit ambiant. De plus en plus, je me tournais vers la recherche comme un moyen de faire émerger ces voix de femmes qui ont été ignorées ou bridées par les contingences de l’Histoire, avec un grand H.

Acte 4 : Le temps de l’enseignement et de la recherche féministe

Mon engagement se traduisait désormais par la recherche et l’écriture plus que par l’action militante dans une organisation ou une autre. Du département d’histoire, où Nadia Fahmy-Eid et moi étions les seules deux femmes pendant une bonne dizaine d’années sur une trentaine d’hommes, nous avons opté pour le développement de nos recherches et enseignements. Nous avions chacune notre cours, Nadia en histoire des femmes au Québec et moi en histoire des femmes dans le monde occidental…Nous avions nos recherches et très vite nos équipes de recherche respectives, grâce à des subventions du CRSH, qui commençait à trouver qu’il fallait inclure les femmes dans la recherche académique en histoire. De fait, là encore il est intéressant de constater que n’était-ce ce soutien d’organismes de recherche externes, qui donnait à nos travaux la légitimité scientifique, nous n’aurions eu aucune attention de la part de la plupart de nos collègues. C’est grâce à ces subventions continues du CRSH que j’ai pu écrire mes livres sur l’histoire des femmes au Québec, recruter, former et soutenir des dizaines d’étudiantes qui étaient aussi assistantes de recherche dans mes équipes durant ces années où se spécialiser en histoire des femmes pouvait être très stigmatisant, pour elles comme pour moi. D’ailleurs, en dehors de quelques-unes d’entre elles, qui ont eu le courage de faire aussi leur mémoire et leur thèse en histoire des femmes avec moi, je pense à Ghislaine Desjardins, Diane Montour-Perras, Esther Lamontagne, Isabelle Perreault, Stéphanie Godin et Flavie Trudel, nombre d’autres préféraient être engagées seulement comme assistantes de recherche. Je sais que plusieurs autres étudiantes ont dû affronter la pression de la part des collègues du département qui s’exerçait sur elles pour choisir des sujets plus « porteurs » et quitter ainsi mon équipe de recherche.

Tout le monde n’était pas d’accord avec la vision de l’histoire des femmes que je défendais. Formée en histoire sociale, et avide de dévoiler les mécanismes de la domination patriarcale et des mouvements d’émancipation des femmes, je fis le pari de trouver dans les archives les traces de leurs associations. Et de fait, elles étaient là, petites et grandes associations de femmes, dont l’action surgissait à pleines pages dans les archives. Il s’agissait désormais de voir comment elles fonctionnaient et les résultats de leurs interventions dans la sphère publique. Je n’avais pas envie de juste ressasser ce qui les asservissait, mais ce qui pouvait les émanciper. C’est dans cette optique que je dirigeai deux ouvrages collectifs publiés en 1981 Femmes et politique, très marqué par la période référendaire, et en 1985 Femmes et Contre-pouvoirs, où j’articulais plus précisément ma perspective. Mais c’est mon ouvrage publié en 1990, Femmes de Parole, sur l’histoire des Cercles de Fermières, qui était le pavé dans la mare parce que relançant le débat sur les différentes formes de féminisme.

Critiqué par Micheline Dumont, qui mena une véritable cabale contre ce livre, un débat eut lieu dans la revue Clio qui permit de clarifier nos positions réciproques. M. Dumont contestait ma légitimité pour écrire une histoire des femmes au Québec, en récusant mon approche sur les Cercles de fermières. Pour elle, les fermières ne pouvaient pas être les ancêtres des féministes aujourd’hui; ce que ce livre a contribué établir. Et d’ailleurs que pouvais-je en savoir de l’histoire des femmes du Québec, moi qui étais une immigrante? Le véritable enjeu était de savoir qui allait maitriser la narration de l’histoire des femmes et des féminismes au Québec. Pour ma part, j’ai poursuivi mes travaux en explorant aussi les rapports complexes qui existent entre les métiers féminins (je me suis penchée en particulier sur la professionnalisation des infirmières), les théories du care et une politique féministe de reconnaissance du travail des femmes. Il est intéressant de constater qu’aujourd’hui, alors que la pandémie du COVID-19 fait rage, ces questions ressurgissent avec une acuité accrue, rendant urgente une réflexion concertée sur une éthique féministe du care.

Je me suis volontairement attardée à relater les vingt premières années du GIERF/IREF, car des collègues plus jeunes pourront mieux que moi raconter les trente dernières années.

Car, avec l’éveil de nouvelles générations de féministes, les questions que nous avions soulevées sans être reléguées derrière les nouvelles urgences permettaient néanmoins de comprendre les batailles contre les violences sexuelles ou en faveur de la parité en politique. Les distinctions subtiles entre les différentes formes de féminisme, entre les militantes pour le droit de suffrage et des droits égaux et celles qui s’engagent dans les mouvements de tempérance et contre les violences et la traite sexuelle convergent toutes dans un commun combat contre la prégnance de la domination masculine dans les relations intimes comme dans le monde du travail et de la politique. L’urgence consiste à rassembler toutes les formes de revendication en faveur de l’émancipation des femmes et leurs allié.es au sein de la large tente du combat féministe.

L’IREF a su depuis 50 ans abriter une grande partie de ces débats, et être le creuset d’une réflexion pluridisciplinaire sur chacune de ces options. On a tout lieu d’être fières de constater que la diversité des courants qui traversent les féminismes se retrouvent à l’IREF, et qui à mon sens constituent l’attrait de l’IREF pour les nombreuses cohortes d’étudiantes d’ici et d’ailleurs qui viennent y prendre des cours, y faire des études graduées et y obtenir une diplomation. On peut être fières d’avoir inscrit dans nos conventions collectives l’engagement prioritaire de femmes, une action positive qui a permis d’élargir l’enseignement et la recherche en études féministes, dignes des meilleures universités, et ainsi contribué à faire reculer les pratiques sexistes à l’UQAM et au Québec. Et s’il nous faut toujours réfléchir aux meilleurs moyens de nous développer et d’inclure davantage la diversité des positionnements féministes, cela ne devrait pas nous empêcher d’encourager par exemple la création de chaires de recherches en études féministes qui seraient reliées à l’IREF. Je suis convaincue que nous allons trouver les formes institutionnelles adéquates au moment extraordinaire que nous vivons, où la conscience féministe semble être partagée par une partie non négligeable de la population.

Enjeu de débats enflammés, le combat féministe prend des allures diverses, selon les périodes et les lieux. Sans vouloir diluer les féminismes dans un tout inodore et sans saveur, je continuerai pour ma part de plaider en faveur d’une histoire féministe multi-centrée, attentive aux populations vulnérables, marginalisées ou exclues et à leurs revendications spécifiques. Et comme l’histoire est une discipline qui se meut lentement, j’ai l’impression qu’il va nous falloir attendre encore un peu pour voir des travaux utilisant la perspective intersectionnelle. Dans mon plus récent ouvrage sur la Prostitution et la traite des femmes au tournant du XXe  siècle, j’ai ainsi tenté de faire une histoire comparative et transnationale, où manquaient les voix des prostituées, qui ne s’appelaient pas encore des travailleuses du sexe, même si les femmes migrantes qui ont été soumises à la traite peuvent certainement être appelées des travailleuses du sexe. Et même s’il manquera toujours des voix, il importe de comprendre comment des moments d’effervescence féministe comme celui qui a eu lieu au tournant du XXe siècle ou celui que nous vivons maintenant, sont aussi des grands tournants historiques auxquels les mouvements féministes ont apporté une contribution majeure.

Nous en sommes encore à imaginer les meilleures façons d’intégrer les femmes dans la narration historique globale. Nous restons très discrètes en ce qui concerne leur place dans l’histoire, et l’on doit encore se contenter de chapitres ajoutés ici et là dans les livres d’enseignement de l’histoire. Je rêve pour ma part de voir le jour où les perspectives féministes de l’histoire auront modifié à la fois les façons dont nous faisons l’histoire et dont nous la racontons. L’IREF a été ce lieu où nombre de ces débats, essentiels à l’essor du féminisme au Québec ont pu éclore, où les discussions se sont poursuivies en toute liberté. Je suis aujourd’hui particulièrement heureuse d’avoir pu participer, témoigner et contribuer à cette effervescence.

Hors-série: 30e anniversaire

Cahier IREF

Licence Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International

Ce travail est sous une licence CC BY-NC-ND 4.0.

Avis de confidentialité

▲

UQAM - Université du Québec à Montréal

  • PRÉFIX
  • Nous joindre

Accessibilité Web